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Projet européen coLAB : les réfugiés partagent leurs savoirs à l’université

Les porteurs du projet coLAB, une initiative croisant travail d'équipe local et dialogue européen. Université Clermont Auvergne, Author provided

Alors que la crise des réfugiés occupe régulièrement les premières pages des journaux et des magazines d’actualité depuis quelques années, un rapport du Conseil de l’Europe décrit des réactions d’hostilité et de méfiance vis-à-vis des réfugiés et des migrants, parfois plus prononcées dans certains pays européens (Georgiou et Zaborowski, 2017).

Pour de nombreux citoyens, les réfugiés sont des individus dans le besoin. Et bien entendu, dans une certaine limite, ils le sont, mais leur identité est loin de se réduire à cette situation. Ils ont également des compétences et une expertise qu’ils peuvent partager avec la société d’accueil.

C’est dans ce contexte qu’avec trois autres établissements d’enseignement supérieur – l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales à Bruxelles (Belgique), le London College of Communication à Londres (Royaume-Uni) et la Libera Università Maria Ss. Assunta à Rome (Italie) – l’Université Clermont Auvergne a réfléchi à une manière originale de contribuer à l’intégration des réfugiés dans la société.

Une réflexion collective

C’est ainsi qu’est né le projet coLAB, financé par le programme « Democratic and Inclusive School Culture in Operation » (DISCO) du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Pour cela, les quatre partenaires ont mis en place, pendant 18 mois, une expérimentation qui a permis à des réfugiés de partager leurs connaissances avec les étudiants, en assurant des cours.

Au départ, l’idée a émergé de l’IHECS, à Bruxelles, qui a contacté ses partenaires internationaux pour réfléchir à une réponse dans le cadre d’un appel à projets européens. Il proposait de travailler plus particulièrement sur l’inclusion des réfugiés dans la société et souhaitait construire un projet permettant de changer la manière d’aborder la question migratoire en inversant la logique actuelle : la personne migrante nous apporte une plus-value par son savoir et son expérience.

Nous avons discuté à quatre, affiné le projet en croisant nos pratiques d’enseignement et en l’adaptant à différents contextes réglementaires. De la sélection des enseignants au protocole d’évaluation, les étapes du projet ont été construites ensemble, afin de réfléchir collectivement à la manière dont ce genre de dispositif pouvait être développé dans plusieurs pays européens.

Au final, la création de notre consortium a permis non seulement de bénéficier d’un soutien financier pour déployer le dispositif, mais elle a également contribué à lui donner une richesse d’approches qu’il n’aurait pas eues autrement.

Des compétences variées

À l’Université Clermont Auvergne (UCA), cinq réfugiés ont participé au projet en assurant des cours magistraux et des travaux dirigés. Le recrutement s’est fait sur la base de plusieurs critères : les compétences linguistiques, les compétences techniques, la motivation, les expériences professionnelles passées, etc. Pour trouver des candidats potentiels, les acteurs locaux et nationaux du monde socio-économique et du monde associatif ont relayé l’information dans leurs réseaux et, à la fin du mois de juin 2018, cinq personnes étaient sélectionnées.

Avant leur arrivée en France, trois d’entre elles avaient déjà enseigné – la sociologie, le français langue étrangère et l’anglais – deux autres occupaient des postes d’encadrement en entreprise. À l’Université, ils allaient assurer 30h à 60h de cours chacun, sur des thématiques variées, correspondant à leur expertise : marketing, stratégies de communication, communication interculturelle, civilisation, etc.

Pendant l’automne 2018, a commencé la phase de préparation, la plupart des enseignements devant débuter en janvier. À côté d’un suivi pour la construction des séquences de cours, un accompagnement interculturel s’est mis en place naturellement. Les enseignants réfugiés avaient de nombreuses questions car il était important pour eux de comprendre les attentes des étudiants en France, le contexte universitaire et de savoir comment transmettre leurs connaissances dans ce cadre.

Tour à tour, en tant que coordinatrice du projet, j’ai écouté, rassuré, interrogé, discuté avec les uns ou les autres. J’ai accompagné le processus de réflexivité chez les réfugiés, qui les a amenés à se poser des questions sur soi et sur les autres, à reconsidérer leur place dans la société. Ce faisant, j’ai assumé le rôle de médiateur interculturel, qui a permis de créer des liens entre les réfugiés et les étudiants et le personnel universitaire.

De premiers retours positifs

Pour que l’intégration réussisse, les nouveaux arrivants ont besoin de proximité avec les membres de la société d’accueil. Cela les aide à comprendre leur nouveau cadre et à s’y adapter, alors même qu’ils sont victimes de plusieurs formes d’éloignement (géographique, social, humain, psychique) qui induisent une perte de repères, une perte du cadre culturel auquel ils étaient habitués et peut nécessiter des réaménagements identitaires (Amin, 2005 ; Di, 2013).

Ils ont besoin de communiquer avec les membres de la société d’accueil puisque l’intégration suppose une réciprocité et qu’elle repose sur une dynamique d’échange. Le concept d’intégration pluraliste défini par Clanet (1990) illustre parfaitement cette trajectoire qui nécessite trois conditions : des langages communs, la reconnaissance du droit à la différence culturelle, la réciprocité des échanges et des relations entre différents sous-ensembles culturels.

Et les premiers résultats obtenus révèlent que le projet coLAB a participé à une forme d’intégration pluraliste, qui a bénéficié aux réfugiés comme aux étudiants. D’abord, il a favorisé l’ouverture d’esprit et la curiosité des étudiants qui ont pris part au dispositif. Ainsi, lors des évaluations, ceux-ci ont expliqué qu’au-delà du contenu du cours, ils avaient eu accès à de nouveaux espaces de connaissance.

Les participants ont entre autres particulièrement apprécié le caractère authentique et différent des illustrations apportées en cours, comme lorsqu’un enseignant a expliqué ce que sont les éléments de la communication non verbale en prenant appui sur la culture syrienne. Ou lorsqu’un autre parlait de la civilisation contemporaine arabe à partir d’exemples provenant de la Lybie ou du Soudan.

Ensuite, en ouvrant l’accès à l’enseignement supérieur aux réfugiés et en mettant en valeur leurs connaissances, le projet coLAB a contribué à une meilleure intégration dans la société. Face aux premiers résultats positifs, coLAB ouvre la voie à l’invention de dispositifs originaux impliquant les établissements d’enseignement supérieur.

Lancement du projet.

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