Menu Close

Premier débat : Hillary Clinton n’a pas gagné, et Donald Trump n’a pas perdu

Le dragon et la première de la classe côte à côte lors du premier débat organisé à New York. Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Ils étaient plusieurs dizaines de millions devant leur écran, dans la nuit de lundi à mardi, pour assister au premier débat entre Hillary Clinton et Donald Trump. Mais il faudra attendre quelques jours pour savoir si le record de tous les temps – celui de la finale de football américain de l’année dernière – a été battu : 114 millions, quand même, ça fait du monde !

Mais tous ces téléspectateurs ne seront peut-être pas au rendez-vous pour le prochain débat, qui aura lieu le 9 octobre, car ils n’ont pas assisté au pugilat qu’ils espéraient, plus ou moins secrètement. Les deux candidats, dont l’impopularité atteint des sommets jamais vus pour des aspirants à la Maison-Blanche, croisaient le fer autour de trois grands thèmes : la direction des États-Unis, la prospérité et la sécurité.

« Un odieux mensonge »

Il y a bien eu quelques tentatives d’attaques, mais sans réelle conviction. « Donald Trump a commencé sa carrière politique sur un odieux mensonge en prétendant que le président des États-Unis était étranger et musulman », peut-on retenir de la part d’Hillary Clinton, dans ce qui a été un des deux moments-clés du débat.

Elle faisait alors allusion à une affaire qui empoisonne la campagne comme elle empoisonne la vie politique américaine depuis plusieurs années : cela repose sur ce qu’on appelle aux États-Unis le mouvement « birther », une polémique aussi inutile qu’incompréhensible, et qui a obligé Barack Obama à produire son certificat de naissance voici trois ans.

Donald Trump s’est empêtré hier soir dans cette histoire, qu’il a largement exploitée pendant les primaires mais dont il ne sait plus comment sortir. L’affaire se retourne aujourd’hui contre lui, donnant l’impression qu’il y aurait une conspiration raciale aux États-Unis, au détriment des Afro-Américains, et Donald Trump étant un de ceux qui soufflent sur les braises. Sur cette question, Hillary Clinton s’est révélée une fine stratège : elle a ainsi laissé le milliardaire parler, parler et parler encore, s’enfonçant un peu plus à chaque mot. Ce moment a dû sembler bien long à l’équipe de campagne du Républicain, comme il l’a été pour les téléspectateurs.

Le dragon et la première de la classe

Ce fut d’ailleurs la tonalité générale d’un débat qui avait été présenté comme le débat du siècle et promettait d’être un show extraordinaire. On savait qu’Hillary Clinton était solide sur ses dossiers : elle l’a prouvé, déroulant avec calme et méthode les différents éléments de son programme. Elle a donc rempli son contrat et les observateurs en ont tiré l’impression diffuse qu’elle serait la gagnante de la soirée.

Mais, encore une fois, on peut être surpris de ne pas la voir terrasser le dragon sans aucune expérience que représente Donald Trump d’après la rhétorique et le ton général de sa campagne. Car, si le débat a donné l’occasion d’un échange un peu plus musclé entre les deux candidats, les échanges ont été plutôt équilibrés sur des sujets qui sont d’une grande importance : l’économie, la sécurité intérieure et le terrorisme ont été au centre des discussions. On a donc parlé emplois, impôts et Irak, en opposant programme contre programme. Pas de petite phrase qui dénote, pas de geste ou d’attitude qui mériterait qu’on s’y attarde : il ne s’est rien passé d’extraordinaire.

Bien sûr, Hillary Clinton a régulièrement averti les électeurs qu’il fallait vérifier les déclarations de Donald Trump et celui-ci a expliqué, à plusieurs reprises, qu’elle n’avait pas l’étoffe pour être présidente. Ses remarques tombaient d’ailleurs souvent plutôt mal à propos : il était plus qu’évident que l’ancienne secrétaire d’État était parfaitement préparée, voire surentraînée. La première de la classe n’a pas déçu dans son rôle et aura rassuré ceux qui avaient encore besoin de l’être.

Donald Trump, pour sa part, a tenu la dragée haute pendant la première demi-heure. L’heure qui a suivi n’a toutefois pas été à son avantage et Hillary Clinton a dominé, mais sans arriver jamais à asséner le coup final. Une seule attaque a été mieux portée, lorsqu’elle a affirmé qu’on ne pouvait pas donner les codes nucléaires à un homme capable de se mettre en colère pour un tweet contre lui.

Quarante jours de campagne

Si le débat a été musclé, parfois un peu viril, il n’y a pas de gagnant qui a émergé, mis à part le modérateur Lester Holt, qui a parfaitement tenu son rôle. Hillary Clinton a été la plus à l’aise et peut être satisfaite de sa soirée. Elle a démontré qu’il est plus prudent de bien se préparer. « Et je me suis également préparée à être présidente des États-Unis », a-t-elle insisté à destination de ceux qui ne l’avait pas encore compris. Mais peut-être pourrait-elle méditer une autre phrase qu’elle a elle-même prononcée : « Je sais que vous vivez dans votre monde mais la réalité est différente ». Car la réalité pour Donald Trump était de ne pas s’écrouler, d’apparaître crédible et de ne pas décevoir ses supporters.

Le débat vu de Columbia (Caroline du Sud). Sean Rayford/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP

Or, sur ce plan-là, il a parfaitement rempli son contrat. Utilisant son espace médiatique avec l’habileté qu’on lui connaît, il a même réussi à construire des ponts en direction des cibles qu’il privilégie : les électeurs des États clés, les swing states. Ils sont en effet une poignée qui décideront du sort de l’élection, dont ceux de la Rust Belt, l’ancien centre industriel américain aujourd’hui sinistré. C’est à eux que Donald Trump s’est adressé en prenant des exemples tirés d’expériences « en Ohio ou dans le Michigan », qui ont souffert de la crise.

Si on ne fait pas l’impasse sur le talent de stratège de l’homme d’affaires, on peut alors considérer qu’il a également franchi ce premier obstacle. Match nul ou léger avantage à Clinton, cela signifie également qu’il n’y a pas de défaite de Trump : il sait bien qu’il aura deux autres débats pour décocher des flèches. D’ailleurs, alors qu’Hillary Clinton a tiré à boulets rouges, utilisant même un peu maladroitement et dans la précipitation celle de l’attaque sexiste, qu’elle n’a pas su exploiter comme elle aurait dû, on ne peut s’empêcher de remarquer que Donald Trump a retenu ses coups sur l’affaire des emails, dont il a pourtant fait l’ossature de sa campagne. Est-ce pour mieux porter son attaque au tour suivant ?

Décidément, cette campagne est loin d’être finie et les indécis risquent de l’être encore pendant quelques jours. Les quarante derniers jours de campagne vont être très tendus et promettent de nouveaux rebondissements.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,400 academics and researchers from 4,911 institutions.

Register now