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Les RH dans tous leurs états

Réforme de l’assurance‑chômage, en politique aussi il peut y avoir violation du contrat psychologique

Du flou dans la réforme de l'assurance chômage… Pôle emploi/Flickr

Le président Macron a choisi de diriger la France comme on dirige une entreprise. La méthode a séduit. Les promesses de campagne en matière économique et sociale tendaient vers plus de libéralisme, une mise en avant de l’entreprenariat. En tant que manager, il veut être celui qui fédère, anime, donne les orientations stratégiques. Mais il est également soumis à des objectifs et à des engagements.

Gouverner comme une entreprise

La composition du gouvernement ressemble à celle d’un comité de direction. On retrouve le DRH (ministère du Travail), le directeur des opérations (ministère de l’Intérieur), le directeur scientifique (ministère de la Santé), le DAF (ministère des Finances)… Les députés sont issus pour certains de ce que l’on nomme la société civile. Si l’on va au bout du raisonnement, il faut se fixer des objectifs réalistes, mesurables, et ensuite les évaluer. Il faut aussi se situer dans un engagement mutuel et réciproque. En tant que patron de l’entreprise France, Emmanuel Macron est actuellement confronté à un phénomène bien connu en sciences de gestion : la nécessité de tenir ses promesses au risque de rompre un contrat tacite, le contrat psychologique.

Tenir ses promesses : la mise en œuvre d’une forme de contrat psychologique

En sciences de gestion, la théorie du contrat psychologique est largement mobilisée. De multiples situations organisationnelles sont analysées à travers ce prisme. Les DRH y sont confrontés pour conserver les talents.

Le contrat psychologique est constitué à la fois d’éléments explicites mais surtout implicites, non formalisés (Schein, 1980). Il repose sur un système de croyances individuelles qui fixe un ensemble d’attentes et d’obligations réciproques déterminant dans la relation à l’emploi (Rousseau, 1989). le contrat psychologique implique une mutualité et une réciprocité entre les parties. Cet échange social est basé sur des obligations et également des promesses. (Guerrero, 2004 et Pesqueux, 2010).

Le contrat psychologique diffère du contrat de travail. En effet, ce dernier est formel et renvoie aux éléments rationnels, tandis que le contrat psychologique fait référence au monde du ressenti.

Le consentement est au cœur de la relation contractuelle, l’engagement au cœur de la relation psychologique. Chacun s’implique et attend en retour. C’est la notion d’équité. Adams (1965) a d’ailleurs défini la notion d’équilibre contribution/rétribution. Un collaborateur s’engage à hauteur de ce que l’organisation lui restitue.

Certains auteurs évoquent la justice organisationnelle (Deutsch, 1975 ; Greenberg, 1987) qui regroupe trois formes de justice : la justice distributive ou justice des résultats (c’est la théorie de l’équité d’Adams), la justice procédurale (ou justice des méthodes et des procédures de management) et enfin la justice interactionnelle (c’est-à-dire la justice informationnelle et la justice interpersonnelle mises en œuvre par les managers).

La justice organisationnelle est une clé d’analyse de la situation politique actuelle. En effet, le sentiment de justice influence les réactions. Les recherches relatives à la justice organisationnelle expliquent quels sont les éléments d’une situation de travail qui conduisent les salariés à percevoir la situation comme étant juste ou injuste et à connaître les conséquences de ces jugements de justice (Levy Boyer, Louche, Rolland 2006).

La rupture du contrat psychologique

En entreprise, comme en politique, les promesses et engagements sont réciproques. Si l’organisation ne tient plus ses promesses, on évoque la rupture ou la violation du contrat psychologique. Les individus perdent alors confiance, sont moins impliqués. Cela peut conduire à une augmentation de l’absentéisme, du turn-over et également à une forme de souffrance au travail. En politique, l’électorat s’éloigne.

Parmi les promesses de campagne du candidat Macron, on note une volonté de libérer les énergies en simplifiant la vie économique, en permettant un accès à des profils différents aux ministères clés.

Promesse tenue pour la composition du gouvernement. Promesse tenue également pour la consultation d’experts de la société civile lors de l’élaboration des ordonnances publiées au Journal officiel du 23 septembre 2017 et « portant réforme du code du travail ».

Promesses non tenues en revanche sur le volet fiscal et social. La réforme de l’impôt à la source dont le décret était pourtant paru (9 mai 2017), est reportée au 1er janvier 2019. La réforme du RSI tarde à venir. La réforme de l’assurance chômage est loin du projet initial. Quand à la réforme du code du travail, elle n’est pas révolutionnaire, et s’inscrit simplement sur bien des points dans la continuité de la loi Rebsamen (2015) et de la loi El Khomri(2016).

Réforme en cours de l’assurance chômage

Parmi les différents points d’actualité sociale de ce 1er novembre, la réforme de l’assurance chômage fait couler beaucoup d’encre. S’agit-il vraiment de la réforme annoncée lors de la campagne présidentielle ?

La réponse est non. Les nouvelles dispositions qui s’appliquent au 1er novembre sont en fait issu de la circulaire n° 2017-21 du 24 juillet 2017, permettant la mise en application des règles relatives aux contributions prévues par la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage. Rien à voir donc avec le nouveau gouvernement.

Certaines mesures sont nouvelles cependant : réduction du différé d’indemnisation à 150 jours (contre 180 jours précédemment, sauf en cas de licenciement économique, 75 jours) ; la durée minimale prise en compte est de 88 jours contre 122 auparavant (toujours 610 heures en revanche). La durée d’indemnisation reste à 24 mois maximum.

Ce sont les seniors et les patrons qui sont les perdants de la réforme. Les premiers car ils devront désormais attendre 53 ans pour entrer dans la filière « seniors » contre 50 auparavant, les seconds car la cotisation patronale est majorée de 0,05 points.

Concernant l’assurance chômage des indépendants, la promesse n’était financièrement pas tenable et pourtant elle était séduisante. Il s’agissait de permettre aux indépendants de bénéficier de la même couverture que les salariés. Pour les salariés, ils auraient bénéficié d’une indemnisation en cas de démission tous les 5 ans. Un droit universel au chômage en quelque sorte.

Actuellement, le système indemnise les salariés involontairement privés d’emploi (licenciement, rupture conventionnelle, démission légitime). Le système de l’UNEDIC est paritaire (géré par les organisations patronales et salariales) et financé par les salariés et les employeurs. Il est donc l’affaire de tous.

Réformer n’est pas simple. Tenir ses engagements encore moins. Et si le contrat psychologique noué au printemps 2017 avec le formidable engouement pour le mouvement En Marche était subitement rompu ? Les conséquences seraient-elles les mêmes que dans une relation employé/employeur ?

Là où en matière de management les collaborateurs ont (dans une certaine mesure) le choix de quitter le terrain, qu’en est-il en politique ? Les citoyens sont captifs et ne peuvent s’exprimer que par un bulletin dans une urne. Le climat de défiance, comme en situation managériale, peut s’installer.

En revanche l’occasion qui est donnée aux managers d’expliquer les situations et de dénouer les conflits avec par exemple les réunions de service, les entretiens d’évaluation, n’existe en politique qu’à travers une communication descendante comme les discours et interventions télévisées. On verra donc comment le débat citoyen, et/ou les mouvements sociaux, exprimera dans les mois qui viennent le sentiment de « l’entreprise France » face à la rupture du contrat psychologique qui est en marche.

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