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Quelle politique industrielle pour l’intelligence artificielle en France ?

L'heure est aux choix stratégiques forts pour tenter de rattraper le retard français sur certains pays étrangers. Gerd Altmann / Pixabay , CC BY-SA

Les données sont considérées comme le pétrole du XXIe siècle et l’intelligence artificielle (IA) comme une rupture technologique, avec des impacts significatifs en matière d’emplois et de création de valeur (aide au diagnostic, supports clients et assistants virtuels, publication autonome de contenus, etc.).

La combinaison des deux doit permettre de développer des innovations majeures car elles doivent en théorie être capables de reproduire trois grandes tâches cognitives : la perception de l’environnement, la compréhension d’une situation et la prise de décision.

Certains pays comme la Chine n’hésitent pas à investir massivement dans l’IA afin de faire un saut significatif dans la maîtrise des technologies et sortir rapidement d’un rôle « d’usine du monde ». Pour autant, et en paraphrasant la célèbre citation du « Nobel » d’économie Robert Solow, on est tenté d’affirmer en France que « l’IA est partout sauf dans les statistiques de productivité ». Les technologies basées sur l’IA semblent pleines de promesses mais en fin de compte, beaucoup d’entreprises et d’États hésitent à consentir les investissements nécessaires et à créer par exemple des fonds dans la transformation digitale des organisations.

« La valeur de la donnée », MOOC Culture Data, Learn Assembly.

Une logique de winner takes all ?

Les grandes entreprises et gouvernements européens ont pris conscience que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) ont déjà une longueur d’avance dans le digital et sont les mieux placés pour bénéficier des apports de l’IA dans leurs futurs produits et services.


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Ils ont imaginé une nouvelle architecture d’organisation en devenant eux-mêmes des marchés connectant une multitude d’acteurs en proposant de nombreux services. Leur stratégie a consisté à mettre en œuvre des plates-formes multifaces, pour la plupart basées aux États-Unis ou en Chine (Facebook, Alibaba, Baidu, etc.), leur conférant une position privilégiée en matière de collecte de données et de connaissances des marchés. Il existe ainsi un risque réel que ces entreprises accentuent encore plus leur position dominante grâce aux technologies de l’IA et que les entreprises européennes se retrouvent encore plus déclassées dans la course à l’innovation, notamment en France.

L’une des solutions dans le passé fut de créer des grands groupes européens au travers de coopérations industrielles entre plusieurs pays, comme ce fut le cas pour Airbus dans le secteur aéronautique, mais le retard accumulé par les entreprises en Europe semble trop important pour recourir à ce type de stratégie. La création d’un « champion digital européen » est une alternative qui prendrait par ailleurs beaucoup de temps, bien qu’elle puisse faire sens avec la complémentarité des compétences dans certains pays européens.

Total estimé des investissements en capitaux propres dans les starte-up AI, par lieu de démarrage 2011-2017 et premier semestre 2018. http://www.oecd.org/going-digital/ai/private-equity-investment-in-artificial-intelligence.pdf

Enfin, il n’existe pas suffisant de licornes en France (entreprises technologiques valorisées plus d’un milliard de dollars) pour miser uniquement sur ces dernières pour rattraper le retard vis-à-vis des GAFA et NATU, d’autant que les investissements en Chine et aux États-Unis dans les start-up dédiées à l’IA sont sans commune mesure avec ce qui est pratiqué en Europe.

Miser sur certains secteurs

Pour qu’une innovation se développe et s’impose sur un marché, il est nécessaire de comprendre quels secteurs sont « symbiotiques », c’est-à-dire dans lesquels les innovations se propagent le plus facilement grâce aux externalités positives générées.

Il est donc nécessaire de faire des choix politiques forts pour investir dans certains domaines. Le rapport de France Stratégie intitulé « IA : état de l’art et perspectives pour la France » paru en juin 2019 indiquait à ce sujet que les secteurs les plus avancés en matière d’IA étaient aujourd’hui la santé, les industries manufacturières, le transport et la logistique, l’énergie et environnement.

L’une des alternatives consiste donc dans le développement, non pas de champions nationaux voire européens, mais de plusieurs écosystèmes éventuellement spécialisés dans quelques secteurs avec des entreprises et des centres de recherche intégrant également les PME. Ce dispositif, qui peut s’apparenter à des clusters, peut être soutenu par un fond d’aide dédié à l’IA car les investissements sont très importants (Microsoft a investi 1 milliard de dollars dans une plate-forme d’IA dédiée à l’IA forte douée de conscience et capable de comprendre ses raisonnements).


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Toutefois, si l’on raisonne en écosystème, il est nécessaire également de prévoir plusieurs initiatives pour générer des synergies, par exemple :

  • des formations spécialisées dans les domaines technologiques concernés par l’IA (data scientists, coach d’IA, etc.) ;

  • une politique incitative d’attraction des talents, y compris pour des chercheurs étrangers (Visa Frenchtech, etc.), et de lancement de start-up par des chercheurs publics comme cela est prévu dans la loi Pacte ;

  • mettre en œuvre une économie de la data avec la création de bases de données, en lançant par exemple des appels à projets pour le partage de données entre acteurs privés parfois concurrents (exemple du Health Data Hub dans le domaine de la santé) ;

  • développer des infrastructures comme la 5G qui permettra de développer de nouveaux modèles économiques à partir du très haut débit, etc. ;

  • établir dès maintenant une forme de régulation spécifique au niveau européen des plates-formes pour permette de répondre aux différents enjeux (portabilité des données, interopérabilité des plates-formes, contrôle des investissements étrangers, etc.) ;

  • enfin, favoriser au maximum l’expérimentation à grande échelle des technologies liées à l’IA sur le territoire en fédérant un maximum d’acteurs (laboratoires de recherche, start-up, grands groupes, acteurs publics, etc.).

Au-delà d’une volonté publique affichée de soutenir les entreprises dans le développement d’innovations reposant sur l’IA, il apparaît comme urgent et nécessaire de procéder à des choix stratégiques forts et ciblés pour combler le retard déjà constaté avec certains pays étrangers.

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