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Quand le score influence les sportifs

Un jour des Cleveland Cavaliers en action, en 2012. Erik Drost/Flickr, CC BY

En 1985, les chercheurs Thomas Gilovich, Amos Tverskyet Robert Vallone tentèrent de prouver l’existence de la « main-chaude », ce mythe du basket affirmant que plus un joueur réussit ses lancers-francs, plus il réussira les suivants. Seulement, à partir de l’analyse des centaines de tentatives, auprès de 26 joueurs professionnels différents, ils constatèrent « l’absence statistique de main-chaude ». « Les tirs obéissent à des séquences plus ou moins aléatoires auxquelles nos cerveaux simiesques, à l’affût de logiques, cherchent après coup à imposer un ordre ».

En d’autres termes, il n’est qu’illusion de croire que le joueur est capable d’améliorer ses compétences par la seule force de la confiance passée, le résultat dépend tout bonnement du hasard et de la chance. D’après Gilovich, Tversky et Vallone, la probabilité de réussir son lancer est égale à 0,5, une chance sur deux. Autant que jouer à pile ou face.

C’est un fait, nous nous rappelons plus facilement des choses positives que des choses négatives, c’est ce que les psychologues nomment « biais de décision » et « motivation raisonnée ». Nous sommes plus enclins à nous souvenir des choses qui nous plaisent plutôt que l’inverse.

Dans le cas du basket, mais c’est pareil pour le foot, le tennis et n’importe quel autre sport, notre logique va nous forcer à croire que la réussite est directement liée à la précédente. Même si cela a été infirmé scientifiquement. Tout le monde s’attend à ce que l’attaquant en pleine confiance, qui marque, aille avoir plus de chance de marquer de nouveaux buts et tout le monde pense que la déprime du buteur altérera ses performances futures.

Or, les événements passés n’influencent pas les événements futurs, « chaque nouveau tir est indépendant de tous les autres ». Si Edison Cavani, au PSG, n’arrive pas à marquer, ce n’est pas une question de confiance, ce n’est pas parce qu’il rate ses frappes qu’il ratera forcément les suivantes. La preuve, il marque malgré ses nombreux échecs.

L’importance de notre environnement

Néanmoins, les économistes ont depuis longtemps mis en avant l’importance du monde extérieur dans l’explication des comportements humains. Déjà, en 1739, le philosophe écossais David Hume, dans son livre Traité de la Nature Humaine, posait que « les émotions doivent avoir une place importante dans l’explication des comportements humains. […] La raison est l’esclave de nos passions et n’a d’autre rôle que de les servir ».

Le sportif, un être social. Erik Drost/Flickr, CC BY

Autrement dit, nos craintes, nos peurs, nos sentiments sont directement reliés à nos actes, nos décisions et nos choix. Ce n’est pas le fait de rater ou de réussir sa frappe qui déterminera la réussite des suivantes, c’est le niveau de nos émotions qui les impactera. Avons-nous peur ? Avons-nous la certitude de remporter le match ? De satisfaire nos supporters, nos dirigeants ? Autant de questions qui agissent sur nos performances.

Le psychologue Manuel Mertel, en 2011, a analysé plus de 220 000 lancers-francs lors de quatre saisons de NBA, le championnat professionnel de basket nord-américain. En contrôlant soigneusement les effets explicatifs, les corrélations, les causalités et les nombreux facteurs (jouer à domicile, match à enjeu, etc.), Mertel a constaté que les joueurs sont meilleurs au lancer-franc lorsque ce tir est tenté par une équipe qui mène au score. Puis, les performances individuelles cessent d’être altérées, positivement ou négativement. Une fois le résultat quasiment acté, les joueurs retrouvent leur niveau moyen. Cela veut dire que l’avance ou le retard compétitif dans un jeu concurrentiel provoque une altération des performances individuelles. Nous sommes dépendants de nos émotions sociales, pas de nos performances passées.

Une autre étude, réalisée par Christos Genakos et Mario Pagliero, en 2012, a analysé les effets du classement sur les performances individuelles lors des compétitions d’haltérophilie. Ce sport, comme les lancers-francs au basket, est un jeu non stratégique individuel, où les joueurs décident eux-mêmes du risque à prendre (le choix du poids soulevé) en fonction des actions des adversaires. Ainsi, il est possible d’étudier la prise de risque séparément des performances ; elle n’est pas subie, mais choisie.

Qu’ont-ils constaté ? Que la performance est directement corrélée avec sa place au classement et la force des adversaires :

« Plus l’athlète est derrière, plus il améliore ses tentatives jusqu’à opter pour une stratégie risquée au fur et à mesure de son déclassement. […] Si le joueur est à la traîne, il s’inflige une pression psychologique supplémentaire. […] Et inversement, s’il est parmi les premiers, il maintient sa place et ne prend aucun risque en tentant de meilleures performances. Les participants sous-performent lorsqu’ils sont en haut du classement, ils ne maximisent pas leur stratégie au moment où les incitations sont les plus importantes et ne prennent pas le risque de perdre leur place. »

L’environnement a conseillé leurs choix et leurs décisions.

Chaque physionomie est différente

De la même manière, l’économiste Espagnol Ignacio Palacios-Huerta a montré en 2015, dans son livre L’économie expliquée par le foot, que le score, pendant un match de foot, agissait directement sur les performances individuelles et collectives. À partir de l’étude de milliers de rencontres, dans les quatre grands championnats européens (Angleterre, Espagne, Italie et Allemagne), de 1998 à 2003, il a observé que, lorsqu’un club menait, il avait plus tendance à appliquer une stratégie défensive, afin de maintenir le résultat.

Le coach utilisait plus de joueurs à vocation défensive et le nombre de fautes augmentait, moins de tirs étaient tentés et les actions diminuaient. Après l’ouverture du score, tactiquement, le nombre de joueurs défensifs utilisés augmentait de 6 % sur les 30 minutes suivantes alors que le nombre de joueurs offensifs diminuait de 2 %, et le nombre de fautes grimpait de 12.5 %, 10 % de cartons jaunes en plus étaient même sortis par l’arbitre.

Edison Cavani se prépare à tirer un coup franc (ici en 2014). Ben Sutherland/Flickr, CC BY

De plus, en étudiant l’efficacité des footballeurs, l’économiste conclut que

« la physionomie du match est un facteur essentiel dans l’explication des performances individuelles. […] Les joueurs sont influencés par le score et réagissent en fonction ».

Quand le score est étriqué, serré, la pression augmente et les tirs cadrés diminuent. En revanche, si l’équipe domine allégrement la partie (lorsqu’elle a au moins deux buts d’avance), les performances des joueurs grossissent et ils ont l’impression de réussir tout ce qu’ils tentent.

Le sportif est un être social, il est façonné et altéré par son environnement proche. Ses performances ne sont donc pas bouleversées par ses actions passées, contrairement à ce que voudrait croire le mythe de la « main-chaude » mais sont directement liées à la physionomie du match, de la rencontre, de la partie. Tout n’est pas qu’une question de chance ou de hasard.

S’il veut gagner, le sportif doit observer le monde qui l’entoure et savoir contrôler ses émotions, telle est la clef de la réussite.

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