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Le laboratoire créatif

Quelle est votre histoire ?

Photo by Justin Luebke on Unsplash.

Les vacances sont propices pour se raconter de bonnes histoires, je poursuis donc ma série de l’été sur le _storytelling. Après l’article « La puissance du récit pour les humains », publié dans la revue du centre de création numérique Le cube et ma chronique de la semaine dernière, « Vous voulez innover ? Essayez le storytelling »._


Cette semaine, je vous invite à développer vos talents de conteurs en menant de petites expériences qui reposent sur les faits saillants de votre vie.

Imaginez votre histoire en 3D

Les humains adorent les histoires. Si elles ont d’abord été transmises oralement, puis à l’écrit, aujourd’hui nous avons l’embarras du choix. Nous pouvons diffuser nos histoires par l’intermédiaire de multiples médias : cinéma, radio, télé, Internet, réalité virtuelle, réalité augmentée…

Le storytelling ou la mise en récit a certainement joué un rôle évolutif dans le développement de l’espèce humaine en favorisant la coopération entre les individus, même si parfois ces récits provoquent des tensions sociales et politiques.

La mise en récit n’a pas que des avantages sur le plan de la communication, elle stimule également la cognition.

De plus, selon les différents modes de représentation visuelle, la mise en image des récits permet d’explorer différentes facettes d’un récit. J’aborderai ce sujet plus en détail dans un prochain article.

Pourquoi les récits ont-ils un tel succès ?

Deux chercheurs autrichiens ont récemment tenté de répondre à cette question. Tout d’abord d’un point de vue cognitif et ensuite en tentant d’identifier les systèmes de représentation visuelle susceptibles d’aider à la compréhension d’un récit.

Qu’est-ce qui rend un récit attractif ?

La mise en récit est une façon d’organiser l’expérience humaine pour construire la réalité. Dans un récit, on décrit des personnages, des événements, des actions et des intentions, autant d’éléments qui sont en correspondance étroite avec la réalité. C’est ce qui rend le récit compréhensible.

Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsqu’on nous raconte une histoire ?

Un récit est une chaîne d’événements qui se déroulent dans le temps et dans l’espace. Les éléments de cette chaîne sont reliés entre eux par une logique narrative, une suite de causes et d’effets.

Au fur et à mesure que le récit se déroule, différentes situations se développent et évoluent dans le temps. Chaque événement est relié à une ligne de temps et à un lieu. Un événement résulte d’une cause qui l’a précédé. Le protagoniste peut subir passivement cet événement ou au contraire réagir selon le but qu’il s’est fixé.

Dans notre cerveau, deux processus (verbal et visuel) entrent en action simultanément et se répercutent sur la manière dont un récit est interprété :

Un processus de représentation spatio-temporelle qui tient compte de l’évolution du récit dans l’espace et le temps.

Un processus d’interprétation du contenu oral ou écrit qui donne un sens aux éléments narratifs tels que les personnages, leurs intentions, les événements et les thèmes traités.

Une représentation visuelle en 3D tient compte à la fois de l’évolution dans le temps et dans l’espace et facilite la représentation spatio-temporelle.

Ces deux éléments, le temps et l’espace, sont traités différemment.

L’espace présente quelques difficultés puisqu’il est non linéaire, il ne correspond pas à la ligne de temps. Dans un récit, ce ne sont pas les images qui racontent, mais les humains. Pour qu’elles aient un sens, les images doivent donc se coller à la trame narrative. La représentation de l’espace est très flexible. Selon la représentation que l’on en fait, elle peut soit illustrer l’intention des personnages ou encore un thème important de la trame narrative.

Le temps, bien qu’il soit plus facile à représenter, peut lui aussi être modelé selon la représentation recherchée. Il peut, par exemple, être hiérarchisé selon les trois actes principaux du scénario et ensuite être fragmenté en de multiples scènes qui elles-mêmes peuvent être regroupées au besoin.

Un des principaux modes de représentation est une projection espace-temps dans un espace 3D.

Que diriez-vous d’imaginer votre récit en 3D ?

Vous rappelez-vous du jeu d’échecs en 3D dans la série culte Star Trek ? Bon, si cela vous tente, je vous propose un petit exercice auquel vous pourrez revenir après la lecture de la chronique.

Image de la série culte Star Trek.

Jerome Bruner et deux de ses collègues psychologues ont demandé à certains de leurs patients de raconter leur histoire.

D’entrée de jeu, Bruner leur répétait que le but de l’exercice n’était pas d’évaluer la qualité narrative ou littéraire de leur récit, mais d’analyser plutôt la façon dont ils considéraient leur existence.

Au-delà du caractère proprement anecdotique et révélateur des récits, Bruner s’est penché sur les règles narratives que les auteurs ont, consciemment ou non, utilisées pour structurer leurs récits. Ce qui l’a rapidement intrigué, ce ne sont pas les faits rapportés, mais le plan suivi par le narrateur dans les correspondances et les liens qu’il établit entre les événements qu’il juge les plus importants.

Sa conclusion est intéressante :

  • La conduite de l’existence, en d’autres mots la manière dont on mène sa vie, est indissociable du récit que l’on en fait. Une vie n’est pas « comment c’était », mais plutôt comment cette vie est interprétée et réinterprétée, c’est-à-dire, « comment elle est sans cesse racontée ».

  • La structure, le plan de départ sur lequel on se base pour raconter sa vie, a une grande influence sur le cours de notre existence. Cette structure est, heureusement ou malheureusement selon le cas, très difficile à modifier. Elle prend place très tôt dans la vie et a tendance à persister.

  • Une des seules façons d’extraire et de comprendre la structure qui est intimement associée au récit d’une vie est de tenter de la comprendre en considérant les autres façons dont cette vie pourrait être racontée.

S’il nous faut explorer d’autres récits de soi possibles, aussi bien se familiariser avec les règles de l’art du storytelling.

On pourrait même s’inspirer du travail de chercheurs en intelligence artificielle qui s’interrogent sur la manière de rendre les personnages de jeux vidéo plus convaincants.

Leur solution consiste à permettre aux personnages de faire des erreurs. Pourquoi ? Parce que les erreurs rendent les personnages plus attachants et intéressants, elles contribuent à les rendre plus humains, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour infléchir le cours de notre existence.

L’équipe de chercheurs a poussé cette exploration de l’erreur humaine assez loin en développant un modèle de simulation perceptuelle qui intègre dans la base de données des personnages la possibilité de commettre des erreurs qui soient cohérentes avec leur vision du monde. Une méthode qui est ensuite utilisée pour détecter les erreurs commises et repérer la fausse information qui les a causées ainsi que le moment où elles ont été commises. Enrichie de la sorte, un récit évite de se plier à des règles narratives trop strictes et permet de s’orienter vers des dénouements imprévus.

Par conséquent, dans le récit de soi, il ne faut pas oublier de faire la part belle aux erreurs !

Guy Ausloos est psychiatre. Il a longtemps été confronté à des familles dites dysfonctionnelles. Mais il s’empresse d’ajouter : quelle famille ne l’est pas ? Selon lui, on a trop souvent tenté de corriger ce que ces familles ne font pas bien pour leur apprendre ce qu’elles ne savent pas faire. Un jour, il a feuilleté le livre de l’historien Jean Delumeau, Le Péché et la Peur : la culpabilisation de l’occident. L’une des thèses du livre a retenu son attention. Dans l’occident judéo-chrétien, nous élevons nos enfants en corrigeant les fautes plutôt qu’en soulignant leurs capacités.

Pourquoi, en effet, ne pas miser sur ce que l’on sait faire ?

Ainsi, dans l’écriture de notre récit de soi, nous devons nous rappeler de :

Hannah Olinger/Unsplash.
  • Explorer d’autres scénarios « fictifs » afin de mieux comprendre le scénario central, celui auquel nous tenons et qui oriente le cours de notre existence.

  • Inclure des erreurs dans notre histoire. Elles constituent les bases constitutives de notre existence et nous définissent au même titre que nos réussites.

  • Enfin, miser sur nos compétences en déterminant dans quelle mesure et à quel moment, elles ont joué un rôle important dans notre vie. Et comment nous pourrions les mettre à profit pour orienter nos futurs projets.

Jerome Bruner dans son essai « Life as narrative » (La vie en tant que récit de soi) cite Henry James :

« Stories happen to people who know how to tell them ». (Les histoires arrivent à ceux et celles qui savent les raconter).

Vu ainsi, qu’advient-il du récit de soi ?

Le récit que l’on fait de notre vie, notre autobiographie, ne serait pas le compte rendu des événements passés, mais plutôt un processus sans fin d’interprétation et de réinterprétation de nos expériences. Le récit de soi deviendrait la construction de soi. La vie comme telle, dans son acceptation la plus simple, est un rappel sélectif de ce dont nous nous souvenons. Mais en réalité, se rappeler sa vie est une prouesse d’interprétation.

« Dans le récit de soi, le narrateur et le protagoniste constituent une seule et même personne. Le récit de soi ne peut être qu’une entreprise éminemment subjective et truffée d’erreurs. Mais cette entreprise », poursuit Bruner, « en vaut la peine et elle doit être réalisée avec le plus de rigueur possible. »

Pourquoi ? Parce que le processus qui consiste à se raconter soi-même, avec tous ses biais culturels, cognitifs et linguistiques, a le pouvoir de structurer la perception que nous avons des expériences que nous avons vécues. Le récit de soi organise notre mémoire, donne un sens à nos expériences et ultimement oriente nos actions à venir. Toujours selon Bruner, en racontant notre vie, nous devenons ce que nous racontons.

C’est ce que font, entre autres, de manière créative les participants au cours en ligne que j’ai développé Ma vie telle que je l’imagine.

Face à l’importance que revêt le récit de soi, pourquoi ne pas avoir recours à des outils visuels de navigation tel un graphique cubique par exemple (voir l’exercice de la semaine pour préparer le plan et la trame de l’histoire que nous avons vécue et poser les jalons de celle à venir ?) Dans le cours « Dessinez votre futur », les participants sont invités, entre autres choses, à créer le théâtre de leur vision.

En d’autres mots, les exercices introspectifs et de planification n’ont pas à être ennuyeux, on peut les transformer en activités amusantes de création.

Pourquoi ne pas profiter de vos vacances pour tenter des expériences introspectives et développer l’habitude de rédiger votre récit de vie ?

Pour aller plus loin, vous pouvez également lire ici, ma chronique « Vous êtes déprimé ? Écrivez ! »


C’est la dernière chronique avant les vacances, j’aimerais vous remercier de vos commentaires, de vos messages et de votre fidélité au cours des derniers mois. C’est une joie de vous lire. Et puisque vous avez passé le mot à vos amis et que vous êtes de plus en plus nombreux à suivre Le laboratoire créatif, 230 000 après seulement quelques mois, je vous prépare de petites surprises pour la rentrée. Je vous souhaite de très agréables et créatives vacances chers lecteurs.

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