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Pourquoi nous marcherons ce samedi pour les sciences

Les échanges et les rencontres entre chercheurs de toutes nationalités sont la condition au progrès médical et scientifique. Kzenon/Shutterstock

Cette année, le jour de la Terre qui se tient le 22 avril prend un sens particulier. En effet, partout dans le monde des Marches pour les sciences sont organisées. Cet évènement a été initié aux États-Unis pour défendre l’indépendance et la liberté de la recherche. En France, on marchera dans toutes les grandes villes, et même à Civray (Vienne) ou à Saint Remy de Provence (Bouches-du-Rhône).

L’indépendance et la liberté, ces deux piliers de la science, sont essentielles non seulement pour les chercheurs mais aussi pour l’ensemble des citoyens. C’est seulement en garantissant l’une et l’autre que la recherche avance sous toutes ses formes, fondamentale, translationnelle (l’art d’appliquer concrètement les découvertes fondamentales) et clinique (impliquant les patients). Aussi le décret migratoire adopté par Donald Trump au lendemain de son élection constituerait, s’il devait être appliqué, une entrave au progrès médical et scientifique.

Il faut, au contraire, favoriser toujours plus les échanges à travers la planète, via des collaborations entre les équipes et le partage des résultats de leurs travaux. Qu’ils soient pionniers ou qu’ils soient dérangeants, ces résultats apportent tous une pierre à un édifice en construction. Tant qu’ils suscitent le débat, ils constituent un moteur essentiel de l’avancement des connaissances.

Tout au long de notre carrière en tant que chercheur, nous tissons des réseaux entre scientifiques de tous les pays. Et cela commence dès nos études, quand nous mettons le premier pied dans un laboratoire. Nous y croisons non seulement des mentors qui nous permettent de nous construire professionnellement, mais aussi de nombreux collègues de la même discipline et d’autres, avec lesquels nous serons amenés à interagir par la suite. De ces rencontres naissent des idées, de nouvelles pistes s’ouvrent.

Un « oui » par retour de fax

Après ma thèse sur la plasticité du génome, soutenue à Paris en 1988, je me suis focalisée sur un aspect spécifique du sujet qui m’a conduit à envisager un départ à l’étranger. J’avais en effet identifié, aux États-Unis, un chercheur en épigénétique que mon projet d’expérimentation sur les œufs de xenope (une grenouille très étudiée en biologie du développement) pouvait intéresser. Avec un peu de culot, j’ai envoyé par fax – c’était l’ère pré-Internet – le descriptif de mes travaux à Alan Wolffe, biologiste qui venait de créer son équipe au National Institutes of Health (NIH) à Bethesda, siège des institutions chargées de la recherche biomédicale publique. J’étais jeune, un peu effrayée par l’aventure, j’ai timidement proposé de venir trois mois seulement et obtenu un « oui » enthousiaste par retour de fax.

Nous ne nous étions jamais rencontrés et à mon arrivée à l’aéroport, Alan Wolffe a brandi en signe de reconnaissance… un poster d’œufs de xenope ! Lui même était britannique et dans son laboratoire frayait un mélange de chercheurs de nombreuses nationalités, bulgare, russe, japonais. J’y suis restée finalement plusieurs années, avant de revenir en France et d’intégrer l’unité de l’Institut Curie dirigée par Ethel Moustacchi, spécialiste en génotoxicologie (l’étude du potentiel toxique des substances chimiques pour l’ADN).

Décédée récemment, Ethel Moustacchi avait vu le jour au Caire, de parents grecs. Elle était arrivée en France pour y poursuivre ses études supérieures. Figure de l’excellence dans son domaine, elle m’a beaucoup inspirée, notamment par sa conviction que la recherche était tout sauf un métier solitaire. Nos chemins se sont longtemps mêlés, puisque j’ai pris sa suite à la tête de l’unité, en 1994.

Se confronter à d’autres manières de raisonner

Dans le même état d’esprit, ouvert et curieux des autres cultures, des chercheurs de tous les pays travaillent ou ont travaillé à mes côtés : Britanniques, Italiens, Allemands, Espagnols, Irlandais, Grec, Portugais, Roumains, Australiens, Algériens, Chiliens, Brésiliens, Américains, Russes, Indiens… Car la démarche scientifique consiste à toujours remettre en cause nos certitudes. Comment mieux s’y prendre qu’en se confrontant sans cesse à d’autres manières de raisonner et d’aborder la vie ?

Le récent bouleversement politique aux États-Unis nous a fourni une préfiguration de ce que serait un monde où des barrières se dresseraient à la place des frontières. Début avril, je me suis rendue à Santa Fe (Nouveau-Mexique), où je co-organisais un congrès sur le thème de l’instabilité génomique et de la réparation de l’ADN. Pour la première fois, prendre l’avion pour l’Amérique se transformait en une épopée nécessitant de redoubler de précautions.

Les services du CNRS ont en effet invité tous leurs chercheurs partant, comme moi, pour les États-Unis, à leur communiquer la destination et le motif de leur voyage, afin de pouvoir réagir rapidement si l’un d’eux se trouvait bloqué par les douanes américaines. Cette mesure a été prise suite aux ennuis rencontrés par l’historien Henry Rousso, retenu pendant 10 heures le 22 février à l’aéroport de Houston. Ainsi, je suis partie pour Santa Fe avec en poche la liste des numéros de téléphone de l’ambassade de France aux États-Unis et des consulats, fournie par le CNRS.

Une fois sur place, dans le centre de congrès, les orateurs se sont succédé à la tribune, comme pour n’importe quel symposium… à un détail près. La plupart ont mentionné l’appel à la Marche pour les sciences du 22 avril (dans sa version anglophone March for science). Une manière de manifester leur volonté de défendre une science ouverte par nature sur le monde et leur solidarité avec les chercheurs des pays visés par le décret migratoire. Pendant les pauses, les discussions allaient bon train, mélangeant sujets scientifiques et inquiétudes liées aux incertitudes politiques.

Des coups portés contre les valeurs du questionnement et de tolérance

Il y a, bien sûr, le financement de la recherche aux États-Unis qui pourrait être directement menacé, comme l’indique une proposition portant sur une coupe budgétaire de 18 % pour les NIH. Mais ce qui suscitait le plus d’émoi, c’était les coups portés contre les valeurs du questionnement et de tolérance inhérentes à la démarche scientifique.

Cette même préoccupation existe en France, et entraîne des initiatives. En mars, le Collège de France a lancé un Programme d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil, Pause. Il permet aux établissements de recherche d’obtenir des aides financières pour accueillir dans leurs équipes les chercheurs obligés de fuir leur pays d’origine en raison d’une situation politique critique. Un astrophysicien syrien vient ainsi de commencer à travailler à l’Observatoire de Paris.

Pour ma part, je n’oublie pas que j’exerce mon métier dans les lieux mêmes où Marie Curie, double prix Nobel, a poursuivi ses travaux sur la radioactivité, juste avant et après la Première Guerre mondiale. Venue de Pologne, cette femme, exilée, est devenue une scientifique qui a parcouru l’Europe et voyagé jusqu’aux États-Unis. Elle a accueilli le monde entier dans son Institut du radium, où elle a découvert les vertus thérapeutiques de cet élément pour lutter contre le cancer. Marie Curie n’était pas un professeur Cosinus enfermé dans son laboratoire mais une citoyenne engagée. Son histoire me parle à une époque où la capacité d’écouter les autres se fait plus rare et où promouvoir la diversité devient critique.

Un des slogans des organisateurs français de la Marche pour les sciences. www.marchepourlessciences.fr

La recherche a ceci de particulier que la réussite des individus dépend à la fois de leur capacité à coopérer et de leur volonté d’entrer dans la compétition au niveau international. Dans la communauté scientifique, l’esprit critique est une force qui permet de réviser sans arrêt les modèles et les théories sur lesquels nous nous appuyons. Ainsi, nous progressons ensemble, communiquant sur nos propres avancées et nous inspirant de celles des autres. Samedi, avec tous ceux qui nous rejoindront à la Marche pour les sciences, défendons une culture d’ouverture et de questionnement, celle de tous les possibles pour demain.

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