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Industrilles

Quelle politique industrielle européenne ?

Usine Airbus (A380) à Toulouse. j_bg / Flickr, CC BY-SA
DR.

Cet article est republié dans le cadre de l’initiative « Quelle est votre Europe ? » dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez toutes les informations, débats et les événements de votre région sur le site quelleestvotreeurope.fr


Les politiques industrielles des pays européens sont très diverses et une convergence sur certains sujets serait très souhaitable.

De fait, certains pays s’interrogent sur la pertinence de leurs politiques. Ainsi, dès avant le Brexit et plus encore depuis, le Royaume-Uni, traditionnellement peu interventionniste, affichait vouloir soutenir son industrie. L’Allemagne a été ébranlée par le rachat de l’entreprise de robots Kuka par le groupe chinois Midea sans que sa législation lui permette de s’y opposer. La France a été traumatisée par le démantèlement du groupe Alstom.

Les dogmes des analystes montrent leurs limites

Les dogmes apparus au début des années 2000 sous l’influence des financiers anglo-saxons, vantant la supériorité des « pure-players » (actifs dans un seul secteur économique et plus faciles à comparer à leurs concurrents) et des « fabless » (qui conçoivent des produits mais sous-traitent leur fabrication) se sont avérés parfois toxiques.

Un groupe français comme l’ancienne Compagnie générale d’électricité, jadis aussi puissante que Siemens, General Electric ou ABB a été scindé en pure-players qui se sont tous trouvés fragilisés. Sa division Télecom, Alcatel, dut se marier avec Lucent (elle-même issue de la scission du géant américain AT&T) puis fut achetée par Nokia, sa division énergie l’était par General Electric et sa division transport par Siemens.

Les pure-players de taille sous-critique furent ainsi les proies de ceux qui étaient restés des consortia, capables d’investir lors des bas de cycles lorsque les investisseurs financiers prennent peur.

Une mode de management encore plus pernicieuse fut celle des fabless. Pour ses promoteurs, les opérations de fabrication, à faibles marges, étaient condamnées à partir dans les pays à bas salaires, tandis que les entreprises des pays développés se spécialiseraient dans les tâches à haute valeur ajoutée. C’était méconnaître qu’on ne conçoit pas longtemps sans le retour d’expérience de ceux qui fabriquent.

Cette mode accéléra les fermetures d’usine, au détriment de certains territoires dont les populations fragilisées montrèrent leur désarroi, au Royaume-Uni avec le vote pour le Brexit, aux États-Unis avec l’élection de Donald Trump, mais aussi en France, en Autriche et en Allemagne avec la poussée des partis populistes prônant le protectionnisme.

Une Europe industrielle encore à construire

De fait, l’Europe se prive du bénéfice d’un marché plus large que ceux des États-Unis et de la Chine à cause de l’hétérogénéité de ses réglementations et de ses politiques. Une politique commune ou une convergence des règles est nécessaire dans les domaines de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la transition énergétique, des charges pesant sur les salaires, de la fiscalité des entreprises et notamment des transactions numériques, à l’instar de ce qui a été fait avec succès pour la plupart des réglementations des produits.

Dans le domaine prioritaire de la lutte contre le changement climatique, il est urgent de mettre en place une taxation du carbone incitant à réduire les émissions. À défaut d’un bon instrument, les pays mettent en place des politiques parfois très coûteuses mais surtout peu efficientes.

Le Danemark et l’Allemagne, tout en faisant des efforts louables pour promouvoir les énergies renouvelables, utilisent des centrales à charbon très polluantes pour faire face aux intermittences. Bien sûr, une taxe élevée ne doit pas mettre en péril l’industrie européenne par rapport à des concurrents moins exigeants.

Il faut donc prélever la taxe carbone sur les produits importés, en fonction des émissions causées par leur fabrication. Une telle taxe, si elle est un peu compliquée à mettre en œuvre (mais pas plus que la TVA dans la France des années 1950), est compatible avec les règles de l’OMC puisqu’elle s’applique de la même manière aux produits fabriqués localement et à ceux qui sont importés.

Dans le domaine de l’énergie, les écarts de prix entre les pays du Golfe, les États-Unis, l’Europe et l’Asie ont un fort impact sur la chimie de base et l’aluminium. Dans d’autres secteurs, même intensifs en énergie, leurs effets restent dominés par d’autres déterminants de la compétitivité ou ne compensent pas les coûts du transport intercontinental.

En revanche des écarts trop importants entre pays voisins peuvent distordre la concurrence dans certains secteurs. Une politique énergétique européenne doit éviter ces écueils et permettre une production d’énergie minimisant les émissions de gaz à effet de serre.

Un domaine où la convergence est très souhaitable est celui de la fiscalité et notamment de la taxation du travail. Certains pays comme la France font reposer le financement de leur protection sociale sur les salaires, d’autres sur l’ensemble de la fiscalité, donc sur les capacités contributives ou la consommation de chacun, sans lien avec l’origine de ses ressources. Ceci crée des écarts importants du coût du travail entre les pays.

La situation est particulièrement flagrante dans le cas des travailleurs détachés, où des personnes font le même travail dans le même pays en étant assujetties à des systèmes de prélèvement très différents.

La fiscalité des entreprises opérant dans de multiples pays appelle une réponse coordonnée des Européens. La Commission européenne en est consciente. Elle a condamné certaines pratiques fiscales de l’Irlande ou du Luxembourg et engagé une réflexion sur la taxation des plateformes de transactions numériques.

Enfin, la politique de la concurrence a bloqué des rapprochements comme celui d’Airbus et de British Aerospace pour ne pas créer un acteur dominant en Europe. Mais dans un domaine où les consommateurs européens peuvent acheter des produits fabriqués dans le monde entier, cette politique empêche l’émergence d’acteurs européens puissants, sans grand bénéfice pour le consommateur, et avec des dommages importants pour le tissu industriel du continent. La prospérité européenne et le pouvoir d’achat des Européens reposent aussi sur une vision industrielle ambitieuse.

Le gouvernement français semble en être convaincu, espérons que la nouvelle coalition allemande partagera cette aspiration.


Une version en anglais de cet article sera publiée dans l’ouvrage « The World in 2018 » publié par l’institut Nomisma.

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