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Réforme des épreuves de français au bac 2021 : faut-il brûler l’écriture d’invention ?

Écrire… Visual hunt

L’écriture d’invention, l’une des trois épreuves au choix au baccalauréat anticipé de français, pourrait, dit-on, disparaître avec la mise en place de la réforme du baccalauréat 2021.

Que le sujet d’invention ait un bilan mitigé, on peut en convenir, mais plutôt que de le supprimer, attaquons-nous aux causes bien connues de cet échec relatif et donnons-lui au contraire l’ampleur que mérite au lycée une réelle pratique d’écriture littéraire si l’on veut sauver les lettres.

L’écriture d’invention avait pour ambition de repenser l’enseignement de l’écriture afin que celle-ci soit articulée à la lecture des textes littéraires et travaillée sous toutes ses formes, au lieu de se cantonner à la seule écriture critique. Son objectif est double : apprendre l’écriture sous toutes ses formes mais aussi donner accès à la littérature autrement, de manière plus profonde et stimulante, par la pratique.

Il s’agit de permettre aux élèves de s’approprier des lectures et de les transformer en compétences d’écriture, une écriture qui peut prendre toutes sortes de formes – essai, lettre, plaidoyer, poème, apologue, récit ou dialogue théâtral. Elle amène donc les élèves à pratiquer divers genres littéraires, à saisir de l’intérieur, en écrivant à leur tour, des processus d’écriture multiples.

Cette innovation s’appuyait aussi sur l’expérience menée depuis les années 1970 par tous les enseignants qui avaient introduit dans leurs classes, en collège mais aussi en lycée, des pratiques inspirées des ateliers d’écriture et qui pouvaient attester de l’enthousiasme que celles-ci suscitaient chez les élèves. Elles avaient en effet le pouvoir de faire naître le goût de la lecture et les aidaient à progresser dans la maîtrise de l’écriture.

Pourquoi en avoir fait un exercice pour le baccalauréat ? Pourquoi cet échec relatif ?

Cette décision repose sur l’idée que sa présence au baccalauréat est un levier, une garantie que tous les enseignants, pour préparer leurs élèves, se formeront à ce nouvel exercice qui bouscule des habitudes bien ancrées depuis près d’un siècle.

Mais il aurait fallu qu’une formation continue réelle accompagne cette réforme, que l’on propose de véritables « sujets d’invention » et non des sujets de dissertation camouflés et qu’enfin l’on précise davantage les critères d’évaluation de cet exercice qui est tout autant évaluable qu’un commentaire ou une dissertation.

Ajoutons à cela que les horaires d’enseignement ne permettent pas aux enseignants de préparer de manière approfondie à trois épreuves d’écrit et une épreuve d’oral, et que, face aux urgences, l’exercice que l’on maîtrise le moins, dont on ne comprend pas forcément le bien-fondé, est celui auquel on consacre le moins de temps. De plus, sans formation à la maîtrise de l’exercice, les enseignants ont tendance à déconseiller à leurs élèves le choix du sujet d’invention et à s’en tenir à la fausse idée que « l’écriture littéraire ne s’enseigne pas ».

Il y a une crise des études littéraires mais non des pratiques littéraires

C’est ce qu’affirme Jean‑Marie Schaeffer dans la Petite écologie des études littéraires. Et il ajoute : « Ne faut-il pas plutôt d’abord activer l’écriture “littéraire” comme mode particulier d’accès au réel ? »

De fait, les lycéens ont souvent des pratiques d’écriture en dehors du cadre scolaire, un fort désir d’expression qui ne demanderait qu’à être cultivé, approfondi, nourri dans un cadre scolaire et les expériences menées par un grand nombre d’enseignants montrent que des élèves découvrent, en se frottant d’abord à l’écriture, l’intérêt de lire les écrivains. Si l’on veut que la lecture soit pour chaque lycéen une expérience personnelle, il faut que l’écriture aussi soit une expérience personnelle et qu’on ne réduise pas l’écriture au lycée à une écriture de commentaire. Rappelons aussi que les techniques d’analyse littéraire ne sont pas un but en soi, qu’elles n’ont d’utilité que si elles permettent de mieux lire, mais aussi de mieux écrire et donc de mieux penser.

L’engouement que suscitent les nouveaux masters de création littéraire qui se mettent en place dans les universités françaises montre bien que le désir de littérature est fort dans la société. C’est à ce prix que nous pouvons redonner du sens aux études de lettres.

Comment réformer cette épreuve au baccalauréat ?

Comment faire pour permettre à cette approche de l’écriture de redonner aux études littéraires au lycée la place qu’elles méritent ? D’abord lui donner un nom moins ambigu que celui d’invention qui pourrait faire croire qu’on oppose l’invention, comme dans la tradition rhétorique, à la disposition et à l’élocution.

Mieux vaudrait parler d’écriture de création ou d’écriture créative – selon une dénomination qui permet de faire des ponts avec le creative writing très pratiqué dans tous les pays anglo-saxons –, et qui viendrait compléter l’écriture critique, seule sinon à être pratiquée au lycée.

Plusieurs pistes différentes nous paraissent possibles et compatibles :

  • Évaluer les compétences d’écriture dans chaque épreuve

  • Réserver une place dans chaque épreuve du baccalauréat pour l’évaluation des compétences d’écriture, au sens plein du terme, ce qui veut dire à la fois une maîtrise des normes et une capacité à s’en servir pour une expression autonome et créative.

  • Il s’agirait d’insérer pour chaque exercice de baccalauréat (dissertation ou commentaire) un paragraphe d’écriture créative, avec des contraintes en lien avec les textes littéraires étudiés.

Présenter pour le grand oral un projet créatif

Le grand oral qui se met en place en Terminale un dossier comprenant des écritures créatives réalisées tout au long de l’année, à partir de consignes d’écritures diverses, voire un projet littéraire associant véritablement lectures et écritures créatives, comme le préconise Françoise Cahen, dans le bel article qu’elle a rédigé « Et le bac manquera cruellement d’imagination ». Ce dossier pourrait aussi exploiter toutes les ressources du numérique qui stimulent la créativité.

On pourrait également évaluer l’écriture créative sous forme de contrôle continu. Chaque élève serait alors évalué sur un ensemble de travaux, retravaillés tout au long de l’année, permettant de présenter plusieurs versions, plusieurs explorations possibles.

Si l’on veut sauver les lettres, c’est l’écriture d’invention qu’il faut sauver.

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