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Quand le président devient une personne

François Hollande ou le Président « normal », ici aux Rencontres d'Arles en 2013. Bertrand Langlois / AFP

Dans la mythologie gaullienne, la Vᵉ République correspond à « la rencontre d’un homme et d’un peuple ». L’affaire Fillon nous apporte la démonstration que ce mythe est bel et bien mort et qu’il s’agit d’en prendre acte.

De l’homme à la personne

La formule gaullienne n’est plus valide car la vision de l’homme politique a changé. De de Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand, les présidents étaient essentiellement perçus à travers leur statut d’homme politique. Ayant accumulé une expérience dans la vie politique, ils avaient acquis une stature légitimant leur prétention à recevoir le suffrage des Français. Ceux-ci ne se préoccupaient pas de la dimension personnelle de ces figures incarnant la chose publique. C’eût été indécent de ternir la représentation nationale par la dimension personnelle du Président. Pas de place pour les paparazzis sous De Gaulle.

Charles de Gaulle entouré du couple Kennedy. En 1961, la figure politique n’est pas encore une personne comme les autres. Wikimédia, CC BY

C’est avec beaucoup de peine et d’hésitations que nous avons fini par apprendre la double vie de Mitterrand ainsi que la maladie qui le rongeait. Chirac a accédé à l’Elysée malgré les affaires liées à la gestion de la Ville de Paris. Il a fini son deuxième mandat sous la menace de la justice. Le monde avait déjà changé.

La peopolisation désigne ainsi le processus par lequel les hommes politiques sont devenus des personnes et non plus seulement des élus. Leur statut de représentants du peuple n’est plus le seul ou principal prisme à travers lequel ils sont perçus. Avec succès parfois, le personnel politique a usé de la mise en avant de sa vie familiale ou conjugale. On pense par exemple à la manière dont le couple Macron donne à voir sa vie privée dans la presse. Le ressort de ce succès se trouve dans le processus de l’individualisation décrit par C. Le Bart et d’autres sociologues. Nous tous – population et élus – revendiquons unanimement de voir reconnaître les facettes multiples de notre existence au-delà de la seule dimension professionnelle. Par-delà la fonction instrumentale que l’homme ou la femme politique remplit dans notre société hautement différenciée, il y a une personne dotée d’une subjectivité, d’émotions et d’une histoire singulière.

Valérie Trierweiler et Michelle Obama à Chicago en 2012. Wikilmedia

Notre existence ne se réduit pas à nos activités professionnelles, aux étiquettes que nous portons ou à l’héritage que les générations passées nous ont laissé. Nous aspirons à construire nous-mêmes le sens de notre existence. Chacun cherche à fabriquer son propre monde à distance ou sous le regard des autres en combinant des statuts (sexe, profession, résidence, etc.), des appartenances choisies (conjoint, amis, association, etc.), des goûts (alimentaires, culturels, etc.) et plus largement tout ce qui est susceptible de nous composer.

Tous des personnes, tous égaux !

Cette manière de penser s’est largement diffusée. Nous sommes devenus les acteurs principaux de notre propre vie. Désormais, les « grands hommes » n’ont plus le monopole de la mise en avant et de la reconnaissance de leur subjectivité. Et le succès des réseaux sociaux réside dans ce souhait d’être le metteur en scène de sa propre vie.

Comme l’a montré Jean-Claude Kaufmann, la télé-réalité a été un moment de « mutation anthropologique » dans lequel s’est affirmée la revendication généralisée à l’extension de soi par l’image. La télévision (mais aussi les vidéos sur Internet auxquelles Benoît Hamon, par exemple, de façon sérieuse ou plus “potache”, a eu recours pour la primaire) permettent de se donner à voir et d’en tirer une reconnaissance personnelle. Et ceux qui les regardent y puisent des modèles parmi lesquels ils choisissent pour composer leur propre monde.

Et à ce titre, il n’est pas anodin de relever que Donald Trump a construit sa trajectoire politique largement sur la notoriété que lui a conférée sa place dans des émissions de téléréalité. C’est par ce biais qu’il a été largement (si ce n’est majoritairement) reconnu comme le porte-voix des « sans-voix ».

Donald Trump dans l’émission de télé-réaiité « The Apprentice ». Youtube

Les différences de classe ne justifient plus le renoncement à l’affirmation de soi ni la soumission aux « grands hommes » parce qu’ils seraient reconnus comme tels. De façon réelle ou fantasmée, nous sommes tous des personnes pleines et entières, tous des rois ! La revendication de l’individu comme étant une personne a pour conséquence l’aspiration à une égalité réelle. Pourtant en hausse, les inégalités de revenus ou de patrimoine ne justifient plus les différences subjectives.

À sa manière, François Hollande a mis en œuvre cette image complète de l’homme politique. Se voulant « normal », il n’a pas caché celle qui partageait sa vie au moment de son élection (Valérie Trierweiler) ni son besoin de s’extraire physiquement du carcan du palais de l’Élysée pour respirer un air plus personnel… L’impopularité qu’il connaît ne prend sans doute pas sa source dans cette dimension personnelle (qui reste discrète) mais plutôt dans son bilan plus proprement politique.

Je suis ce que je fais

À l’heure où la parole politique est fragilisée à cause des promesses non tenues et de la faible marge de manœuvre du pouvoir politique par rapport aux forces économiques et financières, la personne des candidats est examinée de près. Comme le souligne Mathilde, supportrice perplexe de François Fillon à Charleville-Mézières le jeudi 2 février sur France-Info : « Pour moi, être président, c’est effectivement avoir un bon programme politique mais aussi être une personne droite pour gérer le pays ». A défaut de savoir ce qu’il va faire effectivement (et si cela lui sera bénéfique à titre individuel), elle souhaite avoir une certitude sur la personne du candidat.

Aux yeux des Français, François Fillon doit rendre des comptes, comme tout un chacun. WIkimedia/Rama, CC BY

Les révélations sur les largesses présumées de la collectivité à l’égard des proches de François Fillon, révèlent une personne soucieuse de sa fortune et de sa famille y compris jusqu’au mépris d’une forme de dignité eu égard aux écarts de ressources en jeu. La « vérité » de la personne révélée par les faits entre en contradiction avec celle qui est portée par les discours. Parce qu’elle est fondée sur des faits la première tend à l’emporter sur la seconde.

L’incohérence entre le programme politique austère (notamment pour les plus fragiles) et le souci d’enrichissement personnel devient majeure. Au nom de l’universalité de la personne, ce type de pratique choque nos contemporains. Et il n’est point besoin d’un « coup d’état institutionnel » ou d’un « cabinet noir » pour que les citoyens s’insurgent. De Jérôme Cahuzac à Thomas Thévenoud en passant parAquilino Morelleou Agnès Saal, des personnes de l’actuelle majorité (ministres ou en position de pouvoir) ont vu leur légitimité s’évanouir du fait de pratiques bénéficiant de façon indue à leur vie privée.

Protéger le bien commun

L’exigence des citoyens en matière de probité à l’égard des élus semble se renforcer avec la revendication de se penser comme des personnes. « Tous des personnes, tous égaux ! » semblent-ils dire. Il existe bien sûr des exceptions comme à Levallois-Perret où le couple Balkany a réussi à se maintenir au pouvoir malgré des soupçons et des condamnations. Mais ce cas n’a pas valeur de généralité.

Cette exigence est bienvenue, parce qu’elle signale la revendication d’un espace commun régulé de façon légale. C’est vrai jusqu’en Roumanie où les manifestants protestent actuellement contre l’impunité dont le personnel politique cherche à se doter. Ne pas prendre en compte cette exigence ouvre la porte à un monde mafieux dans lequel le pouvoir (y compris celui de la violence) l’emporte sur la raison et l’intérêt collectif.

Le credo contemporain pourrait être le suivant : « Oui à un monde de personnes mais non à un monde où la collectivité ne servirait que des intérêts personnels ! ». La rénovation de la politique passerait ainsi par une prise de conscience de la part des élus de la force de cette revendication et de la nécessité de la traduire dans les comportement et dans les règles qu’ils devraient s’imposer. C’est sans doute la condition de la reconstitution d’un lien de confiance malmené depuis de nombreuses années.

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