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Réfugiés syriens : une image à rectifier

La première famille de réfugiés syriens arrivée à Toronto, décembre 2015. Domnic Santiago/Flickr, CC BY-ND

La crise des réfugiés syriens sévit depuis déjà huit ans. L’offensive militaire du régime contre la province d’ Idlib, l’ultime bastion de résistance contre Bachar Al-Assad, pourrait engendrer jusqu’à 800 000 nouveaux déplacés. Lors d’une réunion de son Conseil de sécurité, début septembre 2018, l’ONU appelle à éviter une catastrophe humanitaire à Idlib et exprime de sérieuses préoccupations quant aux 3 millions de personnes qui y vivent et qui ont besoin d’aide immédiate.

L’escalade du conflit, le manque de solutions pérennes remet par ailleurs en cause la question du retour des réfugiés en Syrie, un sujet d’autant plus problématique que les réfugiés n’attirent plus les sympathies occidentales.

En effet, depuis la série d’attentats terroristes qui ont ébranlé Paris en 2015 et plus généralement le monde occidental, les réfugiés sont devenus les victimes privilégiées de propagande haineuse et de xénophobie, aussi bien mobilisées à travers des mouvements politiques organisés que des individus prolixes sur Internet.

L’amalgame entre réfugiés-terroristes a ainsi trouvé écho même dans la presse, alimentée par la panique survenue après plusieurs incidents entre soi-disant réfugiés et locaux en Europe. En Suède, plusieurs associent la forte hausse de la violence et des agressions sexuelles dans certaines banlieues au fait que le nombre de demandeurs d’asile par habitant est devenu le plus élevé de l’Union européen.

Ces événements ont conforté certains dans leur idée que la présence de réfugiés syriens, plus précisément réfugiés musulmans, constitue une menace existentielle au mode de vie occidental. Ainsi, l’accueil de ces nouveaux arrivants déclenche des débats politiques et médiatiques en France et en Europe.


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Des changements politiques historiques en réponse à l’arrivée des réfugiés

Dans le monde entier, les sentiments anti-immigrants et anti-réfugiés s’exacerbent.

Selon un sondage mené en 2017 par l’Institut Angus Reid, fondation nationale sans but lucratif créée pour améliorer et encourager une meilleure compréhension des enjeux et des tendances touchant la politique économique, sociale, de gouvernance, philanthropique, publique, nationale et étrangère au Canada, 54 % des répondants estime que les réfugiés ne font pas suffisamment d’efforts pour s’intégrer à leur société d’accueil. Un plus petit groupe de répondants, pourtant non négligeable, remet en question le simple fait d’accueillir des réfugiés..

En conséquence, de nombreux pays d’accueil, y compris le Canada, ont adopté depuis 2015 de profonds changements politiques.

Aux États-Unis, les sorties de Donald Trump ont provoqué une hausse de 600 pour cent du discours haineux sur Internet. En effet, le président américain se sert de l’image négative associée aux immigrants pour justifier des comportements scandaleux, voire inhumains.

Il en va de même ailleurs où l’extrême droite monte en force. C’est le cas de la Pologne, avec le parti Droit et justice, de la Autriche et de la Hongrie – où le président Victor Orbán a gagné les élections avec un discours politique anti-immigration.

Dans une surprenante volte-face, la chancelière allemande Angela Merkel a récemment accepté l’idée d’établir des camps de transit frontaliers pour les réfugiés et l’Italie imagine aujourd’hui un système « obligatoire » de répartition des demandeurs d’asile.

Au Canada, le conservateur Doug Ford – qui vient d’être élu premier ministre de l’Ontario – a récemment affirmé qu’il fallait d’abord s’occuper des gens d’ici. Depuis novembre 2015, le Canada a accueilli 40 081 réfugiés syriens

Le mouvement néo-nazi Nordique résistance (Nordiska motstandsrorelsens) manifeste dans le centre de Stockholm le 12 novembre 2016 contre les migrants. Jonathan Nackstrand/AFP

Enfin, l’immigration est considérée un des enjeux principaux de la campagne éloctorale en Suède et pourrait mener à une percée historique à l’extrême droite aux élections législatives..

Ainsi, après avoir échappé au conflit mortel qui secoue leur pays, de nombreux Syriens doivent désormais mener de nouveaux combats tels que vaincre la discrimination sur le marché du travail, la discrimination quant au choix de l’habitat, la xénophobie, le racisme et l’exclusion sociale, pour ne nommer que quelques-uns des défis auxquels ils sont confrontés.

Les pays d’accueil bénéficient de la migration syrienne

Pourtant, les pays qui accueillent des migrants en retirent d’importants avantages soulignait récemment un rapport de la Banque mondiale sur les migrations planétaires et les marchés du travail. Par contre, des politiques datées, ou l’absence de politiques utiles, risquent de créer des obstacles à la réussite.

Parmi les mandats de la Banque mondiale figure la préparation de la reconstruction de la Syrie après la guerre civile ; l’organisme se concentre surtout sur la revalorisation du capital physique et humain. Cela étant, nous croyons qu’il est crucial de reconstruire parallèlement l’image des Syriens et des réfugiés syriens.

Pour se reconstruire, la Syrie aura besoin de la contribution de ses travailleurs qualifiés – tant ceux qui rentreront au pays que les autres qui, de l’étranger, y enverront des fonds, voire leur salaire.

Toutefois, en raison d’une image ternie et déformée, les membres de la diaspora syrienne risquent fort de ne pas arriver à rester productifs, et par suite, à participer à la reconstruction de la Syrie. Et c’est ainsi que la crise s’étend au-delà de la guerre civile.


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L’appartenance, un besoin fondamental

Le sentiment d’être exclus et étiqueté comme ennemi peut avoir des conséquences dommageables sur les capacités émotionnelles, psychologiques et, partant, productives des membres de la diaspora syrienne. D’ailleurs, les psychologues ont depuis longtemps démontré que l’appartenance constitue un besoin fondamental.

Selon l’économiste Amartya Sen, l’intolérance et le racisme affaiblissent le dynamisme productif. Chômeurs ou sous-employés, les réfugiés risquent de perdre leurs compétences et leurs capacités cognitives. Beaucoup se découragent ; certains se sentent déchus dans leur propre estime ou subissent une intense agonie psychique.

Dès lors, comment les membres d’une diaspora brisée peuvent-ils former un groupe productif et autonome dans leur terre d’accueil et contribuer ainsi à la reconstruction de la Syrie ?

L’appartenance, un besoin fondamental.

Contrer le discours propagandiste

Grâce aux réseaux sociaux, les propagandistes déploient plusieurs stratégies afin d’exploiter l’ignorance du grand public.

Ils recourent ainsi à la dichotomie « nous-eux », s’appuyant sur la théorie de la menace intégrée formulée par les psychosociologues Cookie W. Stephan et Walter G. Stephan.

Le manque de relations entre réfugiés et membres de la société d’accueil empêche ces derniers de vérifier et de valider les hypothèses qu’ils avancent au sujet des « autres ».

Cela renforce aussi l’idée de perte de contrôle généralisée. Selon une récente étude menée au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, le sentiment anti-immigrants est plus vif chez les personnes n’ayant aucune relation personnelle avec les nouveaux arrivants.

Il en résulte un renforcement du parti pris pour son propre groupe et des préjugés envers toute autre communauté. Processus psychologique normal essentiel à la compréhension du comportement d’autrui, la catégorisation sous-tend toutefois un acte d’exclusion. La méfiance sévit également entre Syriens, que divise et déchire la guerre civile.

Pourquoi ne pouvons-nous vivre ensemble ? (Why Can’t We Live Together ? – Miles Hewstone).

Rectifier l’image des réfugiés syriens

Pour changer la perception du grand public à l’égard des demandeurs d’asile, il ne suffit pas de relater, dans un élan humanitaire, des exemples de réfugiés ayant réussi. De même, le boycottage des médias sociaux ne constitue pas une option valable pour enrayer la généralisation du discours haineux et de la désinformation.

Pour reconstruire la Syrie, commençons par intégrer ses ressortissants et par leur faire confiance. Il faut réussir aussi à établir un climat de confiance, de respect entre réfugiés et citoyens des sociétés d’accueil et entre les Syriens eux-mêmes. À cette fin, imaginons de nouvelles façons de les considérer et cessons de nous laisser manipuler par des personnes aux visées xénophobes et racistes.

En août 2018, une collaboration entre l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Institut du Nouveau Monde (organisme canadien pour la participation à la vie démocratique), a mené à un séminaire à Montréal intitulé « Démystifier les crises des réfugiés du global au local ». Cet évènement a regroupé une centaine de jeunes qui ont participé à des ateliers visant à les engager à développer des solutions novatrices et à mettre en œuvre des actions concrètes dans leur communauté pour reconstruire l’image des réfugiés.

Ainsi, l’atelier « Rôle de préjugés dans l’opinion publique et influence sur accueil de réfugiés » que j’ai dirigé s’est concentré sur des stratégies pour contrer la propagande en ligne contre les réfugiées.

Des idées proposées par les jeunes participants à l’atelier Rôle de préjugés dans l’opinion publique et influence sur accueil de réfugiés, centré sur l’influence des interactions sur les réseaux sociaux.

Ce type de projets pourrait se développer. La Banque mondiale doit ainsi ajouter à ses priorités la rectification de l’image que projettent les Syriens, et ce, qu’ils vivent dans leur patrie ou se soient réfugiés dans un autre pays. Comme citoyens du monde, nous devons parallèlement assumer nos responsabilités éthiques, morales et sociétales afin de contrer la propagande qui s’exerce sur les médias sociaux et de redorer l’image des Syriens avant qu’il ne soit trop tard.

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