Menu Close

Pesticides et biodiversité, les liaisons dangereuses

Une machine agricole répandant des pesticides dans un champ
La contamination de l'environnement par les pesticides (largement utilités en agriculture) contribue largement au déclin de la biodiversité. Nicolas Duprey/Flickr

Avec environ 300 substances détenant au niveau européen une approbation valable pour la France, les produits phytopharmaceutiques, plus communément appelés « pesticides », sont largement utilisés pour protéger les cultures des organismes vivants nuisibles.

Ils sont toutefois accusés de contribuer à l’érosion de la biodiversité, aux côtés d’autres facteurs comme la détérioration et la destruction des habitats, le changement climatique, et la surexploitation des espèces.

Mais qu’en est-il réellement ?

Pour répondre à cette question, l’Ifremer et INRAE viennent de conclure une expertise scientifique collective portant sur les effets des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques.

Conclusion : la contamination des milieux terrestres (incluant l’atmosphère) et aquatiques par les produits phytopharmaceutiques contribue au déclin de la biodiversité, et impacte le fonctionnement des écosystèmes et de certains services qu’ils nous rendent. Cependant, le rapport identifie également plusieurs leviers capables de réduire cet impact.

Une contamination de tous les milieux

Le développement des réseaux de surveillance de l’environnement et l’amélioration des méthodes d’échantillonnage, mais aussi d’analyse permettent d’avoir une connaissance de plus en plus fine de la contamination environnementale par les produits phytopharmaceutiques, en métropole comme en outre-mer.

Cette contamination est complexe. Déjà, parce qu’elle implique plusieurs molécules : les substances actives, leurs produits de transformation, ainsi que des adjuvants et des co-formulants utilisés dans les préparations commerciales.

De plus, elle est inégalement répartie en fonction des propriétés physico-chimiques des molécules : les insecticides sont essentiellement retrouvés dans les sols, les sédiments et les organismes, alors que les herbicides sont plutôt dans l’eau.

Les zones agricoles dans lesquelles les produits phytopharmaceutiques sont majoritairement utilisés sont – très logiquement – les plus contaminées, que ce soit au niveau des sols, de l’air, des cours d’eau qui les traversent et des eaux côtières adjacentes. Les organismes qui y vivent sont également contaminés, témoignant ainsi de leur exposition.

Cependant, la contamination de l’environnement et des organismes dépasse largement ces zones agricoles. Certaines molécules vont se diffuser le long du continuum terre-mer jusqu’à plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres de leur lieu d’utilisation.

Ainsi, des molécules interdites depuis de nombreuses années (comme le DDT, le lindane ou le HCB) sont retrouvées dans les grands fonds marins, à 3 000 mètres de profondeur.

Une biodiversité fragilisée

Les données scientifiques analysées dans le cadre de cette expertise renforcent le lien de causalité entre l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et le déclin constaté depuis plusieurs décennies de certaines populations, notamment dans les espaces agricoles.

C’est en particulier le cas des invertébrés terrestres (incluant des insectes pollinisateurs et des prédateurs naturels de certains ravageurs des cultures) et aquatiques. Par exemple, pour les macroinvertébrés des cours d’eau européens (comme certaines larves d’insectes et des mollusques), il est estimé que les produits phytopharmaceutiques peuvent induire jusqu’à 40 % de pertes au sein de ces populations.

Les insecticides (comme les néonicotinoïdes et les pyréthrinoïdes) apparaissent comme les familles de molécules les plus impliquées dans ces effets sur les invertébrés terrestres et aquatiques.

C’est également le cas des oiseaux, en raison essentiellement de l’intoxication par des insecticides néonicotinoïdes, ainsi que des effets indirects découlant de la raréfaction de leurs ressources alimentaires causée par le déclin des insectes.

Oiseau au corps brun, aux ailes noires avec une bande jaune et un masque rouge. Il est en en vol, sur le point de rejoindre d’autres oiseaux au sol
Les oiseaux sont particulièrement vulnérables aux pesticides. Jeff-Photo/Flickr, CC BY-NC-ND

Cet exemple illustre le fait que les produits phytopharmaceutiques agissent à la fois au travers d’effets directs de la molécule sur les organismes et d’effets indirects. Outre la réduction des ressources alimentaires, ces derniers impliquent notamment la détérioration ou la destruction des habitats naturels.

Les produits phytopharmaceutiques (en interaction avec d’autres facteurs de stress) sont également fortement suspectés de contribuer au large déclin des populations de chauves-souris et d’amphibiens.

Concernant les effets observés sur les microorganismes, les végétaux et les autres vertébrés, ils sont moins clairement mis en évidence dans la littérature scientifique. Cependant, il apparaît nettement que la contamination par les produits phytopharmaceutiques affecte la capacité à assurer une partie de leur rôle écologique qui contribue au bon fonctionnement des écosystèmes.

Par exemple, en zone agricole, les fongicides et le cuivre entraînent une forte inhibition de la dégradation de matière organique (telles que des feuilles mortes) par les champignons microscopiques et les bactéries, ce qui prive les écosystèmes d’un apport important de nutriments.

Malgré les connaissances relatives à la contamination du milieu marin, les effets des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité qu’il héberge sont peu renseignés. Il n’est pas donc pas possible de conclure sur le rôle de ces molécules dans le déclin de la biodiversité marine.

Concernant les effets des produits phytopharmaceutiques sur les services écosystémiques, c’est-à-dire sur les services rendus par la nature, cette expertise a mis en lumière un manque de données important. Elle révèle toutefois la difficulté à concilier l’utilisation de ces substances avec la préservation des services écosystémiques.

En effet, la production végétale cultivée bénéficie des effets des produits phytopharmaceutiques. Inversement, la pollinisation est négativement impactée par ces substances en raison du déclin des insectes pollinisateurs. De même, la disparition des prédateurs naturels tels que les oiseaux va impacter négativement la lutte contre les ravageurs des cultures et entraîne un accroissement des ravageurs. À terme, et en raison de la dépendance des cultures aux services de pollinisation et de lutte contre les ravageurs, la production végétale cultivée pourrait être dégradée.

Différents leviers à activer

Pour réduire la pression exercée par les produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques et ainsi préserver ces derniers, plusieurs leviers peuvent être combinés.

Le premier levier est réglementaire. La réglementation européenne pour la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est l’une des plus exigeantes au monde. Elle a conduit ces dernières années au retrait de plusieurs molécules en raison de leur dangerosité (atrazine, DDT, paraquat, asulame, chlordécone par exemple), alors que nombre d’entre elles sont encore autorisées dans d’autres régions du monde.

Néanmoins, les méthodes d’évaluation des risques sur lesquelles repose cette réglementation présentent des limites. Notamment, elles ne prennent pas suffisamment en compte la complexité des effets sur la biodiversité.

Le second levier concerne les modalités d’application des produits phytopharmaceutiques, ainsi que certains aménagements paysagers (bandes enherbées, haies…).

Un petit étang entouré d’arbres plantés le long de plusieurs cercles concentriques
Vue aérienne d’une expérimentation INRAE de verger circulaire, conçu pour favoriser la biorégulation et éviter l’utilisation de pesticides. Bertrand Nicolas/INRAE, Fourni par l'auteur

En effet, les caractéristiques du paysage en elles-mêmes sont un facteur majeur de modulation des impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité. Ils sont ainsi aggravants dans le cas de paysages simplifiés, ou atténuants dans le cas de mosaïques paysagères multipliant les interfaces entre zones traitées et non traitées et assurant la connectivité des zones refuges.

Le paysage joue à la fois sur les effets directs en limitant l’exposition des organismes par interception des molécules, et sur les effets indirects en préservant les ressources alimentaires et les habitats. Ainsi, cette expertise confirme le rôle clé du paysage dans la préservation des habitats et des zones refuges pour la biodiversité.

Enfin, un autre levier porte sur l’utilisation de substances présentant une faible persistance et une faible écotoxicité.

Dans ce contexte, les produits de biocontrôle (insectes, acariens, bactéries, virus, phéromones, substances naturelles) sont de plus en plus mis en avant pour protéger les cultures. Ceux-ci constituent des alternatives prometteuses à l’utilisation de produits chimiques de synthèse, lorsqu’ils consistent à réguler la pression des ravageurs sans nécessairement les éliminer. Des travaux restent toutefois nécessaires pour caractériser les effets de ces alternatives sur la biodiversité.

À ces leviers s’ajoute évidemment la réduction, voire l’arrêt, du recours aux produits phytopharmaceutiques, qui fait l’objet d’autres expertises et études en cours au sein d’INRAE.

Si cette expertise scientifique collective montre que la connaissance sur la contamination des milieux par les produits phytopharmaceutiques, ses effets sur la biodiversité et les leviers pour les réduire a augmenté au cours des 15 dernières années, elle met aussi en évidence des zones d’ombre.

C’est par exemple le cas pour les effets sur la biodiversité marine et ultra-marine, mais aussi pour la connaissance des produits de transformation des substances actives ou des effets combinés des différentes pressions ; autant de sujets sur lesquels la communauté scientifique devra se mobiliser afin d’éclairer avec plus de précision les décisions publiques.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now