Menu Close

Psychotropes : une nouvelle nomenclature pour mieux les prescrire

La NBN (neuroscience-based nomenclature) est une nouvelle nomenclature des psychotropes, élaborée en tenant compte de leurs mécanismes d’action pharmacologique. Elle a été développée en concertation avec quatre collèges de psychopharmacologie. La deuxième version est parue en 2016 sous le format d’une application gratuite téléchargeable.

Cette nomenclature préconise d’abandonner les dénominations usuelles des classes thérapeutiques (antidépresseurs, neuroleptiques, anxiolytiques…) pour adopter une définition citant à la fois le neurotransmetteur cible (une dizaine : acétylcholine, dopamine, GABA, glutamate, histamine, mélatonine, noradrénaline, opiacé, orexine et sérotonine) et les mécanismes d’action de leur catégorie (bloqueur de canal, inhibiteur enzymatique, modulateur enzymatique, agoniste, inhibiteur de recapture…). Sera-t-elle adoptée ?

Prescrire (ou ne pas prescrire) est un moment privilégié de la pratique médicale. C’est un temps inéluctable, dans la conclusion de la consultation. Après l’interrogatoire, les échanges, les doléances, il s’agit de décider d’une intervention pharmacologique. Initiation d’un traitement, ajustement posologique, changement de classe, simple reconduction ou même non-prescription, quelque chose se passe dans la tête du médecin : un algorithme complexe et implicite avec son heuristique, faite d’automatismes, d’expérience, de subjectivité… et de trois types de savoirs.

Trois types de savoirs

« Qu’aurais-tu prescrit pour ce patient ? », « Pourquoi as-tu prescrit ce traitement ? », « Quelle aurait été l’alternative à ce médicament ? ». Un tel questionnement est plutôt le fait d’étudiants en médecine ou de jeunes internes. Qu’en est-il chez le psychiatre prescripteur ? Son raisonnement s’appuie globalement sur :

  • Les « guidelines » et la littérature : les cours universitaires de psychopharmacologie et les enseignements post-universitaires reprennent généralement l’ensemble des recommandations des sociétés savantes et de la littérature (revues systématiques et méta-analyses). Les « guidelines » et les consensus d’experts permettent de proposer des algorithmes et de combler le manque de preuves dans certains domaines. Et les autorisations de mise sur le marché constituent la traduction réglementaire d’une partie de la pratique thérapeutique basée sur les preuves.

  • L’expérience thérapeutique : tous les médecins apprennent de leurs propres prescriptions, mais aussi de celles de leurs collègues et « superviseurs ». Retour sur expérience de la part du patient, échange de vécus entre les médecins, apprentissage par le compagnonnage au cours de l’internat mais également appropriation de « recettes » éprouvées par les « anciens » sont autant de sources enrichissant le savoir en matière de prescription.

  • La neurobiologie : les corrélations entre perturbations neurobiologiques et troubles du comportement constituent le fondement théorique d’un modèle enrichi par plus de trois quarts de siècle de données précliniques, d’études pharmacologiques, d’imagerie fonctionnelle, d’essais cliniques, etc. Ce modèle neurobiologique a une très bonne valeur prédictive : des interventions pharmacologiques ciblées engendrent des modifications du comportement précises, dans des proportions et des délais connus et attendus. Et bien utilisé, comme il l’est dans la nomenclature NBN, il peut orienter la prescription. Par exemple, en cas d’addiction à l’alcool, on sait que la consommation excessive précédée d’une forte attente de plaisir témoigne d’une hyperréactivité des récepteurs mu du système opioïdergique. Alors que si elle vise à combler un manque, elle traduit une hyperactivité du système glutamatergique, qui doit être traitée autrement.

Minimiser la subjectivité

Intuitivement, le psychiatre fait appel aux trois savoirs simultanément pour élaborer une prise en charge en fonction des « réponses » disponibles à la « question thérapeutique » posée par le patient. Mais il importe de contrôler et minimiser sa subjectivité. D’autant que la complexité des situations cliniques fait qu’il existe une multitude de questions thérapeutiques peu couvertes par les savoirs décrits plus haut. Et de ce point de vue, raisonner de façon systématique en s’appuyant sur la nomenclature NBN permet de rester cohérent.

De fait, comme toute prescription de médicaments, celle qui vise les troubles psychiques et les addictions répond aux exigences de la médecine. D’où un cahier des charges imposant de prendre en compte la durée de la prescription, son indication (principale ou accessoire), le rapport bénéfices/risques, la qualité de la rémission et son délai, les éventuels facteurs de résistance, l’observance, la tolérance, les possibles interactions médicamenteuses, les dosages, ou encore les échéances de début de réponse, de rémission et de fin de traitement.

Un tel modèle renvoie le psychiatre prescripteur à une exigence d’évaluation et de suivi thérapeutiques, mais aussi à une réflexion sur les liens entre mécanismes neurobiologiques et tableau clinique. Et là encore, la nomenclature NBN retrouve son utilité et sa pertinence.

Une prise en chargé personnalisée

S’il une catégorie de médicaments cristallisant l’antipsychiatrie, c’est bien celle des « neuroleptiques ». Et pour cause : on les a d’abord définis par leurs principaux effets indésirables – à savoir les contractions musculaires, mouvements involontaires, tremblements et autres effets extrapyramidaux. Certains professionnels continuent ainsi d’utiliser le terme « neuroleptiques atypiques » pour désigner les molécules dont le profil de tolérance neurologique ne comporte plus (ou très peu) cet effet. Quant aux patients, leurs discours témoignent d’un manque de compréhension : « J’ai vu le psychiatre pour des crises de paniques et il m’a prescrit un antidépresseur ! » ; « Je souffre d’obsessions handicapantes et mon psychiatre m’a prescrit un neuroleptique à faible dose ! ».

En pratique, l’approche diagnostique du psychiatre consiste d’une part à identifier un ou plusieurs troubles (le plus souvent conformes à des systèmes de classification), et d’autre part à évaluer l’intensité des symptômes caractérisant le mode de fonctionnement psychologique inhérent à ces troubles (par exemple l’impulsivité, ou le risque de suicide) – ce qui permet d’adapter les soins à chacun. Ces symptômes d’intensité variable colorient les présentations cliniques et représentent de véritables cibles d’intervention thérapeutique. Or ils renvoient à des perturbations neurobiologiques distinctes, identifiables grâce à un raisonnement s’appuyant sur la nomenclature NBN.

Un meilleur rapport entre efficacité et tolérance

Bien au-delà des querelles de psychiatres, la NBN augmente les chances de rémission du malade, en offrant un meilleur rapport entre efficacité et tolérance. S’agissant de l’efficacité, on la sait tributaire de la résistance thérapeutique – concept défini comme l’absence d’amélioration à deux molécules de familles différentes prises à doses et à durées optimales. Or cette dernière est estimée en moyenne à 30 % pour la dépression, et elle augmente avec le nombre d’épisodes de traitements antidépresseurs.

Plusieurs facteurs participent à cette résistance aux traitements – notamment, une évolution chronique de l’épisode malgré un traitement. Or en tenant compte des mécanismes neurobiologiques, la NBN permet de mieux l’appréhender et de trouver une solution pour le patient. On sait ainsi que la dépression témoigne du fonctionnement défaillant de trois neurotransmetteurs (sérotonine, noradrénaline et dopamine). En fonction du messager chimique, les symptômes seront différents. Ainsi quand la fonction sérotoninergique est altérée, la dépression se caractérise par de l’insomnie, une perte d’appétit, une tristesse, des pleurs et une anxiété. Alors que s’il y a une baisse du fonctionnement noradrénergique, on constate plutôt un ralentissement moteur, une perte d’énergie et l’absence d’expressions faciales.

Pour le psychiatre, il s’agit donc d’intégrer dans son algorithme le ou les neurotransmetteurs qu’il convient de cibler à un moment précis dans l’évolution du tableau clinique. Mais il faut aussi prendre en considération le mécanisme à utiliser – plusieurs leviers pharmacologiques permettant de corriger la baisse de fonctionnement d’un neurotransmetteur. Et naturellement, il importe également d’anticiper les effets indésirables et d’optimiser le traitement, en tenant compte de paramètres comme l’addiction, l’anxiété ou les troubles du sommeil que peuvent induire les médicaments psychotropes. In fine, toute cette démarche implique une maîtrise de la NBN.

Symptômes résiduels : un nécessaire questionnement

Les symptômes résiduels sont fréquents dans les troubles psychiatriques. Pouvant concerner toutes les dimensions du comportement, ils sont de faible intensité mais n’en ont pas moins une incidence significative, que ce soit sur le risque de rechute ou la qualité de vie. Or leur prise en charge pose un problème. Faut-il les accepter et ne pas les prendre en charge ? Ou bien s’agit-il au contraire de rendre le traitement plus agressif pour obtenir une meilleure rémission ?

Faute d’un tel questionnement avec le patient, on risque de nuire à ses espoirs de guérison. Et dans ces conditions, il est à craindre que les symptômes résiduels soient interprétés à l’extrême, ou encore que le modèle médical soit abandonné, avec toutes sortes d’aberrations thérapeutiques (sous-dosages, reconduites automatiques, sur-prescriptions, associations non synergiques et inefficaces…). Autant de complications que peut éviter un raisonnement orienté par la NBN, en permettant d’objectiver la réalité de ces situations d’« impasses thérapeutiques », et donc de diminuer la part de subjectivité dans la prescription. Et ce, d’autant plus que le choix du traitement se fera en concertation avec le patient.

Un projet mené à deux

La prescription devrait en effet résulter d’un choix fait à deux. Le psychiatre agirait alors comme un conseiller expliquant à son patient quels sont les cibles thérapeutiques, les moyens dont on dispose pour les atteindre, les options les plus efficaces, les délais nécessaires à leur réussite, mais aussi les risques liés à leur usage. Autrement dit, il s’agit d’un travail collaboratif pour élaborer à deux un traitement pharmacologique visant un seul but : la rémission. Le patient devient ainsi acteur de sa santé psychique. Mais pour qu’il puisse assumer ce rôle, il lui faut une information de qualité sur les mécanismes neurobiologiques expliquant ses symptômes.

Cette approche, soutenue par l’adoption de la NBN, permet de mettre du rationnel dans les prescriptions, mais aussi d’accepter les effets indésirables. Elle augmente ainsi l’adhérence et l’observance au traitement, tout en faisant comprendre les limites des médicaments. Il convient en effet de le rappeler : les interventions neurobiologiques ne sont pas uniquement médicamenteuses ! Les psychothérapies, par exemple, ont montré dans certaines indications une efficacité comparable à celle de médicaments, en lien avec une signature neurobiologique de rémission clinique.

Ajoutons, pour terminer, que les documents se rapportant à des nouveaux traitements et provenant des laboratoires pharmaceutiques doivent rester pour le psychiatre une source d’information et non de formation. Or dans un algorithme déjà constitué et étayé par une pratique, un savoir et un raisonnement NBN, les médicaments promus par ces laboratoires peuvent naturellement trouver leur place. Mais à l’inverse, sans maîtrise de la NBN, on peut craindre que la subjectivité prenne le dessus dans l’algorithme de prescription. Avec, pour résultat, une adoption trop facile et sans recul de nouvelles molécules, ou à l’inverse un rejet épidermique à toute innovation.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,400 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now