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Les effets sonores produisent-ils une musique standardisée? Dan Machold/flickr, CC BY-NC-SA

Pourquoi toutes les chansons commerciales sonnent pareil

S’il vous arrive d’écouter les radios grand public, vous avez peut-être l’impression que toutes les chansons se ressemblent. En réalité, ce n’est pas qu’une impression : la science semble confirmer que la musique pop revêt une forme assez homogène depuis ses débuts, et tend à le devenir de plus en plus.

Dans une étude de 2014, des chercheurs américains et autrichiens ont analysé plus de 500 000 albums issus de 15 genres musicaux et 374 sous-genres. La complexité de chaque genre et son évolution dans le temps a été mise en regard avec les ventes d’albums. Et dans presque tous les cas, les chercheurs ont découvert que plus un style devient populaire, plus le son qui y est associé se standardise.

L'impression diffuse que tous les titres se ressemblent. pexels

En soi, ça ne veut pas dire grand-chose, dans la mesure où, en musique, de nouveaux genres et sous-genres apparaissent sans cesse. On pourrait même dire que cette découverte est une forme de truisme : évidemment, quand les codes d’un genre musical sont bien établis, ce genre devient de plus en plus populaire, et une fois qu’il s’est installé dans le paysage musical, un nouveau genre (ou sous-genre) « rebelle » apparaît. C’est par exemple le cas de la funk music, née de la soul et du RnB, mais avec des basses et des rythmiques beaucoup plus prononcées.

En 2012, une autre étude s’est penchée sur l’évolution de la musique pop occidentale en utilisant un fonds d’archives impressionnant, le « Million Song Dataset », qui renferme des données très détaillées sur le contenu de chaque chanson. Les chercheurs ont découvert qu’entre 1955 et 2010, la sensation subjective de volume sonore (sonie) des chansons n’a cessé d’augmenter, tandis que leur structure musicale était de moins en moins variée.

Ce ne sont certes que des tendances – mais cette perception d’une homogénéisation du paysage musical, partagée par bien des auditeurs, semble s’accélérer ces dernières années, peut-être à cause de certaines évolutions technologiques.

La guerre du volume

La compression dynamique du son est l’ajustement automatisé de la dynamique sonore pour augmenter la sensation subjective de volume sonore (sonie) tout en gardant le même niveau maximal lors du mastering des albums et de leur diffusion radio. Ce système devait au départ réduire les trop grandes variations de volume dans un même titre.

Mais un usage trop systématique de la compression a abouti à une « course au volume » (« loudness war »). La faute au musicien qui ne veut pas sonner moins fort que les autres, au producteur qui veut créer un « mur sonore », aux ingénieurs du son qui ajustent le volume au cours de l’enregistrement, à ceux qui préparent le son pour le diffuser à la radio et enfin aux radios eux-mêmes, qui cherchent à attirer un maximum de d’auditeurs.

Poussez le volume. Jeff Wilson

Mais le pire de cette course au volume est peut-être derrière nous. Les spécialistes de l’audition s’inquiètent désormais des dommages provoqués par l’exposition fréquente et prolongée à des volumes sonores trop élevés, tandis que les musiciens dénoncent ses dégâts sur la qualité du son. Une journée annuelle de la compression (Dynamic Range Day) a même été organisée pour sensibiliser à la question, et l’organisation à but non lucratif Turn me Up ! ! a été créée pour promouvoir des enregistrements dont la gamme dynamique est plus étendue. Les organisations de normalisation ont aussi mis en place des recommandations sur la mesure du volume et de la dynamique sonore à l’usage des radios. Autant d’initiatives qui montrent que la course au volume tend à s’essouffler.

Auto-tune

Il y a une autre tendance, qui, elle, semble s’installer dans la durée : l'usage de l'auto-tune. Il s’agit à l’origine de l’invention d’un ingénieur de l’industrie pétrolière, qui sert aujourd’hui à corriger la tonalité des chanteurs, et dont les producteurs de musique usent et abusent.

C’est une banale conversation qui a mené à l’invention de l’auto-tune. Antares, CC BY

De 1976 à 1989, Andy Hlidebrand a travaillé dans l’industrie pétrolière, où il interprétait des données en rapport avec l’activité sismique. Il envoyait des ondes sonores dans le sol pour le cartographier et connaître les sites à explorer afin d’y puiser du pétrole. L’ingénieur – surnommé Dr Andy – a aussi étudié la composition musicale à l’Université Rice de Houston, au Texas, et s’est servi de ses connaissances dans les deux domaines pour développer des outils de traitement audio – dont le plus connu est sans conteste l'auto-tune.

Une révolution discutable ? believekevin, CC BY

Lors d’un dîner, l’une des convives lui a lancé un défi : inventer un outil qui l’aiderait à chanter juste. En se fondant sur la technologie du vocodeur de phase, qui utilise les maths pour manipuler la représentation des signaux sous forme de fréquence, Hildebrand a imaginé des techniques qui permettent d’analyser et de traiter le son pour produire des sons harmonieux. Sa société, Antares Audio Technologies, a lancé l’auto-tune fin 1996.

À l’origine, l’auto-tune sert à corriger ou dissimuler les fausses notes. Le procédé permet de déplacer la hauteur d’une note vers le demi-ton le plus proche (c’est à dire vers l’intervalle musical le plus proche dans la musique tonale occidentale, fondée sur la gamme tempérée)

Au départ, l’auto-tune était équipé d’un régulateur paramétrable entre 0 et 400 millisecondes pour déterminer à quelle vitesse la note passait à la hauteur souhaitée. Mais rapidement, les ingénieurs du son se sont rendus compte que ce régulateur pouvait servir à déformer les voix et à les faire bondir d’une note à l’autre tout en sonnant toujours parfaitement juste. En plus, l’utilisation de cet effet donne une texture artificielle à la voix, qui sonne presque comme un synthétiseur – un effet qui irrite ou qui plaît en fonction des goûts musicaux.

Cet effet inédit est devenu la marque de fabrique de Cher avec son hit de 1998, « Believe », le premier titre commercial dans lequel les « effets secondaires » d'auto-tune sont parfaitement assumés et audibles.

Bien sûr, comme pour beaucoup d’autres effets audio, les ingénieurs comme les artistes ont trouvé le moyen d’utiliser l’auto-tune de façon créative, en le détournant de son objectif initial. Hildebrand s’en étonne lui-même : « Je n’aurais jamais imaginé qu’une personne saine d’esprit puisse faire ça », dit-il. Et pourtant Auto-Tune et ses concurrents comme Melodyne font désormais partie intégrante du paysage musical (amateur ou professionnel, tous styles confondus), tant pour ses applications classiques que pour ses possibles détournements.

L’effet est devenu si banal que tous les enregistrements de pop commerciale se doivent de l’utiliser ; Pour les critiques, c’est une des raisons pour lesquelles tant de chansons sonnent pareil, même si la course au volume et la surproduction musicale y sont aussi pour quelque chose. Et parmi les plus jeunes – ceux qui ont grandi en écoutant de la musique « auto-tunée » – beaucoup pensent que le chanteur n’a pas de talent si sa voix n’a pas été trafiquée.

L'auto-tune est devenu un sujet de blagues sur les médias sociaux, à la télévision et à la radio ; Time Magazine l’a même nommé parmi les « 50 pires inventions de tous les temps ». Cela étant, l’effet auto-tune continue à faire son chemin, que ce soit sous forme subtile ou de manière plus visible. Alors, si vous n’arrivez pas à distinguer un titre de Chris Brown d’une chanson de Kanye West, c’est peut-être la faute de Dr Andy.

This article was originally published in English

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