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Qui était le « patient zéro » de la surveillance de masse sur Internet ?

The First Power - Hidden Shadows. Daniel Arrhakis / photo on flickr, CC BY-NC

Le terme patient zéro, ou cas index, est utilisé pour désigner la première personne d’une épidémie à avoir été contaminée par un agent pathogène. Il peut être porteur sain, mais il est important de l’identifier pour contenir la maladie.

#NSA legal problems. John Jones/Flickr

En procédant par analogie, grâce au lanceur d’alerte Edward Snowden nous pouvons dater le début de la propagation – dans l’ensemble du Monde libre – de la surveillance de masse on-line au 26 octobre 2001, date de la signature par George W. Bush du l’Patriot Act. Cette loi antiterroriste visant – si l’on s’en tient à la traduction littérale de son acronyme – à « unir et renforcer l’Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme » a facilité les dérives de la NSA matérialisée par le développement programmes de surveillance en ligne comme PRISM ou XKeyscore. Malgré tout, sans se questionner sur le patient zéro, le monde libre persiste à se diriger vers une société du contrôle de masse on et off line de plus en plus agressive.

Symptôme de la dérive en France : une inflation législative

19 ans après les attentats du 11 septembre, en France, un ensemble de lois se sont succédé à un rythme cadencé pour encadrer l’usage d’Internet. La dernière en date étant la loi Avia. La plus marquante, celle que retiendra probablement l’histoire de l’Internet français, restera celle qui aura instauré la surveillance de masse des internautes français : la « Loi sur le renseignement ».

Cette loi – adoptée le 5 mai 2015 – intègre la mise sous surveillance du réseau nationale par le déploiement d’un dispositif destiné à faire remonter des « signaux faibles » au renseignement. Ce dispositif – connu sous le nom de « boîtes noires » – analyse automatiquement les métadonnées des communications Internet en France. Le mardi 14 novembre 2017, le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), annonçait leur activation. Si le précédent gouvernement avait arrêté une date d’évaluation au 31 décembre 2018, un amendement du nouveau pouvoir exécutif à repoussé cette échéance au 31 décembre 2020. Comment après l’affaire Snowden en sommes-nous arrivés là ?

Le patient zéro était un producteur de fake news

Le principal levier post 11 septembre qui a servi l’argumentation du pouvoir américain pour instaurer le « Patriot Act » a été le terrorisme. Pour les mesures ciblant le cyberespace, la gouvernance américaine s’est entre autres appuyée sur un ancien article-choc intitulé « Les groupes terroristes se dissimulent sur le web en ayant recours au cryptage ». Publié le 5 février 2001 par le journaliste vedette de USA today, Jack Kelley y tenait des propos alarmistes relatifs aux usages d’Internet par les terroristes :

« Caché dans les images classées X sur plusieurs sites Web pornographiques et dans des commentaires publiés sur les forums de discussion sportifs peuvent résider les plans cryptés de la prochaine attaque terroriste contre les États-Unis ou leurs alliés. »

Ces assertions ont attiré l’attention de deux universitaires, Niels Provos et Peter Honeyman de l’Université du Michigan. Dans leurs travaux de recherche, ces derniers ont scanné plus de deux millions d’images sur eBay : aucune ne contenait de message secret. Ils ont alors publié le résultat de leurs recherches dans un article publié sur le site de l’Université du Michigan le 31 août 2001 intitulé « Detecting steganographic content on the Internet » (Détecter du contenu stéganographique sur Internet).

Corroborant la remise en cause scientifique des faits rapportés par Kelley dans ses articles, une équipe de journalistes établira que ce dernier avait fait preuve de nombreux manquements. Après avoir passé sept semaines à examiner le travail de Kelley, l’équipe affirmera que ce dernier avait produit de multiples articles mensongers au nom de USA Today. Jack Kelley démissionnera le six janvier 2004. Le journal, lui, présentera des excuses à ses lectrices et lecteurs.

L’histoire d’Internet retiendra que Jack Kelley de par la publication de ses fausses informations aura été le patient zéro de la surveillance de masse. Il aura légitimé une dérive des services de renseignements américains, avant que les velléités de surveillance de masse des gouvernances ne se mondialisent, infléchissant les libertés publiques en faisant d’Internet un éternel coupable et de l’usager un potentiel suspect.

« Je ne peux séparer ma foi de ma profession. Je pense que c’est un don, les histoires tombent comme ça sur mes genoux quand je suis en phase avec Dieu. C’est probablement parce que Dieu sait que je suis trop bête pour sortir et les trouver par moi-même. C’est tout bonnement incroyable. » (Jack Kelley, 1996)

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