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Préserver le français hors Québec : pas facile en temps de confinement

En ce temps de confinement, les enfants instruits en français à l’extérieur du Québec sont-ils suffisamment exposés à cette langue pour maintenir leurs acquis et entreprendre l’apprentissage en ligne de manière autonome ?

Au Canada hors Québec, on retrouve quelque 3,9 million d’enfants inscrits dans les écoles. Plus d’un demi-million d’entre eux, soit 12,8 %, sont instruits en français. Selon Statistique Canada, en 2017-2018, 430 119 élèves (11 % de tous les élèves au Canada hors-Québec) étaient inscrits à des programmes d’immersion en français et 167 259 élèves (4 %) dans des écoles de langue française.

Cela dit, en 2018, la grande majorité des élèves dans les classes de maternelle des écoles de langue française de la région du nord-est de l’Ontario étaient anglophones. Quoiqu’il existe encore des francophones dans ces régions, selon un rapport du Commissariat aux langues officielles publié en 2016, il y a moins d’enfants admissibles à l’école de langue française. Cela fait en sorte que plusieurs enfants « non-admissibles » sont acceptés afin de hausser les effectifs. Plusieurs écoles de langue française sont donc constituées d’enfants ayant comme langue maternelle l’anglais.

En vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur l’éducation en Ontario, on accorde aux enfants le droit de fréquenter les écoles de la minorité de langue officielle, dont les écoles de la langue française. Ces enfants sont identifiés comme étant des « ayants droit ».

Étant donné la pandémie actuelle, et le confinement qu’elle impose, plusieurs parents et enseignants s’inquiètent du maintien des compétences linguistiques en français de leurs enfants ou élèves qui vivent dans des communautés linguistiques minoritaires où l’anglais prédomine. Avec la hausse du temps libre, et forcément du temps d’écran, vient une hausse de l’exposition à l’anglais chez ces élèves. En fait, selon une étude pancanadienne, la grande majorité des enfants (environ 70 %) consomment des médias anglophones à la maison.

Orthophoniste et professeure agrégée à l’Université Laurentienne, ma recherche porte principalement sur le maintien d’une langue minoritaire dans un contexte anglophone ainsi que l’impact du bilinguisme et du trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) sur les compétences langagières des enfants qui ont un trouble développemental du langage. Je suis la fondatrice d’un groupe de recherche et de discussion ainsi que l’animatrice d’un balado qui sert à sensibiliser les gens sur la communication.

S’exposer entre 40 % et 60 % du temps de veille au français

On retrouve deux types d’écoles canadiennes dont l’enseignement est transmis en français. Ces systèmes diffèrent légèrement d’une province à une autre. En Ontario, il y a les programmes d’immersion française au sein d’écoles de langue anglaise et les écoles de langue française. Ces dernières se distinguent des programmes d’immersion. Elles ont été établies par et pour la minorité dans le but de freiner l’assimilation des Franco-Canadiens. Les programmes d’immersion, quant à eux, se destinent à la majorité. Ils offrent aux élèves l’occasion d’accéder à un bilinguisme fonctionnel. Les écoles de langue française utilisent une pédagogie du français, tandis que les programmes d’immersion utilisent une pédagogie de langue seconde.

Il va sans dire que le contexte linguistique, les attentes, la pédagogie, le contexte social, la dynamique des classes, les enseignants et les élèves varient considérablement entre ces deux modes.

Toutefois, un constat réunit ces deux modes d’enseignement : afin d’apprendre et de maintenir une langue, qu’elle soit notre première ou seconde, il faut y être suffisamment exposée. L’important est que l’enfant ait plusieurs occasions d’entendre et pratiquer la langue. Selon une étude canadienne, les enfants bilingues doivent être exposés à une langue au moins 40 % de leur temps, afin de la comprendre aussi bien qu’un enfant natif monolingue. Cependant, 60 % d’exposition est nécessaire afin que le vocabulaire expressif des enfants bilingues soit comparable à celui des enfants monolingues natifs de cette langue. Ainsi, afin d’atteindre la maîtrise du français, l’enfant a besoin d’interactions riches, constantes et de qualité avec cette langue.

Comment préserver la langue française pendant la pandémie, lorsque l’exposition à celle-ci est réduite de façon draconienne ?

Plusieurs conseils scolaires ont affiché des stratégies sur leur site web pour aider les parents à augmenter l’exposition au français pendant la pandémie. Par exemple, le visionnement d’émissions télévisées anglaises doublées en français (ex. Netflix), le visionnement d’émissions télévisées en français (ex. ICI TOU.TV), l’utilisation d’applications françaises comme Jeux pour lire chez les plus jeunes et 1jour1actu chez les adolescents, l’écoute de baladodiffusions en français, la lecture de livres en français, l’écoute de livre audio (ex. Audible), le clavardage entre amis et membres de la famille élargie, le clavardage vidéo, etc.

Des stratégies actives pour maintenir son niveau de français

La plupart des stratégies énumérées ci-haut sont de nature passive, c’est-à-dire que les enfants entendent le français, mais ne sont pas tenus de l’employer. Le dicton « on s’en sert ou on le perd » est très pertinent pendant ce confinement. Il importe donc de créer des moments de la journée pendant lesquels les enfants utilisent la langue française, soit à l’oral, soit à l’écrit.

J’ai préparé des ressources pour les parents avec plusieurs des stratégies énumérées ci-haut, parmi d’autres. Elles se retrouvent sur mon site web. Ces stratégies incluent la création de vidéo ou d’albums photo avec des sous-titres en français, des appels vidéos avec les membres de la famille qui parlent le français, l’usage d’applications qui nécessitent l’épellation de mots (ex. Scrabble) et l’emploi de mots clés au cours de la journée. Ce sont des mots plus soutenus ou littéraires qui ne sont pas nécessairement rencontrés dans le quotidien des enfants, mais qui sont très importants pour l’apprentissage scolaire ainsi que pour la compréhension en lecture.

J’ai diffusé des épisodes à Parlé en balado/The Parlé Podcast en français et en anglais afin d’aider les parents à choisir ces mots clés et de les utiliser dans divers contextes. Par exemple, le mot « effrayé » peut être expliqué par « avoir peur » et « réfléchir » par « penser ». Plusieurs études ont montré que même les enfants de la maternelle et du jardin d’enfants peuvent les apprendre et que les bienfaits sont nombreux.

Vaut mieux peu que pas du tout

Cependant, même avec les stratégies énumérées au cours de cet article, il demeure difficile pour plusieurs familles d’atteindre un niveau d’exposition au français de 40 % à 60 % du temps de veille de l’enfant. Ces stratégies, qu’elles soient passives ou actives, reposent sur l’appui de parents déjà surmenés par les innombrables tâches qui se sont ajoutées à leurs activités quotidiennes depuis le confinement.

Une chose est certaine, en faire un peu, c’est mieux que de ne rien faire. L’important est d’établir une routine à la maison pour tenter d’augmenter l’exposition au français. Il faut trouver des occasions pour parler le français tous les jours et s’y tenir. Ça peut être un repas, une activité particulière comme le temps du bain, une émission télévisée, la lecture d’un livre, un clavardage vidéo avec des membres de la famille, ou même un Skype, FaceTime ou un Zoom avec des amis francophones.

Je suggère d’établir un plan afin de donner une structure à la conversation. Pour les plus jeunes, ça peut être un genre de chasse aux trésors (par exemple, décrire quelque chose de jaune dans une pièce, ce qu’on a mangé pour le petit déjeuner). Pour les plus vieux, cela peut être une discussion d’une émission en français visionnée.

Devrions-nous nous attendre à un déclin des compétences linguistiques en français des jeunes qui proviennent de foyers exogames ou anglophones ? Nous le saurons dans l’avenir.

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