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Image d’une maquette d’ADN avec une main gantée qui installe un nucléotide en le tenant par avec une pince à disséquer
Jusqu'où allons-nous permettre l'amélioration génétique ? vchal / Shutterstock

Quelles limites fixer à l’amélioration génétique de l’être humain ?

Les premiers enfants génétiquement modifiés sont nés en Chine à la fin de l’année 2018. Le gène CCR5 des jumelles Lulu et Nana a été modifié au cours de leur développement embryonnaire. L’objectif de cette manipulation était de les rendre résistantes au VIH (ainsi que leurs descendants potentiels). Selon certaines définitions, il s’agit là d’une amélioration de l’être humain.

Bien que la sûreté de cette technologie soit loin d’être acquise, cet exemple a démontré qu’il est possible d’éditer des gènes dont hériteront des générations d’individus. Toutefois, nous ne savons pas encore quels effets auront ces modifications génétiques sur la santé de ces jumelles au cours de leur existence. La crainte que des changements non intentionnels se soient produits dans d’autres gènes est sérieuse, ce qui limite l’utilisation des technologies d’édition du génome pour l’instant – mais cette limite ne durera pas toujours.

À mesure que sont repoussées les frontières de ce qui est scientifiquement faisable en matière d’édition génétique à des fins d’amélioration, nous nous appuyons de plus en plus sur les limites éthiques – plutôt que pratiques – de nos actions. En fait, le cas de Lulu et Nana n’aurait peut-être jamais existé si les limites scientifiques comme éthiques avaient été préalablement plus fermement établies et appliquées.

Mais pour pouvoir décider de ces limites, la communauté des experts a besoin d’une contribution essentielle : l’opinion publique. Sans la voix du peuple, il est peu probable que les réglementations soient suivies. Dans le pire des cas, l’absence de consensus en matière de réglementation pourrait conduire à l’émergence de dangereux marchés noirs où s’échangeraient les améliorations génétiques. Une telle situation s’accompagnerait de problèmes de sécurité et d’équité. Avant d’en arriver là, des experts ont appelé à un moratoire international temporaire concernant l’utilisation des technologies d’édition du génome, jusqu’à l’obtention d’un large consensus sociétal.

Quel devrait être ce consensus ? Au Royaume-Uni, les directives actuelles sont théoriquement favorables à l’édition du génome à des fins thérapeutiques futures, à condition que certaines exigences soient respectées, en matière de sécurité et d’intention. Il s’agit notamment d’éliminer le risque de modifications involontaires d’autres gènes que ceux ciblés par l’amélioration génétique. L’édition doit aussi être au service du bien-être des personnes concernées. Mais lorsque l’on parle d’amélioration, les limites éthiques sont plus difficiles à déterminer. En effet, les opinions des gens divergent selon qu’on les interroge sur ce qu’ils considèrent bénéfique pour eux-mêmes ou pour la société.

Il est important de tenir compte du fait que l’édition du génome n’affecte pas seulement l’individu sur lequel elle porte. Dans certains cas, les personnes dont les gènes ont été modifiés se retrouver - injustement - mieux loties que celles dont les gènes n’ont pas été modifiés.

Par exemple, s’il était possible d’éditer les gènes afin d’améliorer la symétrie du visage ou de donner davantage confiance en soi, cela pourrait signifier que les personnes ayant accès à cette technologie auront plus de chances de trouver un emploi que les personnes dont les gènes n’ont pas été modifiés. Un avantage, sur un marché du travail compétitif… En outre, les générations futures hériteront également de ces améliorations, inscrites dans leur ADN. Dans ces dilemmes éthiques, pour qu’une personne gagne, de nombreuses autres doivent perdre – souvent sans qu’elles ne le veuille, bien entendu…

Pour le plus grand nombre, pas juste pour quelques-uns

Étonnamment, les sciences économiques pourraient alimenter la réflexion sur l’éthique de l’amélioration génétique. En économie, un avantage qui ne profite qu’à une seule personne parce qu’il la rend comparativement meilleure que toutes les autres est souvent appelé un « bien positionnel ». La notion de bien positionnel repose sur le fait que d’autres personnes sont moins bien loties : il s’agit de biens permettant aux personnes qui les possèdent de se distinguer de ceux qui ne peuvent se les procurer : voiture de luxe, vêtements de marque…. Ce type de bien devient moins avantageux pour les personnes qui en bénéficient dès lors que les autres peuvent y accéder aussi, comme dans l’exemple de l’accès à l’emploi cité plus haut.

Un exemple typique de bien positionnel lié à l’amélioration est la taille. Il a été démontré, en particulier pour les hommes, qu’être plus grand est associé à l’obtention de meilleurs résultats dans la vie, tels que le fait d’avoir un revenu annuel par ménage plus élevé.

Les biens positionnels bénéficient seulement à l’individu. sirtravelot/Shutterstock

Mais être plus grand n’est pas bon en soi. Les personnes de grande taille doivent manger plus de nourriture, elles prennent plus de place, sont parfois plus sujettes à l’arthrose ainsi qu’à d’autres problèmes de santé qui surviennent à mesure qu’elles vieillissent. Si tout le monde avait accès à une technologie d’amélioration permettant d’augmenter sa taille, les avantages économiques qu’un individu pourrait espérer tirer de sa stature n’existeraient plus, puisque tout le monde serait également plus grand. Les inconvénients liés à la grande taille dépasseraient les avantages que celle-ci aurait pu procurer.

Cette situation ne s’applique toutefois pas à tous les biens. Les biens qui peuvent bénéficier à la fois à l’individu et à d’autres personnes sont dits présenter un « bénéfice collectif ». C’est par exemple le cas de la vaccination par le vaccin contre la grippe ou par le vaccin ROR (Rougeole Oreillons Rubéole). En effet, lorsqu’un individu prend des mesures pour se protéger contre une maladie infectieuse, son geste profite également au reste de la société, puisqu’il évite ainsi d’en devenir le porteur et de la propager à d’autres. On peut imaginer qu’à l’avenir la vaccination pourrait être remplacée par des modifications génétiques. Si tout le monde se fait vacciner contre la grippe ou renforce son système immunitaire, la société bénéficie encore plus de la réduction de la charge de morbidité. Si tout le monde se fait vacciner contre la grippe ou renforce son système immunitaire d’une façon ou d’une autre, le poids du fardeau des maladies diminue encore davantage, ce qui augmente le bénéfice pour la société.

Lever l’interdiction uniquement pour les améliorations qui apportent un bénéfice collectif peut s’avérer moralement plus défendable que d’autoriser également celles qui ne produisent que des biens positionnels. Dans le cas où tout le monde est autorisé à chercher à acquérir des améliorations qui produisent des biens positionnels, comme dans l’exemple de la grande taille il se pourrait que ces améliorations ne présentent au final que peu d’avantages pour les individus qui en sont les porteurs, ou pour leurs concitoyens, une fois que les coûts pour le reste de la société auront été pris en compte.

En revanche, il pourrait être bénéfique pour l’ensemble de la société de favoriser l’accès à des améliorations qui créent des biens collectifs ou en supportent la production, telles que les améliorations du système immunitaire par exemple.

Reste aux experts et à la société civile à déterminer ce qu’est une utilisation éthique de l’édition génétique à des fins d’amélioration, et quels bénéfices lesdites améliorations pourraient apporter soit aux individus, soit à la société – ou aux deux. Cette réflexion constitue peut-être une façon de trancher la question de l’amélioration génétique humaine : doit-elle être autorisée à l’avenir, et si l’on décide que la réponse est oui, comment ?

This article was originally published in English

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