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Zone sinistrée après le passage d'un tsunami. Comment éviter ces catastrophes ? telemal/Flickr, CC BY-SA

Quantifier au plus vite les séismes pour améliorer l’alerte

Les sismologues cherchent à mieux caractériser et comprendre les tremblements de terre, dans le but ultime d’aider à leur prédiction. De manière un peu moins ambitieuse, un défi consiste à être capable de produire des alertes immédiatement après leur occurrence, avant que leurs effets touchent les populations. En particulier, l’importance du tsunami, qui s’approche des côtes à quelques centaines de kilomètres par heure, peut être anticipée si l’on connaît au plus vite la magnitude du séisme qui l’a généré.

Les méthodes classiques de caractérisation précoce des séismes reposent sur l’analyse des ondes sismiques, qui voyagent dans la Terre à des vitesses de 3 à 10km/s. Ces vitesses permettent de localiser un séisme en quelques dizaines de secondes – voire moins – si la zone du séisme est densément instrumentée par des sismomètres.

Le principe de base du sismomètre : l’enregistrement du mouvement d’une masse accrochée à un ressort retranscrit comment les ondes sismiques font vibrer le sol. Nicolas/Flickr, CC BY

Cependant, la détermination de la magnitude est beaucoup plus délicate à réaliser à partir de ces données au plus proche du séisme. Pour prendre une analogie visuelle, il est en effet difficile de se rendre compte de la taille d’un grand objet si on le regarde de trop près. On s’en rendra beaucoup mieux compte en se reculant, ce qui est exactement ce que l’on fait en sismologie en utilisant des sismomètres localisés à plusieurs milliers de kilomètres du séisme, comme ceux du réseau GEOSCOPE. La contrepartie directe étant qu’il faut alors attendre que les ondes sismiques aient voyagé jusque-là, ce qui retarde notre capacité à fournir une information fiable de magnitude.

Quand les séismes perturbent la gravité de la Terre

L’origine des ondes sismiques vient de la perturbation brutale du milieu terrestre par le séisme ; de manière similaire à un solide sur lequel on donnerait un coup de marteau, l’ensemble de la Terre se met alors à se déformer de manière vibratoire. Cependant, les échelles ne sont pas du tout les mêmes, et la déformation générée par les ondes sismiques dans la Terre génère un signal physique additionnel : la force d’attraction exercée par la gravité, qui est précisément contrôlée par la position des masses dans la Terre, s’en trouve modifiée.

De par les déformations relativement faibles en regard de la masse de la Terre, le signal attendu est faible (même pour les plus grands séismes, de l’ordre du milliardième de la gravité qui nous maintient au sol), mais il est quasi-instantané. Comme les perturbations du champ électromagnétique par exemple, un changement de gravité se fait en effet ressentir à la vitesse de la lumière (300 000 km/s), et est donc théoriquement détectable partout dans la Terre dès que les premières ondes sismiques perturbent la région voisine de l’hypocentre.

Les sismomètres sont par nature sensibles à un changement de gravité, car leur principe se fonde sur la mesure du mouvement d’une masse dont la position d’équilibre est contrôlée par la gravité. Ces instruments pourraient donc détecter un signal avant que les ondes sismiques n’arrivent… Mais est-ce concrètement le cas ?

Méga-séisme, mini-variation

Bien que les idées générales que je viens d’exposer soient connues, les scientifiques ne se sont que très récemment penchés sur cette question. Un premier pas a été fait en 2016 par une analyse qui a pu montrer l’existence d’un signal, mais sans pouvoir toutefois le quantifier précisément. L’étude qui vient d’être publiée dans le journal Science révèle maintenant que ces signaux sont clairement observables dans le cas du méga-séisme du Japon de 2011 (magnitude 9,1), mais pas forcément à l’endroit où on penserait les voir. En effet, en partant du principe que l’amplitude des changements de gravité décroît fortement avec la distance, une première intuition serait d’analyser des sismomètres au plus proche du séisme. Ce raisonnement ne prend cependant pas en compte qu’un séisme n’est pas un phénomène instantané.

Pour atteindre sa magnitude 9,1, le séisme du Japon a en effet nécessité environ 2 minutes, et il faut donc disposer d’une durée d’observation correspondante pour que l’effet de taille du séisme soit pleinement visible. Or à distance proche du séisme, les ondes sismiques, qui ont une amplitude 100 000 fois plus grande que le signal lié à la gravité, arrivent bien avant ces 2 minutes et le masquent ainsi complètement. C’est ainsi que dans le cas du séisme du Japon, les observations les plus évidentes du signal se font en Corée et dans le nord de la Chine, à des distances comprises entre 1 000 et 2 000 km du séisme.

En prenant en compte finalement la physique complète du processus, qui inclut également le fait que la Terre cherche à se rééquilibrer pour contrer les changements de gravité, ces signaux précoces sont précisément modélisables. Les simulations numériques confirment par ailleurs que leur amplitude est très dépendante de la magnitude du séisme.

Vue aérienne de la ville de Kirikiri au Japon une semaine après le passage du tsunami de 2011. U.S. Navy.WikimediaCommons, CC BY

Cette sensibilité permet ainsi de différencier un séisme de magnitude 9, qui générera un tsunami majeur à distance proche et lointaine, d’un séisme deux ou trois fois plus petit, dont les effets seront plus locaux. Aujourd’hui, cette nouvelle observation est ainsi utilisable pour détecter un séisme majeur dans les minutes suivant son occurrence et donc avant l’arrivée du tsunami.

Elle ne permet cependant pas de faire la distinction entre des séismes de magnitude 6 et 8, car de tels séismes génèrent des perturbations de gravité trop faibles pour être détectées par des sismomètres. De nouveaux instruments, capables de s’affranchir du bruit de fond sismique terrestre, sont requis pour pouvoir utiliser ces nouveaux signaux sur une gamme de magnitudes plus large.

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