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Cheminots à la station Javel du RER à Paris, le 28 janvier 2018. Thomas Samson/AFP

Réforme la SNCF : des tensions grandissantes entre puissance publique et démocratie sociale

Depuis la remise, le 15 février 2018, du rapport dit Spinetta sur l’avenir du transport ferroviaire, une inquiétude s’est fait jour dans le débat public. De fait, le rapport propose une série de mesures allant de la transformation du statut juridique de la SNCF à la fermeture de lignes non rentables, en passant par une remise en cause du statut historique des cheminots.

Inquiétude, donc, avec le spectre d’une mobilisation sociale d’envergure comme en 1995. À l’époque, Alain Juppé qui envisage une réforme de la protection sociale incluant une remise en cause des régimes spéciaux de retraite des cheminots, est mis en échec par une grève qui bloqua le pays quelque trois semaines. La SNCF a cette réputation de bastion syndical irréformable.

L’inquiétude redoublera lorsque le gouvernement laissera entendre, puis confirmera le 26 février 2018, que la réforme passera par voie d’ordonnances comme il l’a fait avec la réforme du code du travail. Pour nombre d’observateurs, c’est là une provocation qui pourrait déclencher un conflit d’envergure.

La CFDT, qui jusque-là acceptait de discuter la réforme, essaie d’entraîner les autres syndicats dans une grève reconductible à court terme contre la méthode des ordonnances. La CGT, qui avait d’ores et déjà appelé à un mouvement de grève pour le 22 mars, est rejointe par l’UNSA, un syndicat réputé réformiste, et promet une grève dure.

Réunies en intersyndicale, les organisations syndicales de la SNCF (CGT, UNSA, SUD et CFDT) ne se sont pourtant pas accordées et ont remis, à la mi-mars, un éventuel appel unitaire à la grève. Bien que l’issue ne soit pas encore connue, cette séquence mérite que l’on s’y arrête tant elle est révélatrice d’une transformation des relations entre la puissance publique et la démocratie sociale.

Des syndicats affaiblis et hésitants

Si un constat semble partagé par le gouvernement et les organisations syndicales, c’est qu’il sera difficile de mobiliser les cheminots contre cette réforme. Cela tient, pour partie, à la tactique du gouvernement qui a repoussé à plus tard les sujets les plus sensibles comme la fermeture des petites lignes ou la réforme des retraites, et a garanti aux cheminots actuels qu’ils ne seraient pas affectés par la réforme du statut.

Cela tient aussi à une évolution plus structurelle. Les grands mouvements sociaux que les syndicats ont impulsés depuis le début des années 2000 en réaction à différents projets de réforme se sont soldés par des échecs, comme l’ont rappelé dans les colonnes de The Conversation Dominique Andolfatto ou Guy Groux. La SNCF n’échappe pas à cette tendance lourde. La conflictualité y a fortement diminué depuis 1995, les syndicats dits contestataires y ont perdu en audience alors que le taux de participation aux élections a perdu une dizaine de points en 15 ans.

La bataille d’opinion plutôt que la mobilisation sociale

Plus fondamentalement, la question se pose de savoir quelles pourraient être les bases d’un compromis entre le gouvernement et les organisations syndicales. Sur le plan économique, ces bases semblent manquer car la réforme est bien, pour les cheminots, une concession tirée par la mise en concurrence de l’entreprise. À terme, elle menace autant la sécurité de l’emploi que la protection sociale ou la rémunération, et on ne voit pas quelle contrepartie économique pourrait être donnée.

Sur le plan politique, les gouvernements cherchant à obtenir des concessions peuvent envisager de renforcer le pouvoir des organisations syndicales en échange d’une acceptation des réformes. Pour les organisations syndicales, un tel deal permet d’envisager des gains futurs alors que le gouvernement tire un bénéfice immédiat de la réforme.

Ce deal n’est toutefois crédible que si les organisations syndicales sont suffisamment fortes et influentes pour garantir le consensus parmi les salariés. Si le gouvernement actuel ne semble pas suivre cette piste, on peut faire l’hypothèse que cela tient à la faiblesse syndicale. Pour avoir le soutien de l’opinion publique, il compte moins sur les organisations syndicales que sur sa propre communication politique.

On n’est donc pas surpris de voir cette réforme muter en bataille d’opinion plutôt qu’en mobilisation sociale de type grève ou manifestation. Le gouvernement a engagé une véritable campagne de communication, notamment sur les réseaux sociaux, pour convaincre :

  • que le statut des cheminots doit être réformé au nom de l’équité ;

  • que le recours aux ordonnances se fera dans le respect de la démocratie sociale (par la concertation) et parlementaire.

De manière parfaitement symétrique, les organisations syndicales s’efforcent de montrer l’autoritarisme du gouvernement et démontent les « idées reçues » sur le statut de cheminot.

Réhabilitation de la puissance publique et exigence démocratique

Un autre élément marquant de cette séquence est la tension que l’on peut percevoir entre le temps du politique et le temps de la démocratie.

Emmanuel Macron s’est fait élire sur un programme de réforme ambitieux et sur le thème de la volonté politique. Durant toute la campagne et depuis le début de son mandat, il s’efforce de réhabiliter la puissance publique et la capacité de réforme du politique. Cela a supposé d’aller au-delà des partis, mais on s’aperçoit désormais que cette réhabilitation de la puissance publique ne s’articule pas spontanément avec l’exigence démocratique.

Le cas SNCF est là aussi révélateur, car c’est bien au nom de l’urgence que le gouvernement a justifié le recours aux ordonnances. Pourtant, rien dans le contenu de la réforme n’apparaît si urgent puisque l’on parle d’une réforme qui produira des effets à long terme. S’il y a urgence, c’est bien au regard de l’agenda politique.

L’affaiblissement des corps intermédiaires, un risque structurel

Pour mener le train de réformes auquel il s’est engagé, et pour contourner une éventuelle « convergence des luttes », le gouvernement s’est assuré de ne pas mener trop de réformes simultanément. Contrairement au gouvernement précédent de Manuel Valls, il s’est ainsi assuré de la non-concomitance de la réforme du code du travail et de la réforme de la SNCF. Dans cet esprit, on imagine volontiers qu’il faut aller vite pour pouvoir ouvrir un autre front.

Cette séquentialité des réformes couplée à un rétrécissement de l’horizon politique – un président de la République dispose en réalité de trois ans maximum pour réformer – conduisent le pouvoir à privilégier le temps du politique sur le temps, bien plus long, du débat démocratique – qu’il soit social ou parlementaire. Pire, il semblerait que le réenchantement de la puissance publique se fasse sur le dos de la démocratie sociale. C’est bien l’image d’une puissance publique garante de l’ambition (en matière de droit du travail ou de formation professionnelle) qui est promue face à une démocratie sociale à qui on reproche lenteur et conservatisme.

Qu’il y ait des tensions entre puissance publique et démocratie sociale, cela n’est pas nouveau et peut même sembler être dans l’ordre des choses. Que ces tensions mutent en une forme d’incompatibilité, l’un tachant de se renforcer au détriment de l’autre, voilà qui peut avoir des conséquences structurelles. L’affaiblissement des corps intermédiaires est, à moyen terme, un risque pour la puissance publique qui perd un levier de régulation.

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