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Pourquoi Mark Zuckerberg investit des milliards dans « l’enseignement personnalisé »

L'école dans l'an 2000, imaginé par Jean-Marc Côté en 1899. Jean-Marc Côté/Wikimédia

Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, mise sur l’enseignement personnalisé pour répondre aux principales difficultés auxquelles le système éducatif est actuellement confronté. C’est l’un des quatre principaux secteurs que financera la Chan Zuckerberg Initiative, créée par sa femme, Prescilla Chan, et lui-même, et dotée de 41,5 milliards d’euros.

Tandis que certains observateurs ergotent sur le fait de savoir s’il s’agit d’un geste philanthropique ou d’une stratégie commerciale avisée, d’autres aimeraient savoir en quoi consiste exactement l’enseignement personnalisé. Car en dépit du soutien enthousiaste d’une partie des responsables politiques, il n’en existe toujours pas de définition claire.

Dans le monde de l’éducation, on fait valoir que les bons professeurs pratiquent déjà cet enseignement en adaptant le matériel pédagogique et leurs méthodes à chaque élève. D’autres qualifient cette méthode d’antidote à la bureaucratie scolaire centralisée et verticale, et soulignent qu’au terme « personnalisé » peuvent se substituer « individuel », « axé sur l’élève » ou « modulé ». Personne ne sait encore comment les enseignants sont censés soutenir cet apprentissage, doté de ressources personnalisées en fonction du nombre d’élèves, ni qui en assumera les frais.

Mark Zuckerberg en a pourtant une définition très claire. Il s’agit, pour les enseignants, de « travailler avec les élèves dans le but d’adapter l’instruction à leurs besoins et intérêts individuels ». Bien que sa plateforme d’enseignement personnalisé soit indépendante de Facebook, les principes qui la sous-tendent sont les mêmes : la technologie remplace le travail humain et des algorithmes fournissent aux utilisateurs un contenu basé sur l’analyse de leur comportement antérieur et de leurs intérêts manifestes. Elle rappelle la manière dont fonctionne le fil d’actualité sur Facebook et d’autres modèles de personnalisation commerciale basés sur les commentaires et l’analyse comportementale.

Au vu des bouleversements que risquent d’entraîner ces nouvelles approches et technologies dans le domaine de l’éducation, on peut se demander si l’investissement dans cette méthode pédagogique personnalisée n’est pas un coup de poignard dans le dos du corps enseignant, indépendamment de ses effets stimulants sur la Silicon Valley.

Les dangers de cet enseignement

Le projet de Mark Zuckerberg a trois défauts majeurs. D’abord, l’éducation a toujours consisté à acquérir des connaissances et des compétences en rapport avec une profession, mais aussi une culture générale. En concentrant l’enseignement sur les seules matières qui intéressent les élèves, le risque est de former beaucoup de spécialistes et peu de généralistes.

Ensuite, si l’on épargne aux élèves la confrontation avec une façon d’apprendre qui ne leur convient pas exactement, ils pourraient être amenés à souffrir ensuite, dans la vraie vie, de leur incapacité à s’adapter aux modes de fonctionnement qui ne sont pas les leurs.

Les gens étant différents, ils n’apprennent pas tous de la même façon. algogenius, CC BY

Enfin, loin d’être figées, les préférences des élèves varient en fonction de leur environnement. Seule une démarche humaine permettra d’établir un contenu adapté à chacun. Un processus automatisé risquerait de dépersonnaliser l’enseignement et de réduire à leur portion congrue les échanges entre enseignant et élèves. Confier l’enseignement à la technologie serait courir le risque d’un appauvrissement du lien social que tissent élèves, enseignants et parents, indispensable à tout apprentissage efficace.

Il faudra également s’assurer que les données des élèves ne seront pas utilisées à mauvais escient. Enregistrer les progrès personnels, les préférences et les besoins de chacun soulève le risque d’atteinte à la vie privée. À ce titre, l’exemple récent de Vtech, dont les jouets et gadgets connectés ont été piratés, dévoilant des millions d’images et de conversations enfantines, est édifiant. Qui décidera des données à collecter et de la façon dont elles seront conservées et exploitées ?

Bien que l’enseignement personnalisé génère un grand nombre de problèmes complexes relatifs au dialogue, à la collaboration, au pouvoir et aux actions des élèves, il présente aussi des perspectives d’avenir passionnantes.

En quoi il peut s’avérer utile

La motivation est indispensable à un apprentissage efficace. L’enseignement personnalisé procure aux élèves un sentiment d’autonomie et de pertinence de l’information. De même, les évaluations personnalisées ont la réputation d’être efficaces.

Ces valeurs sont au cœur du réseau de mini-écoles AltSchool, qui a récemment levé près de cent millions d’euros de fonds (en partie grâce à Mark Zuckerberg, qui a contribué à son développement). La personnalisation de l’enseignement proposé par AltSchool se fait par le croisement des données collectées sur la réussite, les notes, les résultats aux tests de mémoire et le niveau d’énergie des élèves, en fonction de leurs centres d’intérêt et de leurs inclinations.

Comment rassembler les pièces du puzzle que constitue l’enseignement personnalisé. Jason Devaun, CC BY-ND

Nous ignorons encore jusqu’à quel point cela fonctionne, si tant est que ce soit le cas. Ce que nous savons, c’est qu’il ne s’agit que d’une des nombreuses méthodes d’enseignement personnalisé, et qu’elle est étayée par des témoignages pour le moins ambigus. L’implication de Mark Zuckerberg risque de la faire passer pour la nouvelle, voire la seule, solution éducative. Cela ne serait pas mérité, pas plus que la promesse irréaliste d’un monde merveilleux où l’on tiendrait compte des différences entre étudiants.

Une approche consensuelle

D’autres structures, comme les plateformes adaptatives de cours informatiques telles que Smart Sparrow ou Pearson, associent données des utilisateurs et contenu éducatif standard. L’enseignement personnalisé selon McGraw Hill permet aux éducateurs de choisir un plan d’apprentissage adaptatif ou personnalisé. Le premier établit un calendrier des matières qui tient compte du rythme de chacun, tandis que le second propose un cours modulable en fonction de ce que l’enseignant estime être le plus adapté à l’élève.

Tant que l’enseignement personnalisé sera perçu comme un moyen d’ajuster et de personnaliser l’apprentissage en fonction des besoins des élèves, mais aussi de l’expérience des professeurs et du cursus obligatoire de l’établissement, il offrira des perspectives encourageantes. Comme l’écrivent Mike Sharples et ses collègues de l’Open University dans leur compte rendu 2015 sur la pédagogie innovante, l’enseignement personnalisé peut s’avérer très productif quand il est associé à des outils d’analyse émotionnelle, à un investissement de la part de l’élève, et à une évaluation dynamique et discrète.

Pour ce faire, il sera nécessaire de formuler une stratégie combinant les besoins des élèves et ceux des enseignants en matière d’éducation. Un tel projet demande du temps, de la réflexion et la coopération de tous les acteurs impliqués. Il ne peut être expédié par le simple fait d’injecter des millions d’euros dans les nouvelles technologies, même si l’on est Mark Zuckerberg.

Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour Fast for Word.

This article was originally published in English

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