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Pourquoi les festivals nous manquent vraiment

Communion émotionnelle à Tomorrowland Belgium, en 2019. Nico Didry, Author provided

Même si l’heure est à la réouverture des lieux culturels, nous n’aurons pas tous l’occasion de retrouver notre fameux rendez-vous de l’été pour la deuxième année consécutive une grande majorité des festivals de musiques actuelles étant reportés à 2022. Avec plus de 7,5 millions de festivaliers en 2019 uniquement sur les gros festivals de musiques actuelles français, ces rassemblements festifs sont bien ancrés dans l’imaginaire estival, au même titre que le Tour de France. Mais plus qu’une activité culturelle ou de loisir, le festival revêt une fonction sociale bien spécifique. Il s’agit ici de resituer le rôle de ces rassemblements devenus des rituels communautaires, avec une approche à la fois anthropologique, ethnologique et sociologique de la fête. En quoi le festival répond-il à nos besoins d’un point de vue social ?

Communion émotionnelle et tribalité

Selon l’approche postmoderne, le phénomène de société lié aux festivals, associé à une croissance de sa démographie – quantité de public, nombre d’événements – peut être envisagé dans le contexte global d’un retour des alchimies festives et du culte du plaisir, faisant la part belle aux affects et des émotions. Cet engouement représente le « triomphe du vouloir-vivre collectif sur l’individu, de la joie dionysiaque sur les morales arides ». En somme, il correspond à une tendance sociétale fortement ancrée dans laquelle les rassemblements humains festifs ou sportifs ont pris une ampleur considérable.

Au Hellfest, rendez-vous annuel de la tribu metal, en 2016. AFP

Le festival est donc à aborder par la notion du lien et de la communauté, dans la mesure où il répond, au travers de cette valeur de lien, au besoin des individus « postmodernes » de satisfaire leur désir de communauté. La pratique festivalière s’envisage alors au travers du lien social comme un phénomène tribal dans lequel les festivals constituent une « transhumance culturelle, un nomadisme festif ».

Dans ces tribus, même éphémères, ce qui prévaut, c’est d’être relié à l’autre, « de développer un sentir en commun et de faire de l’être ensemble le cœur de ces rassemblements » selon Ferrand. Il n’y a pas de finalité sinon le plaisir d’être là et de vivre ensemble ces effervescences musicales. Au-delà de la programmation, la motivation première de nombre de festivaliers est de partager leurs émotions, de vivre une expérience émotionnelle collective.


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Permettre l’évasion… et l’orgie

Provoquant une rupture spatio-temporelle avec le quotidien, le festival permet de vivre un véritable réenchantement du monde et du quotidien. Il est alors le symbole du retour de l’imaginaire, du rêve, du plaisir, du désir et de la fête. Cet aspect dionysiaque des festivals est à mettre en corrélation avec la constance dionysiaque de la société que décrit Maffesoli dans « sa » sociologie de l’orgie.

Dans le prolongement de cette réflexion, Dolfès considère l’orgie « comme une condition assez proche des formes d’exaltations néo-tribales, dont on peut observer les manifestations constantes dans les divers festivals rock, métal, grunge, etc. ». En effet, les festivals peuvent permettre de réunir les deux marginalisations, temporelle (carnavals, fêtes) et spatiale (pleine nature, forêt), et la caractéristique nocturne, qui sont les conditions de l’orgie. L’orgie, en cimentant le collectif, assure la pérennité de ce qu’il appelle la socialité de base.

Mon étude sur les festivals montre que ces effervescences collectives qui permettent de produire des émotions collectives (vivre la même émotion au même moment et en être conscient) sont une composante primordiale du festival. Des études sur Tomorrowland ou encore le festival Burning Man ont monté que ces rassemblements peuvent même servir de catharsis, libérant les tensions et émotions intérieures, notamment en permettant de transgresser les normes et règles sociales.

Enfin, et quel que soit le type de festival, il donne la possibilité aux individus d’exister à l’instant présent via cette composante tribale (sociale) et festive, mais aussi en aval du festival par le partage de leur expérience sur les réseaux sociaux. Aspect d’autant plus important « qu’à l’ère de l’information, l’invisibilité équivaut à la mort ». Ici encore, le partage social des émotions, qu’il soit en réel ou en virtuel, dépend de l’intensité des émotions ressenties. Plus l’émotion vécue est forte, plus on va avoir envie de la partager, car c’est une manière de revivre cette émotion. Le festival donne ainsi la possibilité de vibrer et vivre plus intensément à l’instant T mais aussi à posteriori. Bien qu’éphémère, il s’inscrit donc dans la durée.

Vivre un rituel communautaire

C’est le Woodstock Music and Art Fair, rassemblement emblématique de la culture hippie en 1969, qui signa la véritable naissance des festivals en tant qu’événement rituel, acte fondateur d’une pratique culturelle qui n’a cessé d’évoluer et de se développer jusqu’à l’heure actuelle, tandis qu’émergeaient de nouveaux styles musicaux et que se développaient des pratiques culturelles associées. Les fondamentaux du festival sont cependant restés inchangés : une programmation musicale associée à des activités et animations révélatrices et/ou constitutives de la culture dudit festival.

Le mythique festival de Woodstock, en 1969. Rv1864/Flickr

Saint Exupéry décrivait le rite comme un moment « qui fait qu’un jour est différent des autres, une heure des autres heures ». Il s’agit en d’autres termes d’une « parenthèse sociale dramatisant et esthétisant les rapports ».

Les rites sont présents à tous les niveaux de la vie de l’individu. La consommation n’échappe pas à cette ritualisation. Les célébrations rituelles émaillent notre quotidien : rentrée des classes, Toussaint, Noël, premières neiges, ménage de printemps, fête des mères, etc. Durkheim les définissait comme des règles de conduite qui prescrivent à l’homme comment se comporter avec les choses sacrées. Le rite contient aussi une part de magie, dès lors qu’il a le potentiel de transformer la réalité.

L’ensemble des penseurs accorde au rite une fonction sociale importante : les événements ritualisés tissent ou retissent du lien. Ils produisent aussi de la mémoire, du partage et de l’appartenance. Les rituels sociaux sont particulièrement efficaces dans l’amélioration du sentiment d’appartenance à un groupe et pour l’intégration sociale. D’ailleurs pour Lardellier, les rites célèbrent toujours une communauté en même temps que des valeurs. Cet aspect communautaire se situe soit au niveau du festival (par exemple la communauté métal avec le Hellfest, la communauté psytrance avec le Hadra) soit à un niveau interpersonnel au sein des groupes d’amis.

Le rituel vestimentaire des groupes d’amis – Musilac 2017, Tomorrowland Belgium 2019 et Tomorrowland Winter 2019. Nico Didry

Ainsi, le rite possède une dimension communautaire au-delà de sa dimension sociale : « toute relation sociale a besoin de rites pour se développer et se maintenir, et tout groupe social a besoin de rites pour affirmer et réaffirmer son existence et l’appartenance de ses membres ».

Ainsi, l’expérience de festival doit être envisagée comme un rituel communautaire et appréhendée comme un pèlerinage païen permettant la célébration symbolique des liens unissant les membres d’une communauté. En ce sens, la finalité sociale de ces rassemblements festifs et communautaires, dont les valeurs (ici liées à la musique principalement) vont fédérer les individus, sont à analyser de la même manière que les rassemblements religieux (messes, pèlerinages), politiques (meetings, manifestations) ou encore sportifs.

Ils répondent à nos besoins de communion collective, mis à mal par la pandémie depuis mars 2020. Les nombreux festivals qui n’auront pas lieu vont d’autant plus nous manquer cet été.

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