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Le presbytère de l'église Sainte-Théodore, à Lens, devenu une résidence d'artistes. Rémy CASTAN/Niney et Marca Architectes, CC BY

Quand l’art contemporain s’installe au cœur des bassins miniers

Depuis le mois de janvier 2016 l’ancien presbytère de l’église Saint-Théodore, situé au centre de la cité numéro 9 de feu la Société des Mines de Lens, à deux pas du récent musée du Louvre-Lens a été transformé en résidence pour un ou deux artistes, un projet financé par Pinault-Collection, société active dans le domaine du mécénat depuis plus de quinze ans.

Tel est donc le destin improbable de l’ancienne fosse numéro 9, et du coron qui y était rattaché, devenus des lieux de conservation, de présentation au public et de création d’œuvres d’art.

Présent lors de l’inauguration du musée en décembre 2012, François Pinault décide de faire réhabiliter le presbytère de l’église Saint-Théodore, presque entièrement détruit par un incendie en juin 2014. Cette église a été construite en 1920, selon les plans de Louis-Marie Cordonnier (1854-1949) architecte officiel de la Compagnie des Mines de Lens chargé de la reconstruction du bassin minier après les ravages de la Grande Guerre.

La fosse n° 8, 8 bis de la Compagnie des mines de Nœux, à Verquin. Wikimédia

Elle fait partie d’un ensemble voulu par le patronat, pour assurer le « bien-être » matériel et moral – religieux, plus particulièrement – de ses ouvriers. Comprenant des pavillons et des corons, une école, un logement pour l’instituteur et sa famille, ainsi qu’une villa pour l’ingénieur, elle se trouve à proximité du carreau de la mine, là où sont implantés les équipements les plus importants et, pour les travailleurs, tout près de l’entrée de la fosse.

À la fin du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ, les compagnies houillères n’hésitent pas à faire appel à des hommes de l’art renommés afin de concevoir leurs « parcs immobiliers ». À cette époque, Cordonnier est sans aucun doute l’architecte le plus recherché dans le nord de la France, voire en Europe septentrionale. C’est à lui qu’est confiée la tâche de faire les plans de l’Hôtel de Ville de Loos (1881), de celui de Dunkerque (1901), de ceux de nombreux bâtiments lillois, mais également, entre 1906 et 1913, de ceux du Palais de la Paix à La Haye, aujourd’hui siège de la Cour Internationale de Justice des Nations Unies.

Cités de la fosse Jean Bart de la Compagnie des mines d’Anzin en 1910.

Les houillères ont, en effet, la volonté d’enraciner, autour de leurs puits, la main d’œuvre d’origine rurale dont elles ont besoin en grande quantité. Celle-ci, pourtant, est réticente au travail industriel en général et à celui de la mine – pénible et dangereux – en particulier. Les paysans des régions environnantes ont longtemps cherché à fuir un univers qui leur était étranger, dont ils ne maîtrisaient, ni les usages, ni les temporalités.

Rien ne prédestinait la maison du curé de Saint-Théodore, édifice de briques conformément à la tradition locale, avec son clocher dans le style flamand, à devenir une résidence d’artistes pour lesquels, dans le jardin, un atelier a été construit. Les premiers résidents, des plasticiens américains, sont arrivés pour un an en janvier 2016. Melissa Dubbin et Aaron S. Davidson se sont installés au milieu de qui était, jusqu’en 1960, le centre névralgique de la fosse numéro 9. Creusée à partir de 1884, mise en service en 1890, elle desservait des galeries à 600 mètres de profondeur dans lesquelles descendaient quotidiennement les « gueules noires », habitants de la cité.

. Melissa Dubbin/Instagram

Ces artistes polyvalents, travaillant à deux, sont originaires de Brooklyn. Ils s’expriment aussi bien par le biais de la photographie, que de la vidéo, du son, du dessin, de la sculpture, sans oublier les installations. Ils travaillent sur ce qu’ils appellent les « manifestations immatérielles » et sur les marques du temps sur le réel. Après avoir exposé à New York et à Oslo, les œuvres réalisées pendant leur séjour dans le Nord le seront peut-être au Louvre-Lens, dans une région où le temps et le labeur ont tant marqué le réel.

Début 2017, c’est une artiste belge, Edith Dekynkt, qui a été choisie pour occuper la résidence. Son travail, de style minimaliste, s’intéresse aux liens entre l’homme et son environnement. Il a été présenté au MACs – Musée des Arts Contemporains – du Grand Hornu (Belgiqne) en 2010, un lieu tout aussi symbolique que le Louvre-Lens, puisque ce musée occupe les bâtiments désaffectés de l’ancienne compagnie minière éponyme. La même année, elle est accueillie au MOMA de New York et, en 2015, à la 5ᵉ Biennale à Moscou. Ces artistes sensibles aux relations entre l’homme, le temps et le réel environnant se retrouvent, dans le presbytère de la cité numéro 9 de Lens, transposés dans un paysage, avec ses terrils, et dans un milieu social, fait d’anciens mineurs, de leurs veuves et de leurs enfants, profondément marqués par deux siècles d’exploitation houillère.

La Galerie du Temps au Louvre-Lens. Omega/Flickr

Ainsi, contrairement à toute attente, le bassin minier du Nord où l’on se presse pour admirer les trésors de la Mésopotamie, et celui du Grand Hornu où sont exposées les œuvres de Christian Boltanski, sont peut-être, l’avenir le dira, en train de devenir des lieux d’inspiration propices aux artistes en prise avec les évolutions du monde d’aujourd’hui.

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