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Présidentielle : Marianne en souffrance

Marianne sur la colonne des Girondins, à Bordeaux, Patrice Catalayu/Flickr, CC BY-SA

Voici venir le temps des derniers tours de piste pour les candidats à l’élection au suffrage universel direct d’un président ou d’une présidente de la République française. Mode d’élection historiquement marqué d’opprobre depuis le coup d’État du 2 décembre 1851, crime perpétré par le prince-président de la République Louis Napoléon Bonaparte, il fut imposé au forceps en 1962 par le général de Gaulle, accepté par un référendum populaire peu respectueux des termes de la Constitution.

De parlementaire le régime devint présidentialiste, ou « mi-présidentiel, mi-parlementaire », mariant l’élément essentiel du régime présidentiel, l’élection du Président de la République au suffrage universel – système imparfait aux États-Unis où le président Trump a été élu avec plus de 2 millions de suffrages de moins qu’Hillary Clinton – et les ingrédients du régime parlementaire par l’existence d’un premier ministre à la tête d’un gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale élue au suffrage universel.

Jusqu’à l’élection de 2017, ce mode d’élection avait connu un enracinement paisible dans les mœurs de la Ve République, mais les circonstances politiques actuelles amènent beaucoup d’observateurs à s’interroger sur l’efficacité voire la pérennité de ce mode d’élection. Toutefois, on peut considérer que ce système peut et doit être maintenu à condition d’entreprendre des réformes qui tiennent compte de plusieurs éléments dans l’évolution politique du pays : le passage de la « bipolarisation » à la « tripolarisation » de la vie politique, et les règles de la moralisation de la vie politique que l’on impose aux candidats, au nom de la transparence en démocratie.

Un mode d’élection enraciné dans la vie politique française

En 55 ans, les sévères propos de Gaston Monnerville, Président du Sénat, dans son discours du 9 octobre 1962, sont oubliés :

« L’élection du président de la République au suffrage universel ne fera que créer la confusion des pouvoirs. Elle donnera raison à un pouvoir personnel, omnipotent, incontrôlable, irresponsable (…) C’est proprement abolir la démocratie. »

Non seulement ce ne fut pas le cas, mais de nombreuses nations entreprirent les réformes constitutionnelles pour adopter ce type de modèle, notamment en Russie après la chute du régime communiste.

Plusieurs sondages récents révèlent que près de 90 % des Français adhéreraient à ce système qui fait donc de l’élection présidentielle un grand moment de la vie politique avec un taux de participation au vote élevé, même s’il a un peu régressé au fil du temps.

L’organisation de l’élection déterminée par l’article 7 de la Constitution permet, avec ou sans primaires organisées par les grands partis, d’avoir un nombre important de candidats au premier tour, mais un duel au second tour.

Cette organisation correspondait bien à la bipolarisation de la vie politique qui a longtemps régi le fonctionnement des institutions, grâce aussi au scrutin majoritaire adopté pour l’élection des députés (sauf un retour fugitif à la représentation proportionnelle sous le gouvernement de Laurent Fabius dans les années 80).

Le record inégalable de Mitterrand

À l’élection présidentielle, celui qui obtenait la majorité des voix au second tour : soit le champion de la droite (allié ou non au centre), soit le champion de la gauche, toutes composantes de droite ou de gauche regroupées pour le second tour. Ainsi en fut-il à droite pour Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac lors de sa première élection et Nicolas Sarkozy. À gauche pour François Mitterrand pour ses deux mandats, 14 ans de présidence (record désormais impossible à battre) ; puis François Hollande démontrant que le système permettait démocratiquement l’alternance.

Georges Pompidou en 1965. Steiner, Egon/Wikimedia, CC BY-SA

Toutefois, quelques exceptions à ce schéma virent le jour : en 1969, au second tour, c’est un candidat du centre, Alain Poher, qui fut opposé à Georges Pompidou, l’affaiblissement et les divisions passagères de la gauche ayant exclu la présence d’un de ses candidats au deuxième tour avant « l’union de gauche ».

D’autre part, les prémices des effets de la tripolarisation se sont révélés lors de la réélection de Jacques Chirac en 2002, lorsque Lionel Jospin – candidat de la gauche et premier ministre sortant – a été éliminé au premier tour, le Front national représenté par Jean-Marie Le Pen étant arrivé second. Le réflexe de l’attachement aux valeurs fondamentales de la République, dont certaines ne sont pas respectées par le programme du Front national, avait alors permis à Jacques Chirac de bénéficier d’un report des voix de la gauche engendrant un score historique de 82,2 % des voix, le score le plus élevé jamais obtenu par un candidat à l’élection présidentielle au suffrage universel, devant celui du Prince-président Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1848 sous la Seconde République.

Champions blessés

Mais voici qu’en 2017, la mise en œuvre de ce système se trouve grevée de tant de dysfonctionnements qu’il amène les analystes de la vie constitutionnelle et politique comme les citoyens, souvent via les réseaux sociaux, à considérer que ces nouveaux tours de piste répondent mal aux impératifs de la démocratie pluraliste. Ceux-ci devraient aboutir à désigner à la tête de l’État un candidat capable d’exercer cette « charge suprême », et de transcender les divisions en vue d’assurer le meilleur avenir possible aux citoyens français.

Or, comme dans la pièce de Corneille, Horace, tous les champions seront blessés dans cette lutte et le dernier survivant, c’est-à-dire le vainqueur sera, dès son élection, fragilisé par les blessures qui lui ont été infligées lors du combat. La tripolarisation résulte de la montée en puissance du Front national qui recueille près du tiers des intentions de vote, et réduit ainsi l’espace politique de la gauche et de la droite à la portion congrue de deux tiers des suffrages.

François Fillon, triomphateur aux primaires, et champion blessé. Franck Pennant/AFP

Jamais l’éclatement au sein de la droite et de la gauche n’a donné naissance à autant de programmes irréconciliables. En outre, la fragilisation sur le plan de l’éthique républicaine de transparence et de probité qui touche certains candidats entraîne la campagne électorale dans un maelström dévastateur aux yeux de la plupart des citoyens désabusés.

Jamais ces tours de piste n’avaient été aussi chaotiques, malaisés, soumis à des bourrasques et même des tempêtes politiques successives en vue de susciter l’abandon de certains concurrents ou de les discréditer, sous le regard de plus de 40 millions de spectateurs-acteurs que sont les électrices et électeurs.

Marianne est en souffrance.

La crédibilité politique et morale au centre des débats

Navrant spectacle que celui de la dénonciation des scandales, des querelles, suscitant la valse hésitation des supporters qui après avoir acclamé un candidat, le huent jusqu’à lui demander d’arrêter la course avant de l’acclamer de nouveau le lendemain, « contraints » et forcés car aucun autre candidat ne se présente à l’horizon. Quant aux primaires, elles ont éliminé à droite comme à gauche les candidats qui semblaient avoir une stature d’homme d’État.

Lors du rassemblement autour de Jean-Luc Mélenchon, le 19 mars, à Paris. Eric Feferberg/AFP

Ainsi, l’on est en train de dévoyer l’esprit de la campagne, qui selon une expérience démocratique positive, devrait permettre aux concurrents d’exposer clairement et contradictoirement leur programme politique, dont la réalisation entraînerait des modifications du mode de vie des citoyens au cours des années qui viennent, dans un environnement national européen et international qui inquiète.

Mais voici que l’essentiel du débat porte, non de ces programmes, mais sur la crédibilité politique et morale des candidats.

On en vient à douter de l’efficacité du système, gangrené par ces « affaires » et à craindre que la substance de notre démocratie n’en soit affectée, embourbée dans ce cloaque politique au détriment des vrais débats.

On ne peut souhaiter que le Président qui sortira en tout état de cause des urnes, sans être le sauveur de la France, annonce par certains avec emphase contre l’évidence, réussisse dans sa mission – ce qui lui sera bien difficile.

Un mode d’élection à pérenniser… et à moderniser

Malgré ces turbulences, peu de commentateurs postulent le retour à un mode d’élection différent, par exemple par les assemblées ou un collège élargi comme autrefois.

Jacques Chirac, en 2006. Remibetin/Wikimedia, CC BY-SA

Le système a globalement bien fonctionné même au cours des neuf années de cohabitation, d’abord avec un Président de gauche obligé de désigner, par deux fois, un premier ministre de droite, puis un Président de droite obligé de désigner un premier ministre de gauche, par la volonté du peuple exprimée par des élections législatives entraînant une discordance entre la majorité présidentielle et la majorité législative. Les institutions et les hommes se sont pliés à cette situation, sans que la vie politique, économique et sociale en soit profondément altérée.

Sans doute faudrait-il regrouper et clarifier les règles de la moralisation de la vie publique, de telle manière que la vérification approfondie a priori de la sincérité des déclarations patrimoniales des candidats, la « légalité » de leurs relations avec les deniers publics, et leur situation au regard d’incriminations pénales potentielles, permettent de ne retenir la candidature que de candidats au-dessus de tout soupçon.

Des primaires problématiques

D’autre part, l’institution coutumière de primaires au sein de la droite et de la gauche entraîne plus de difficultés qu’elle n’en résoud, alors même qu’un certain nombre de candidats ne se sont pas pliés à ce jeu des primaires, qui ont en 2017 engendré un désordre dévastateur. Soutenir qu’un candidat est investi d’une légitimité démocratique d’airain parce qu’il a obtenu 2 millions de suffrages, c’est oublier les 38 millions d’électeurs qui ne se sont pas exprimés et ont ainsi fait l’économie de 2 euros.

Georges Clemenceau, le Tigre fut congédié en 1920.

Le phénomène des primaires est moins nouveau qu’on ne le croit. Sous la IIIe République existait un tour préalable « indicatif », avant l’élection réelle par la Chambre des députés et le Sénat réunis en Assemblée nationale – députés et sénateurs étant les seuls électeurs –, et les candidats devaient normalement se plier aux résultats de cette « primaire », au nom d’une éthique républicaine traditionnelle.

En 1913, Raymond Poincaré, battu par Jules Pams lors de ce vote indicatif, maintint pourtant sa candidature et fût élu. George Clémenceau lui reprocha vivement.

En 1920, George Clémenceau, âgé de près de 79 ans, était naturellement candidat à la présidence de la République, lui, « le tigre », le « père la victoire », le plus populaire des Français. Mais son anticléricalisme choquait les députés catholiques majoritaires dans la nouvelle chambre « bleu horizon », et l’on suscita contre lui la candidature de Deschanel, qui le battit à ce tour indicatif. Fidèle à la sa morale républicaine, George Clémenceau ne se présenta pas à la présidence.

Le feu au bûcher

Le premier ministre anglais Lloyd Georges, stupéfait, déclara « cette fois ce sont les Français qui ont brûlé Jeanne d’Arc » et l’on sait ce qu’il advînt de la présidence de Paul Deschanel. Si ses thuriféraires affirment qu’un candidat est le sauveur de la France, comme Jeanne d’Arc, qu’il prenne garde à ce que les citoyens français ne mettent le feu au bûcher qui l’immolera comme victime propitiatoire sur l’autel d’une démocratie exigeant de ses gouvernants la transparence et la probité.

Ce sont là quelques éléments de réflexion qui méritent d’être approfondis pour sauvegarder l’essentiel, c’est-à-dire l’émergence de candidats expérimentés, charismatiques, alliant courage, force, capacité de jugement sur les évolutions de la société et les relations internationales, capacité de dialogue, de sagesse et de souplesse dans les consultations avant de prendre des décisions.

Aboutira-t-on à ce que la personne élue ne déçoive ni ses électeurs, ni ceux qui n’ont pas voté pour lui et gère convenablement la France en étant garant et gardien des valeurs républicaines au profit de tous les citoyens. Qui répondra aux inquiétudes de Marianne ? La réponse est dans le vent de l’histoire.

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