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Carottes. kikatani/Pixabay

Pourquoi les carottes font-elles les cuisses roses ? Le pouvoir des pigments

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr

Beaucoup d’entre nous ont déjà entendu l’amusante expression « les carottes font les cuisses roses », ou l’une de ses variantes. En quoi donc la couleur de peau pourrait-elle être influencée par ce que nous mangeons ? Et d’ailleurs, pourquoi les carottes sont-elles oranges et la betterave rouge ? Enfin, pourquoi les feuilles changent elles de couleur en automne ? À cause des pigments, bien sûr !

Qu’est-ce qu’un pigment végétal ?

Un pigment végétal est une substance organique (composée de plusieurs molécules de carbone), naturelle, qui peut être extraite des différents organes des plantes : feuilles, tiges, racines, fleurs ou encore écorce. Il en existe plusieurs classés en quatre grandes familles : les chlorophylles, sûrement les plus connues ; les caroténoïdes ; les flavonoïdes et les bétalaïnes.

Champs. Vivek Kumar Unsplash

Il y a 4 sortes de chlorophylles, responsables de la couleur verte des tiges et des feuilles. Si la chlorophylle a, productrice de toute la gamme des verts, est la plus abondante chez toutes les plantes terrestres et aquatiques, il n’en est pas de même pour la b, la c et la d. La chlorophylle b se retrouve chez la plupart des plantes vertes et apporte une coloration jaunâtre. La chlorophylle c, est présente chez les algues brunes, par exemple les diatomées, algues brunes microscopiques, et leur confère une couleur dorée à brune. Enfin, la présence de chlorophylle d dans un organisme permet de classer celui-ci parmi les cyanobactéries. Précisons que la belle couleur verte de votre chewing-gum dit à la chlorophylle n’a rien à voir avec le goût herbacé, sucré-poivré que vous appréciez. La chlorophylle en elle-même n’a pas de goût et n’est là que pour la couleur de la gomme à mâcher.

Les caroténoïdes sont des substances que nous retrouvons chez toutes les plantes vertes et toutes les algues mais aussi dans d’autres organismes microscopiques comme des cyanobactéries. Un végétal permet d’apprécier la palette des couleurs produites par les caroténoïdes : les carottes. Leur couleur peut aller du quasi blanc au violet foncé en passant par toutes les nuances de jaune et d’orange. Le groupe des carotènes, fait de molécules de carbone et d’hydrogène, est responsable de ces couleurs chez la carotte, mais aussi du rouge de la tomate ou encore de la couleur rose de la chair du pamplemousse.

Pamplemousse. Charles Deluvio Unsplash

Le groupe des xanthophylles, de même composition que les carotènes mais additionné de molécules de dioxygène, permettra d’obtenir le jaune des grains de maïs. Il existe plusieurs déclinaisons de ces deux groupes, apportant à chaque fois une subtilité de couleur aux végétaux. En été les caroténoïdes sont masquées par les chlorophylles. Par contre en automne, les caroténoïdes, et particulièrement les xanthophylles, augmentent par rapport aux chlorophylles. Ces dernières diminuent en même temps que la durée du jour et donc de la photosynthèse, ce qui fait apparaître les magnifiques couleurs jaune orangé de la saison.

Automne. Samuel Pagel/Unsplash

Les flavonoïdes, de jaune à crème, seront responsables de la couleur du vin blanc par exemple. Citons aussi le groupe des anthocyanes, des pigments présents uniquement dans la vacuole des plantes. Ils sont dépendants du milieu et notamment de son acidité, et donnent aux fruits et aux fleurs des couleurs, rose, rouge, bleue ou encore violette. Par exemple, les hortensias roses peuvent, par variation des anthocyanes en milieu acide, devenir bleus. La pomme de terre vitelotte, les aubergines, les cerises, les myrtilles ou encore les mûres sont riches en anthocyanes.

Enfin, les bétalaïnes, qui ne sont jamais présentes avec les anthocyanes, permettent d’obtenir des couleurs jaune ou rouge foncé – violet, également en fonction de l’acidité du milieu. Les bétalaïnes se retrouvent dans moins d’une quarantaine de familles de plantes. Ces pigments donnent leur couleur aux betteraves rouges, aux figues de barbarie et aux pétales des bougainvilliers, par exemple.

Rôles des pigments végétaux

Les chlorophylles et les caroténoïdes sont par excellence les pigments de la photosynthèse. Ce processus chimique permet la conversion par les plantes, grâce à l’énergie lumineuse, de molécules simples comme l’eau et le dioxyde de carbone, en sucre, et plus précisément en glucose. Le glucose sert alors de molécule énergétique aussi bien aux végétaux qu’aux organismes qui les consomment. De plus, le fait que les pigments absorbent les rayons lumineux protège les plantes contre le soleil. La forte intensité lumineuse crée des dégâts cellulaires, notamment sur les molécules de dioxygène les rendant toxiques pour l’organisme (radicaux libres). Les flavonoïdes vont ainsi avoir un rôle d’antioxydant et de lutte contre les radicaux libres. C’est crucial, par exemple, pour les fleurs de haute montagne comme la Rose de Colombie.

La couleur donnée aux différents organes des plantes n’est pas anodine. Elle confère notamment aux fleurs et aux fruits plus d’attractivité, de visibilité par rapport aux insectes pollinisateurs et aux animaux. Ainsi, les fleurs colorées, pour la plupart en jaune ou en bleu, vont se détacher du milieu ambiant. De quoi attirer les insectes qui, en plus, perçoivent des taches et des lignes sombres, proches des glandes à nectar : ils seront ainsi guidés vers le pollen à disséminer. Une fleur comme le myosotis tire ainsi un grand profit de la couleur de ses pétales et de sa collerette. Ses pétales évoluent du blanc au bleu, alors que la collerette centrale passe du jaune chez la jeune fleur immature, à l’orange chez la fleur à féconder et enfin au blanc chez la fleur dont l’ovule a été fécondé grâce aux pollinisateurs. Chez la fleur adulte, en plus du nectar produit, la collerette orange participe donc à l’attraction des insectes qui transféreront le pollen vers l’ovule.

Myosotis sylvatica. Bernard Dupont/Wikipedia, CC BY-SA

Pour les fruits, le but est le même : disséminer l’organisme notamment grâce à aux graines, et sur de longues distances. Pour cela, les plantes « utilisent » le système digestif des animaux : cela s’appelle l’endozoochorie. Outre la valeur nutritionnelle des fruits charnus entourant les graines à disséminer, la couleur de fruits va participer grandement à l’attractivité de la plante pour les oiseaux ou les mammifères. Imaginons une fraise bien rouge grâce à ses anthocyanes, elle sera beaucoup plus appétissante pour les oiseaux. Ceux-ci vont ingérer le fruit avec ses graines, qui seront alors rejetées dans leurs déjections, permettant ainsi aux fraisiers de disséminer leurs graines loin des premiers plants et conquérir de nouveaux territoires. Outre les fraises, les cerises, les baies de l’if, de l’églantier ou de la myrtille sont des fruits particulièrement colorés et donc attractifs pour la dissémination.

Fraises. Farsai c. Unsplash

Pigments de Lascaux

Depuis des milliers d’années, les humains ont compris que ces pigments pouvaient leur être utiles. Il est apparu que les couleurs employées dans les peintures rupestres de la grotte de Lascaux (il y a 20 000 ans) étaient d’origine naturelle : animale, minérale et aussi végétale. Chez les Égyptiens, les pigments utilisés, bleus et verts, semblent avoir été synthétisés à partir de sable, de cuivre, et de cendres végétales, qui étaient sûrement riches en substances naturelles.

Au fil des siècles, les pigments naturels ont été de plus en plus employés pour la peinture et la teinture. Dès le XVIe siècle, le bleu indigo est extrait des feuilles de l’Indigotier. La couleur bleue intense est obtenue après séchage en plein air – et donc oxygénation – des tissus ou encore des cheveux à colorer. La couleur bleue peut aussi se faire plus douce, plus pastel. Car avant la découverte de l’indigotier, la couleur bleue était extraite des feuilles d’une plante herbacée, déjà utilisée par les Égyptiens, les Grecs et les Romains, Isatis tinctoria ou Pastel. Cette couleur bleue, nommée le « Pastel des teinturiers », « Bleu Charron » ou « Bleu de Guède » a été récemment redécouverte, faisant la réputation d’un village du Gers, Lectoure et son Bleu de Lectoure.

Pelotes bleu indigo. Oscar Aguilar/Unsplash

Citons encore la gaude ou réséda des teinturiers, Reseda luteola L., dont la plante renferme des flavonoïdes, principalement le lutéolol. L’extraction du pigment permet l’obtention du pigment jaune de Gaude. Contrairement aux pigments bleus plutôt utilisés pour le lin et le coton, le jaune de Gaude a été utilisé pour la coloration de la soie. À la Renaissance, le pigment était mélangé à des coquilles d’œufs et du plomb et utilisé pour peindre les enluminures et illustrations des livres médiévaux.

Actuellement les pigments naturels végétaux sont de plus en plus recherchés par l’industrie, mais aussi par le public. En cosmétique, les tutoriels « do it yourself » foisonnent pour créer son propre gloss ou son vernis à ongles et de le colorer à volonté. La pelargonidine acyl glucoside (anthocyanes) peut être extraite des radis et apporter de la couleur rouge. D’autres anthocyanes apporteront aux cosmétiques une touche de rose, voire de fuchsia, après leur extraction des patates douces pourpres. Le violet peut être tiré des anthocyanes et flavonoïdes issus des fruits du sureau noir. Il faut toutefois rester prudent et s’assurer de la non-toxicité du pigment. Dans le domaine industriel, des sociétés de cosmétiques « bio » utilisent désormais le pigment phycocyanine issu de la spiruline (Arthrospira platensis) pour colorer en bleu ses produits.

Dans l’industrie pharmaceutique, on exploite aussi les pigments naturels. Pour protéger les peaux du soleil, les caroténoïdes sont très utilisés, et notamment dans des gélules. Les pigments des carottes ou des cyanobactéries (Arthrospira platensis)vont nous protéger comme antioxydants mais aussi vont nous aider à obtenir un teint hâlé… avec des cuisses toutes roses !

Mangez des carottes ! Dan Gold/Unsplash

Concernant les médicaments, une étude récente a montré que la marénnine, pigment bleu-vert issu d’une micro algue marine, Haslea ostrearia, présenterait un pouvoir anticancéreux, cela restant à confirmer. De même, en 2005, des chercheurs espagnols ont développé un système prometteur pour faire produire en masse le pigment lutéine (caroténoïdes) à des micro algues Muriellopsis. Le pigment agirait sur les nerfs optiques ainsi que sur la rétine et éviterait la dégénérescence maculaire humaine.

Enfin, les pigments végétaux ont trouvé leur place dans nos cuisines en tant que colorants alimentaires. Pendant longtemps, seuls les caroténoïdes étaient employés pour renforcer la couleur des carapaces de crevettes, la chair des volailles ou les jaunes d’œufs. On utilise aujourd’hui les pigments, au goût neutre, dans les plats cuisinés ou les sucreries. La phycocyanine de spiruline a été autorisée dans les gommes à mâcher, les glaces ou encore les bonbons. Pour beaucoup ce pigment naturel remplace le bleu E131 d’origine chimique. Les anthocyanes du raisin ou encore de la carotte « noire » donnent de superbes couleurs violacées à nos plats, et les carotènes, des nuances de jaune et d’orange. Les pigments naturels des végétaux peuvent rendre nos petits plats plus appétissants, alors profitons de cette palette de couleurs. Et mangeons des carottes !

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