Cet article a été coécrit avec l’aide de Charlotte Mansour, chargée de communication du Labex PLAS@PAR et Xavier Fresquet, chef de projet du Labex PLAS@PAR
L’interdisciplinarité et le décloisonnement constituent-ils des clés de réponse aux enjeux sociétaux contemporains ?
La jeune Sorbonne Université et ses partenaires sont en faveur de ce postulat.
En son sein, le Laboratoire d’Excellence en physique des plasmas à Paris « PLAS@PAR », s’inscrit dans une dynamique en alliant excellence de la recherche et développement de projets multidisciplinaires, à travers une réflexion autour des notions de transmission et de partage des savoirs, en particulier vers le grand public.
Cette réflexion a ainsi vu naître en 2017-2018 un partenariat inédit avec le Centre Pompidou : scientifiques, enseignants en physique-chimie et arts plastiques, artistes, étudiants, scolaires et grand public se sont interrogés et ont expérimenté ensemble, tout au long de l’année, sur les rapports entre les arts et les sciences.
Le plasma, qu’est-ce que c’est ?
Également appelé 4e état de la matière ou matière ionisée, le plasma représente 99 % de l’univers visible. Étudié en laboratoire et observé dans son environnement naturel (foudre, aurores boréales, soleil, étoiles, nébuleuses interstellaires), le plasma fait aussi partie de notre quotidien, de l’éclairage (tubes néons) à la fabrication de circuits intégrés, la production d’énergie, la santé, la sécurité, l’environnement ou encore l’agronomie.
Si les sciences essaient de comprendre le monde et que les arts le transforment, il paraît légitime de s’interroger sur la primauté temporelle des théories artistiques face aux théories scientifiques et réciproquement. Interroger notre monde, n’est-ce pas l’essence même des sciences et des arts ?
Le tableau est très tôt considéré comme une imitation, une ouverture vers la nature et vers l’histoire. Nicolas Poussin le décrit comme « une imitation faite avec lignes et couleurs en quelque superficie de tout ce qui se voit sous le soleil ». À travers ces quelques mots, des notions essentielles émergent. Lumière, couleur et matière, composantes fondamentales de la peinture apparaissent comme des caractéristiques quantifiables et analysables. Un premier lien entre arts et sciences s’offre à nous.
Ces trois notions sont d’ailleurs tout aussi essentielles pour les sciences physiques, et naturellement en physique des plasmas. En effet la matière ionisée, en tant que matière chaude énergétique est à la fois lumineuse (elle émet des photons) et colorée (sa couleur dépend de la matière – oxygène, fer, azote, etc. – qui est excitée et de sa température). Le soleil, chaud, lumineux et brillant d’une lumière blanche qui éclaire notre quotidien, représente un exemple de plasma que chacun peut appréhender.
C’est ainsi, autour des discussions sur les liens que les arts entretiennent avec la notion de plasma, que le triptyque « matière-lumière-couleur » s’est imposé pour faciliter la médiation arts-sciences.
Matière plastique, matière plasma
La matière constitue notre univers, elle modèle notre environnement. Dans le champ des arts, la matière est sans cesse questionnée, qu’il s’agisse du matériau, du support, des techniques, ou encore de son caractère fini ou infini. La matière est au centre des préoccupations des artistes, depuis les premiers bas-reliefs sumériens jusqu’au Land Art, l’art optique, l’art abstrait, le surréalisme.
La foudre est un exemple concret de matière « plasma » qui parcourt l’histoire de l’art et inspire les artistes. Cette décharge électrique naturelle est un plasma très énergétique qui produit une lumière blanche intense. De Julius von Bismarck, à Judit Reigl ou à Walter de Maria, l’éclair est à la fois sujet et matière, aussi bien tracé que dompté. D’un point de vue plus abstrait, la nature « turbulente » de la matière plasma (sous l’effet des champs magnétiques) est présente dans le geste créateur de nombreux artistes contemporains comme Jackson Pollock ou Sam Francis, dont le tableau Other White n’évoque selon J.-J Sweeney, « pas seulement le jeu de la lumière, mais la substance dont la lumière est faite ».
La lumière : physiciens vs artistes
Fondamentale dans les arts, les sciences et les techniques, conférant vie et couleurs aux objets, la lumière révèle le monde et permet son interprétation (à travers la spectroscopie par exemple).
À la fois matériau et outil de composition, la lumière possède une réalité physique toute particulière. C’est conjointement une onde (électromagnétique) et un flux de corpuscules (photons). La lumière, que le physicien appelle rayonnement, se propage dans le vide et interagit avec la matière par un échange constant d’énergie (où la mécanique quantique est reine). Elle peut être visible par l’œil humain (du rouge au violet) ou invisible (infrarouge, ultraviolet, rayons X, ondes radio).
Si la physique révèle la nature de la lumière du soleil, la peinture étudie sa représentation, son rendu. La (re)découverte de la perspective s’effectue ainsi parallèlement à la compréhension du phénomène de propagation de la lumière en ligne droite. Les impressionnistes, durant la seconde moitié du XIXe siècle, représentent la mobilité des phénomènes lumineux de manière diachronique, comme une forme de réponse à la photographie naissante qui l’immobilise. Au XXe siècle, le courant du light painting va faire de la lumière une technique de peinture dont vont s’emparer aussi bien Pablo Picasso que Man Ray. Produit d’un univers « électrique », la lumière du physicien ou de l’artiste est à la fois point de référence, indice ou limite. De son observation découle une nouvelle perception du monde, dans sa matérialité comme dans ses tonalités.
Couleur et plasmas
Dans le prisme, l’arc-en-ciel, ou le disque chromatique de Newton, des organisations de couleurs s’installent, permettant la lecture des teintes, des nuances et de leurs valeurs. Ainsi, la physique nous démontre qu’une couleur peut être perçue ou créée de deux manières complémentaires : soit parce c’est la seule que le matériau éclairé réfléchit vers nous, les autres étant absorbées (peinture, encre, filtre coloré) ; soit parce qu’elle est émise par l’objet lui-même, par « synthèse additive » (une flamme, une ampoule, une étoile). On observe ici deux processus fondamentaux utilisés aussi bien par les artistes que par les physiciens.
La couleur est devenue l’un des enjeux majeurs de la peinture moderne. Des impressionnistes qui utilisent le pointillisme imitant la synthèse additive des couleurs pour jouer sur les sensations colorées, aux fauves qui l’étalent de manière brute, ou aux rayonnistes qui l’emploie pour créer une source lumineuse dans l’œuvre, la couleur initialement qualité deviendra matériau pour s’imposer comme sujet pictural, par exemple chez Yves Klein ou Gerhard Richter.
En physique, la technique qui vise à décomposer la lumière pour lire et interpréter les éléments à l’origine de ses différentes couleurs est appelée spectroscopie. Cette technique permet de nous renseigner sur de nombreuses propriétés des plasmas qui constituent notre univers (composition chimique, température, densité, vitesse et même champ magnétique).
L’art contemporain joue avec les mesures, les lectures et les interprétations des données issues des sciences physiques et de l’analyse des structures cristallines et lumineuses à effets colorés.
Faire émerger les convergences
Comme nous l’avons vu brièvement, les notions « lumière, couleur et matière » présentent de nombreuses convergences entre ces deux champs essentiels de la connaissance que sont les arts et la physique. La transmission de ces corrélations auprès du public est alors devenue une nécessité.
Un programme de médiation croisée a ensuite été développé autour d’ateliers et parcours pédagogiques adaptés à chaque public ; des groupes différents ont ainsi pu être sensibilisés à la notion de plasma par l’intermédiaire des arts. Le programme s’est déployé en 5 actes en 2017-2018 et s’est conclu au Centre Pompidou les 7 et 8 avril 2018 avec un Campus dédiés aux Arts et Sciences des plasmas.
Plus de 2 200 visiteurs ont pu apprécier les collaborations artistiques et scientifiques proposées grâce à des installations ludiques et interactives (dont l’œuvre audiovisuelle immersive INSIDE PLASMA, le workshop PLASMA REFLECTION et les expériences de réalité virtuelle et augmentée proposées par le SAS et l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS), à l’exposition de projets d’œuvres des artistes en résidence à la Station de Radioastronomie de Nançay, aux 4 conférences arts et sciences et aux 4 concerts du Collegium Musicae au sein des collections du Musée national d’art moderne. Deux films étaient également projetés en continu : l’un à visée pédagogique, conversation filmée à la croisée des arts et des sciences des plasmas autour d’œuvres de la collection permanente du Centre Pompidou, avec Arnauld Pierre, historien d’art à Sorbonne Université et Sylvie Cabrit, astronome à l’Observatoire de Paris ; le second, intitulé Arts et Sciences des plasmas, Rétrospective, retrace l’ensemble du projet, les moments privilégiés et les rencontres.
Le plasma irrigue la création artistique et se prête aisément aux enjeux de la médiation.
Nous continuerons donc en 2019 cette aventure à travers de nouveaux projets Arts-Sciences et accueillerons toutes celles et ceux qui sont curieux de découvrir ces liens de manière ludique et pédagogique !