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Améliorer l'efficacité du système de santé est un enjeu majeur de sa refonte. Shutterstock

Refonte du système de santé : vers une indispensable culture de l’efficacité

Hérité des Trente Glorieuses, le système de santé français n’est plus en adéquation avec les besoins de la population actuelle. Le Président de la République a annoncé mardi 18 septembre un plan national pour sa transformation en profondeur, afin qu’il puisse répondre plus efficacement aux défis du XXIe siècle. Plusieurs questions se posent toutefois : que faut-il entendre par efficacité du système de santé ? Comment l’évaluer, et utiliser cette évaluation pour servir sa transformation ? Voici quelques pistes de réflexion.

Le siècle de la santé publique

Le XXe siècle a été marqué par des améliorations sans précédent de l’état de santé des populations dans les pays industrialisés. En France l’espérance de vie, qui était de l’ordre de 25 ans au milieu du XVIIIe siècle et de 40 à 45 ans en 1900, a aujourd’hui dépassé les 80 ans.

Progression de l’espérance de vie à la naissance entre 1970 et 2015 dans plusieurs pays de l’OCDE. OCDE, 5 septembre 2018, Author provided

Cette accélération de l’augmentation de l’espérance de vie au cours du XXe siècle s’est accompagnée d’une accélération de la diminution de la mortalité infantile au cours de la première année de naissance : de 15 % en 1900, elle est passée à 5 % en 1950, pour atteindre 0,39 % en 2015.

Ces améliorations sont la conséquence de la conjonction de plusieurs facteurs non seulement sociétaux et économiques, mais aussi structurels (développement de transports facilitant l’accès aux services de santé, réseau de traitement des eaux usées plus performant, augmentation du niveau d’éducation des populations…) techniques et scientifiques (découvertes biomédicales majeures telles que vaccination, antibiotiques, nouveaux types d’imagerie…).

Ralentissement de la progression de l’espérance de vie

Depuis 2015, la situation change : on observe dans les pays industrialisés un tassement, voir une inversion de la courbe de l’espérance de vie à la naissance, d’après les données collectées par l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Par ailleurs, la part des dépenses de santé courantes dans le produit intérieur brut (PIB) de ces pays a plus que doublé entre 1970 et 2017 même si l’on observe un tassement des courbes de la part de ces dépenses depuis 2015. En France cette augmentation a été de +121 % sur la période 1970-2017.

Évolution de la part des dépenses de santé dans le Produit Intérieur Brut (PIB) entre 1970 et 2015 dans plusieurs pays de l’OCDE. OCDE, 5 septembre 2018, Author provided

Pour autant, peut-on établir une corrélation entre le tassement de ces deux courbes ? Sans doute pas, car il aurait fallu que la diminution des dépenses de santé soit antérieure à celle de l’espérance de vie.

Un système hospitalo-centré à remodeler

En France, le centralisme du système de santé est sans doute aujourd’hui la cause majeure des inégalités territoriales concernant l’offre de soins. Le système français est en effet organisé à partir et autour de l’hôpital. Cette organisation s’est mise en place depuis l’après-guerre, via notamment les ordonnances de 1958 sur la réforme hospitalière, la réforme hospitalo-universitaire et la coordination des équipements sanitaires.

Ce système a largement bénéficié des retombées de la prospérité économique, jusque dans les années 1970. Aujourd’hui toutefois, cette organisation ne permet plus de répondre aussi efficacement que souhaité à des besoins de santé qui ont évolués, en raison notamment du développement de maladies chroniques et du vieillissement de la population.

L’un des plus grands défis qui s’annonce dans le cadre de la transformation du système de santé sera sans aucun doute le passage d’un système hospitalo-centré à un système organisé autour du parcours de soins/de l’épisode de soins.

Traitements efficaces ne signifie pas forcément système de santé efficace

Prouver qu’un traitement est efficace (qu’il apporte bien le bénéfice attendu en terme de guérison par exemple) ne suffit pas pour démontrer qu’un système de santé est efficace. À l’heure actuelle, les dépenses de santé jugées inutiles représenteraient 20 % des dépenses de santé dans les pays industrialisés d’après une étude de l’OCDE auprès de 35 pays et publiée en 2017.

Il s’agit par exemple d’actes chirurgicaux non indispensables, d’une sous-utilisation des médicaments génériques, ou encore de la récupération et de la correction d’erreurs médicales qui auraient pu être évitées. Le traitement des erreurs médicales dans les hôpitaux représenterait d’ailleurs la moitié des dépenses de santé inutiles selon le rapport de l’OCDE.

Rapporté au système de santé français, dont les dépenses relatives aux soins courants s’élèvent à près de 200 milliards d’Euros par années (198,5 milliards d’euros en 2016), ces dépenses de santé inutiles ou potentiellement évitables représenteraient donc près de 40 milliards d’euros chaque année.

Nécessité d’une approche plus globale

Une question supplémentaire se pose aujourd’hui au regard de l’augmentation des dépenses de santé et de la part de ces dépenses jugées inutiles : celle de l’efficience des soins. Cette efficience étant définie par le ratio de l’efficacité des soins par rapport à leur coût réel, en tenant compte aussi des risques associés à ces soins en termes de complications potentielles. Ce critère est devenu aussi important que l’efficacité d’un soin ou que les risques potentiels qu’il peut induire.

En conséquence, l’efficacité du système de santé ne peut être analysée qu’au travers de la relation interdépendante entre l’efficacité, la sécurité et le coût des soins. Dans cet esprit, le professeur Mickael E. Porter, à l’Université d’Harvard, aux États-Unis, a développé une approche fondée sur les « valeurs » du système de santé. Celle-ci est aujourd’hui portée par le consortium International Consortium for Health Outcomes Measurement (ICHOM).

Basée sur une plus grande transparence du système de santé et soutenue par ce qu’il est convenu d’appeler la démocratie sanitaire, c’est-à-dire intégrant les patients comme des éléments décideurs, l’approche proposée par Porter consiste en une vision globale de l’efficacité du système de santé, incluant aussi des indicateurs rapportés par les patients eux-mêmes. Ces indicateurs peuvent être par exemple la satisfaction des patients, mais aussi leur perception des complications associées aux soins ; la valeur étant porté par le score agrégé par l’ensemble des indicateurs choisis de manière concertée.

Les systèmes de santé sont des systèmes complexes

La nécessité de développer une approche plus globale de l’efficacité est aussi une conséquence des besoins particuliers induits par l’augmentation des maladies chroniques et par le vieillissement de la population.

Depuis les années 1990, la tarification à l’activité (T2A, qui consiste à payer les hôpitaux à partir du volume d’actes réalisés) a privilégié une vision fondée sur une évaluation réductrice de la performance des soins. En particulier l’approche fondée sur les parcours de soins fait s’éloigner l’hypothèse d’un système seulement compliqué (fondée par nature sur l’association entre le suivi de procédures et l’expertise clinique) au profit d’une hypothèse ou le système de santé répondrait de plus en plus aux critères définissant les systèmes complexes.

Le nombre d’interconnexions augmentant, la nature des soins devient plus imprévisible et dynamique, et fait que le système de santé ne peut être pensé sur la base de critères uniquement linéaires (corrélation entre des déterminants et le résultat attendu). Il s’agit d’un système complexe, dont l’humain (qu’il soit soignant ou patient) est la composante la plus importante. Appréhender un tel système dans sa globalité (clinique, individuelle, systémique et organisationnelle) nécessite le développement d’une recherche sur les services de santé ouverte à d’autres disciplines que les seules disciplines médicales et de santé.

Cinq domaines sont concernés par les choix stratégiques visant à accompagner la transformation du système de santé décidée par le premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la Santé Agnès Buzyn :

  • la qualité et la pertinence des soins ;

  • le financement et les rémunérations ;

  • le numérique en santé ;

  • les ressources humaines ;

  • l’organisation territoriale du système.

Or il n’existe aujourd’hui que très peu d’équipes interdisciplinaires de recherche mêlant des compétences tenant à la fois à la clinique, la science des données, les approches conceptuelles des systèmes complexes et leur modélisation, impliquant des connaissances sur le fonctionnement cognitif des relations, mais aussi relevant des sciences de gestion et d’autres disciplines des sciences humaines et sociales. C’est pourtant un type d’approche fondamentalement interdisciplinaire qui permettra d’évaluer avec la plus grande justesse l’efficacité et l’efficience du système de santé dans les années future.

Une obligation de moyens et non de résultats

Les décisions guidant la transformation du système de santé devront être argumentées sur la base de données probantes démontrant le bien-fondé des orientations choisies. Toutefois, faire des choix argumentés risque de se heurter au fait que la médecine repose, en France comme dans d’autres pays, sur une obligation de moyens et non de résultats. L’arrêté de la Cour de cassation du 20 mai 1936 (dit arrêt « Mercier », du nom de la patiente dont le cas fut à l’origine du texte) précise en effet que

« l’obligation de soins découlant du contrat médical et mise à la charge du médecin est une obligation de moyens ; le médecin ne pouvant s’engager à guérir, il s’engage seulement à donner des soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. »

Dans ce contexte, il semble donc difficile d’aborder la notion d’efficacité du système de santé comme celle d’un résultat attendu, puisque le système ne permet pas de discuter légalement sur une obligation de résultat. C’est une limite importante du système de santé.

Des indicateurs de résultats commencent néanmoins à être développés et utilisés en France, comme cela est le cas de plus longue date dans les pays anglo-saxons en particulier. Il s'agit notamment des classements annuels des établissements de santé du journal le Point, ou de l’indicateur ETE-ORTHO, pour répondre à une demande de davantage transparence émanant des patients et usagers du système de santé.

La question reste cependant encore un tabou pour nombre de professionnels de la santé. L’exemple est sans doute caricatural, mais parlant : s’il existe depuis plusieurs années un indicateur obligatoire de la consommation des solutions hydro-alcooliques dans les établissements de santé, il n’existe pas en face de ce dernier un indicateur de résultat obligatoire concernant les infections nosocomiales de manière générale. Impossible donc de démontrer valablement l’efficacité des solutions hydro-alcooliques dans la réduction desdites infections…

Afin de soutenir les choix stratégiques les plus pertinents et les plus opportuns pour transformer le système de santé, il sera nécessaire de développer une réelle culture de l’efficacité, comme ce fut le cas pour la gestion des risques associés aux soins, avec le développement d’une culture de sécurité instaurée par le Programme national de sécurité des patients (PNSP) depuis 2013. Reste à en convaincre d’abord les professionnels de santé.

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