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Pourquoi les OGM végétaux font-ils peur et pas les gènes-médicaments ?

Pete Linforth/Pixabay

Dans l’animalerie des petits êtres que les chercheurs ont l’habitude de décrire et de transformer en laboratoire, les composés issus des manipulations du vivant tiennent une place à part. Cette singularité prend sa source dans la diversité des productions biologiques rendues possibles par les techniques de transformation de l’ADN, regroupées sous le vocable de génie génétique. Trois exemples, parmi d’autres : les hormones de croissance prescrites pour les enfants atteints de nanisme ; les thérapies géniques (où l’on introduit du matériel génétique dans les cellules d’un malade en vue de le soigner) et les plantes transgéniques.

La recherche biotechnologique est active mondialement. Pixabay

Une particularité des productions du génie génétique provient de leur capacité à faire régulièrement la manchette des journaux. L’application des outils de la biologie moléculaire sur les plantes et les animaux suscite plus spécifiquement la controverse. Mais tous ces outils ne sont pas traités de la même façon : pourquoi certaines biotechnologies entraînent elles facilement l’adhésion, tandis que d’autres provoquent d’emblée de la défiance ? Faut-il aller chercher la réponse dans les mythes modernes du bien-manger (de la nourriture bio aux restrictions sur le gluten ou le lactose), du corps sain (sportif, mince, équilibré et durable) ou bien dans la structure complexe des relations de confiance/défiance entre les pouvoirs publics, la recherche et l’opinion publique ?

La réponse que je donne ici n’exclut pas ces dimensions anthropologiques et politiques, mais mon attention porte sur le binôme risque avéré/risque perçu. Je pose l’hypothèse que la politisation de controverses autour de l’usage d’une technologie est plus probable quand les risques perçus concernent l’échelle populationnelle même si les risques avérés sont négligeables.

Une perception différente du risque

L’interprétation traditionnellement donnée à la forte médiatisation du génie génétique repose sur l’idée que l’opinion publique serait plutôt récalcitrante à consentir aux essais et à la commercialisation de ces technologies fondées sur les propriétés du monde vivant.

Cette vision doit être fortement nuancée. Prenons un exemple pour expliquer la cacophonie médiatique dont ces outils font l’objet : le génie génétique est à l’origine de la production d’une substance, l’antithrombine recombinante, qui vise à empêcher la formation de caillots sanguins. C’est la même technologie qui rend possible la production de plantes transgéniques dotées d’une résistance à un pesticide. Dans le premier cas, il s’agit d’une protéine humaine d’intérêt médical synthétisée par des chèvres génétiquement modifiées produisant du lait ; dans le second, on transfert un gène dans les cellules végétales, organisme hôte, dans l’objectif de faire exprimer un nouveau trait d’intérêt agronomique par la plante.

Le riz doré, génétiquement modifié pour être enrichi en vitamine A. IRRI Photos/Flickr, CC BY-NC-SA

Bien entendu, ces mécanismes ne sont pas toujours faciles à comprendre pour les non-spécialistes. Curieusement, les biotechnologies à portée médicale provoquent peu de rejets et apparaissent relativement moins controversées que leurs homologues à finalité agricole. Le sondage Eurobaromètre 2010 sur les biotechnologies indique que près de trois Européens sur cinq approuvent la recherche transgénique à finalité médicale sur les animaux et les thérapies géniques humaines, tandis que seulement 3 sur 10 considèrent qu’une pomme ayant intégré un gène étranger ne présente pas de risque… À cet égard, le public européen est très suspicieux à l’égard des aliments génétiquement modifiés (61 %). Cette attitude amène l’association française pour l’information scientifique à questionner légitimement ce paradoxe à propos de l’affaire du riz doré, un OGM enrichi en vitamine A : Un OGM pouvant sauver des vies serait-il politiquement incorrect ?

Nature du risque perçu et confiance politique.

Les technologies se rapportant à l’environnement et à la santé sont distinguables au niveau de la nature même de leurs risques. Ainsi, le domaine environnemental renvoie à des situations qui affectent collectivement et de façon simultanée le quotidien d’une société ou d’un corps professionnel. Les préoccupations sur la qualité de l’eau, la pollution par les moteurs diesel ou le risque lié à l’exposition à l’amiante nous concernent tous simultanément.

Tout message de communication à propos de ces technologies implique alors d’opérer « holistiquement » sur des perceptions collectives, ce qui n’est pas dénué d’effets sur la nature du risque perçu. En effet, si un individu a deux collègues de travail qui développent un cancer de la plèvre lié à la présence d’amiante, il a statistiquement intérêt à consulter son médecin et à militer pour que son environnement professionnel réponde à des conditions optimales de salubrité. C’est pourquoi ces types d’enjeux se prêtent plus facilement à une politisation radicale avec le désir pour certains, de devenir des acteurs agissants de la concertation.

Cette nature du risque est à contraster avec celle des biotechnologies médicales qui se rapporte préférentiellement, aux yeux des citoyens, à la seule sphère privée d’un individu ou tout au plus, à l’univers familial. Les procréations médicalement assistées ou les techniques d’accompagnement de la fin de vie nous concernent tous, mais pas simultanément et ni de façon interdépendante.

Si une personne est amenée à consommer de la viande rouge en grande quantité, augmentant ainsi son risque de survenue de cancer – ou si sa fin de vie est difficile, il n’y a absolument pas de corrélation statistique entre sa situation clinique personnelle et la probabilité pour son voisinage d’être confrontée à sa situation. En termes de communication, le ciblage est ici individualiste, parce que ces technologies se rapportent aux seuls choix individuels.

Il peut y avoir une « politisation de l’intime », notamment autour des questions de la contraception, de la procréation et de la fin de vie, mais ces sujets rentrent difficilement dans les clivages politiques classiques. Leur irréductibilité provient en grande partie du fait qu’ils rencontrent des enjeux particuliers à la sphère privée, ce qui les intègre derechef dans le champ non moins controversé de la bioéthique. Les attitudes politiques sont ici plus ambivalentes, marquées par un désir de plus grande liberté pour des questions qui relèvent de la sphère privée tout en souhaitant que cette liberté soit socialement certifiée. Ces luttes passent fréquemment par le jeu des associations.

Une communication scientifique liée aux attitudes politiques

Dans le champ du génie génétique, la question de la communication n’est pas univoque. Même si les technologies de modification génétique sont parfois comparables entre elles au niveau des procédés et des risques avérés, le risque perçu par le citoyen peut différer selon le secteur social considéré. Cette notion de risque perçu est donc une variable déterminante dans la compréhension des comportements politiques et les phénomènes de politisation.

En ce sens, la controverse autour des OGM est emblématique puisque le risque avéré des technologies de modification génétique se prête difficilement à la généralisation des produits obtenus et leur singularité ne les rend pas a priori plus menaçants que d’autres produits qui n’auraient pas subi cette préparation. Un OGM ne serait pas plus dangereux que le sourire du flamant rose, pour faire écho au célèbre ouvrage de Stephen Jay Gould.

Pour autant, la question environnementale apparaît difficilement détachable d’un impératif démocratique en raison de la nature du risque perçu. Si les produits du génie génétique ne présentent pas plus de risques avérés que les variants naturels, cela ne suffit pas à bloquer la politisation autour de leur dangerosité. C’est pourquoi, depuis plus de vingt ans, les Européens accordent majoritairement leur confiance à la profession médicale en ce qui concerne l’introduction de gènes humains dans les animaux à des fins thérapeutiques, tandis qu’ils se réfèrent plutôt aux organisations de consommateurs et de protection de l’environnement lorsqu’il est question de culture en plein air des plantes génétiquement modifiés (Eurobaromètre 1996). Comment mieux communiquer de telle sorte que les attitudes politiques soient davantage déterminées par les risques avérés plutôt que par les risques perçus ?

Renouveler nos catégories de désignation des biotechnologies.

Comme le rappelle à juste titre le dernier rapport de l’Académie des sciences, l’enjeu principal de l’expertise technico-scientifique consiste à fournir une évaluation ex-ante adaptée aux modalités décisionnelles des pouvoirs publics, c’est-à-dire traduisible dans la pratique réglementaire. Pour autant, expliciter davantage les propriétés scientifiques d’une biotechnologie dénuée de risques avérés n’est pas toujours suffisant pour calmer les inquiétudes. Communiquer autour des risques suppose de porter attention aux déterminants des risques perçus.

Certains de ces déterminants sont sémantiques. Ainsi, le terme « génétiquement modifié » est un marqueur sociojuridique qui ne désigne pas une catégorie d’organismes naturellement fondée sur un plan biologique. Il ne constitue même pas une réalité juridique comparable en Europe et en Amérique du Nord. L’écart existant entre le monde vivant et les constructions culturelles que nous utilisons pour décrire ces organismes est susceptible d’engendrer des malentendus dans la communication publique autour des risques.

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