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Qu’est-ce qu’un « leader » ?

Les dirigeants du G7 posent pour la photo de famille au début du sommet de Carbis Bay, le 11 juin 2021. Patrick Semansky/AFP

Dans moins d’un mois, les Français vont élire leur dirigeant pour les cinq ans à venir. Ce dirigeant sera-t-il un leader (un « meneur ») ?

« Leadership » est un mot abstrait qui désigne une relation entre individus. Le terme renvoie à un facteur crucial dans l’interaction entre les leaders et les suiveurs qui le distingue d’autres relations de domination telles que le management. Ce facteur se rapporte à la nature de l’obéissance. Par exemple, le management implique l’obéissance et cette obéissance est volontaire ou involontaire. Lorsqu’une relation de leadership existe, les « suiveurs » ne sont pas des subordonnés obligés d’obéir mais des personnes qui choisissent de suivre.


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Pouvoir et autorité

Pouvoir et autorité coïncident souvent. Par exemple, le pouvoir et l’autorité d’un cadre dirigeant sont normalement observables simultanément. Cette coïncidence fréquente incite à penser que les deux termes sont indissociables et peuvent s’utiliser indifféremment mais ce n’est pas le cas : la coercition n’est pas la coopération et obéir ne signifie pas forcément être d’accord.

Le mot « autorité » peut s’interpréter de plusieurs manières. Dans un sens, le terme désigne une forme de pouvoir, parfois appelé « pouvoir formel » ou « pouvoir légitime » (par exemple, comme dans l’expression « le policier est une figure d’autorité »). Le deuxième sens du mot « autorité », parfois désigné « pouvoir informel » ou « pouvoir personnel », renvoie à une idée de concession volontaire et d’évaluation (voire de remise en question) régulière du lien de subordination. Par exemple, Didier Raoult, que beaucoup considéraient comme une référence sur les maladies infectieuses, a perdu beaucoup de son autorité à la suite de ses interventions douteuses sur le Covid.

Le langage du leadership, Jean-Étienne Joullié.

Distinguer autorité et pouvoir, c’est reconnaître que l’obéissance obtenue par la contrainte n’est pas de la même nature que l’obéissance obtenue par la coopération.

Pour le sociologue allemand Carl Friedrich, l’autorité existe lorsque celui qui parle est capable d’élaborer un raisonnement qui justifie ce qu’il dit et qui est accepté en tant que tel par ceux qui écoutent. L’autorité est comprise ici comme une augmentation de la parole, comme l’ajout de la sagesse à la volonté et de la raison à la préférence. En revanche, en l’absence de débat, lorsqu’aucun raisonnement n’est présenté, l’autorité du détenteur du pouvoir se désagrège et la confiance disparaît. La coopération tourne alors à la coercition.

L’autorité vient d’en bas

Si, comme le soutient Friedrich, l’autorité est ce qui rend les communications acceptables, la désignation d’une communication comme faisant autorité appartient aux individus auxquels elle s’adresse et non à ceux qui la prononcent. L’autorité vient donc d’en bas parce qu’elle est concédée par ceux à qui elle s’applique. C’est un mandat à commander, une autorisation accordée par d’autres qu’un désaccord persistant dissout.

Le pouvoir ne présuppose pas l’autorité. Il est moralement neutre mais ses usages sont jugés en accord (ou pas) avec l’autorité (au sens d’autorisation). Par exemple, un homme armé a le pouvoir de braquer une banque, mais n’en a pas l’autorité (n’y est pas autorisé).


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En résumé, l’autorité est une source de pouvoir, mais l’inverse n’est pas vrai. Appliquée au leadership, cette analyse implique que le pouvoir d’un leader est conditionné à, et limité par, la concession d’autorité accordée par ses suiveurs. Le leadership ne découle donc pas des caractéristiques personnelles des individus. Ce n’est pas non plus une manifestation du pouvoir, mais c’est une relation fondée sur l’autorité comme source de pouvoir.

Les cinq fonctions du langage

Grâce aux travaux du psychologue et linguiste allemand Karl Bühler, du philosophe austro-britannique Karl Popper et du psychologue social australien Robert Spillane, il est possible de décomposer le langage en cinq grandes fonctions formant une hiérarchie suivant un principe d’implication (c’est-à-dire qu’une fonction d’un niveau donné implique toutes les fonctions des niveaux inférieurs).

Les cinq fonctions et les valeurs du langage. Author provided

On distingue le langage expressif, qui exprime un sentiment ou état intérieur au locuteur ; le langage descriptif, par lequel une perception du monde extérieur est communiquée ; et le langage argumentatif, qui véhicule les raisons et les arguments soutenant les points de vue. Vient ensuite le langage conseil, par lequel des recommandations sont exposées et finalement le langage promesse, lorsque les orateurs s’engagent à faire (ou pas) quelque chose.

Chaque fonction du langage peut s’activer selon deux valeurs opposées. Ainsi, les expressions sont soit sincères ou insincères, les descriptions vraies ou fausses, les arguments valides ou invalides, les recommandations justifiées ou non et les promesses responsables ou irresponsables.

Le langage argumentatif est le langage de l’autonomie et de la liberté intellectuelle. Les arguments critiques valides clarifient les problèmes, révèlent les erreurs, exposent les préjugés et démasquent les mensonges.

Les penseurs critiques confrontent les autocrates, les pseudo-experts et tous ceux qui cherchent à faire paraître les problèmes plus complexes qu’ils ne le sont vraiment.

Au contraire, l’absence ou la faiblesse du raisonnement conduit à la confusion, la dépendance et finalement ouvre la porte au contrôle psychologique. C’est pour ces raisons que Winston Smith, dans le livre de George Orwell, 1984, est torturé jusqu’à ce qu’il accepte que 2 + 2 = 5. Désormais incapable de penser par lui-même, il doit s’en remettre à « Big Brother » même pour des questions élémentaires.

Langage noble et langage ignoble

Pour le philosophe américain Richard Weaver, le langage noble est un langage qui soutient l’esprit critique. Les orateurs nobles clarifient les problèmes et des situations ambiguës et remplacent préjugés et partis pris par des faits établis et des opinions étayées. Ils cherchent à responsabiliser leurs auditeurs en les informant des circonstances qui les entourent et en déployant des raisonnements convaincants.

Contrairement au langage noble, un langage ignoble érode la liberté. En effet, les locuteurs ignobles mentent, déforment, trompent, tronquent les faits ou exagèrent les problèmes pour susciter des sentiments de désespoir chez ceux qui les écoutent, dans le but de les contrôler ou du moins de prendre sur eux un ascendant psychologique.


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Certains, tel un récent président étatsunien, sont prêts à occuper le devant de la scène en déformant les faits, en proposant des raisonnements douteux et en s’appuyant sur des tours de passe-passe rhétoriques acceptés comme preuves de savoir supérieur par des auditeurs crédules.

Donald Trump marche et Vladimir Poutine lors du sommet du G20 à Osaka, le 28 juin 2019. Brendan Smialowski/AFP

Un orateur noble ne prétend pas être détenteur d’un savoir extraordinaire (une ancienne chancelière allemande vient à l’esprit ici). Il limite ses recommandations à ce qui peut être fait en principe par tous ceux qui disposeraient des mêmes connaissances que lui. Ses explications visent à convaincre via des propositions raisonnables.

La distinction entre langage noble et ignoble est essentielle. En effet, lorsque le langage est utilisé pour contrôler les individus et les priver de leur choix d’obéir, les notions d’autorité et le pouvoir fusionnent dans la notion d’autoritarisme. Autrement dit, la différence entre l’autorité et le pouvoir doit être maintenue.

Le leadership

Ceux qui recherchent le pouvoir ont donc le choix. À un extrême, ils s’expriment avec sincérité, décrivent de manière précise et complète, argumentent et débattent, recherchent la coopération, et finalement proposent des recommandations ouvertes à la critique. Ceux qui parlent ainsi acceptent la responsabilité du pouvoir de leur autorité lorsqu’ils l’obtiennent. Ils rappellent à ceux qui choisissent de les suivre la responsabilité qui découle de leur décision de suivre. Comme expliqué plus en détail dans une publication récente dont les grandes lignes de cet article sont extraites, ces individus sont des leaders.

À l’extrême opposé, il existe les individus qui emploient un langage d’expressions insincères, de descriptions fausses ou biaisées, de mensonges, d’arguments invalides ou qui mobilisent d’autres techniques de manipulation pour avancer des promesses irresponsables. Le premier ministre britannique actuel, Boris Johnson, est un exemple frappant de ce genre de personnage. Confronté aux conséquences de ses communications, il cherche à évader ses responsabilités en niant ses déclarations précédentes, en invoquant des raisonnements fallacieux ou en attribuant l’origine des événements qu’il a déclenchés à d’autres personnes. Il profite du pouvoir de sa position, mais il n’a pas d’autorité.

Comme l’autorité est source de pouvoir, les dirigeants autoritaires aspirant au leadership essayent de paraître nobles. Cependant, ces individus ne possèdent pas d’autorité, bien qu’ils le prétendent. En d’autres termes, le « leader autoritaire » (oxymore) n’est pas un leader, mais celui qui, sans autorité, abuse d’un pouvoir institutionnalisé.

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