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Comment améliorer la substitution par les médicaments génériques ? Shutterstock

Rembourser les médicaments originaux au prix des génériques : une fausse bonne idée ?

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2019 (PFLSS 2019), présenté par les ministres Agnès Buzyn et Gérald Darmanin le 25 septembre dernier, comporte deux mesures visant à favoriser le développement des médicaments génériques. L’une d’elles consisterait à rembourser, à partir de 2020, les médicaments originaux sur la base du prix du générique. Bien qu’elle soit présentée comme nouvelle, cette mesure reprend (et étend ?) un dispositif créé en 2003 et déjà appliqué à certains groupes génériques : les tarifs forfaitaires de responsabilité.

L’analyse de ce dispositif met en lumière son efficacité et son intérêt pour certains médicaments. Elle révèle toutefois également les nombreux effets pervers auxquels conduirait sa généralisation. Ceux-ci se feraient sentir non seulement sur le développement des génériques mais aussi, in fine, sur les économies réalisées par l’Assurance Maladie.

Les TFR font exploser les taux de substitution

Inspirés des « prix de référence » développés en Allemagne ou aux Pays-Bas au début des années 1990, les tarifs forfaitaires de responsabilités (TFR) reposent sur une idée « de bon sens » : dès lors que les médicaments génériques sont équivalents aux médicaments originaux, il n’y a pas de raison que l’Assurance Maladie paye l’écart de prix entre les deux. Celui-ci reste donc à la charge du patient. De ce point de vue, le TFR présente plusieurs intérêts pour les pouvoirs publics.

Le premier intérêt est de « responsabiliser » les patients aux écarts de prix entre les médicaments génériques et originaux (autour de 40 % du prix du princeps – le médicament d’origine qui sert de modèle aux médicaments génériques) et de les inciter à privilégier les médicaments génériques ou à assumer individuellement le prix de leur attachement à la marque. Mon étude réalisée à partir des données de l’Assurance Maladie sur les premiers TFR en 2003 a mis en lumière la très grande efficacité de ce dispositif.

Si l’on considère le taux de substitution (part des ventes de génériques dans le groupe comprenant à la fois le princeps et les génériques) des groupes génériques dans lesquels il y existait un écart de prix entre génériques et princeps, on constate que celui-ci est passé en moyenne de 33,5 % à 73 % en un an dès lors que ces groupes ont été soumis à TFR, en 2003. Sur la même période, le taux de substitution pour l’ensemble des génériques, avec ou sans TFR, progressait seulement de 52 % à 57 %.

Plus frappant encore : si l’on considère les groupes génériques « cromoglicate de sodium/Nalcron », où l’écart de prix moyen entre générique et princeps était en 2003 de 4,43 €, et le groupe générique « propanolol/Avlocardyl », où l’écart de prix avec le princeps était de 0,88 €, on constate que les taux de substitution respectifs en 2006 étaient de 82 % et 84 %.

On imagine donc l’efficacité de ce dispositif, et les économies réalisées, pour les antirétroviraux utilisés contre le VIH, où ces écarts de prix dépassent les 100 €…

Des économies substantielles

Le deuxième intérêt des TFR est de « maximiser » les économies réalisées par l’Assurance Maladie. En effet, l’application d’un TFR permet à l’Assurance Maladie de réaliser des économies équivalentes à un taux de substitution de 100 % et ce, quelle que soit la part de marché réelle des génériques, puisque tous les médicaments sont remboursés au prix des génériques.

Cette économie est même supérieure, puisque l’application d’un TFR conduit à diminuer la marge des pharmaciens d’officine sur la vente des médicaments. En 1999, lorsque le droit de substitution a été accordé aux pharmaciens, il a été décidé, pour les inciter à privilégier les médicaments génériques, que leur marge sur ces derniers serait établie en fonction du prix du médicament original (et pas du prix, plus faible, du générique).

Concrètement, le prix public TTC d’un médicament princeps est égal au Prix Fabricant Hors Taxe (PFHT), fixé par le Comité économique des produits de santé auquel s’ajoutent la marge du grossiste et la marge du pharmacien (qui correspondent toutes deux à un pourcentage du PFHT), ainsi que la TVA. Le prix public TTC d’un médicament générique est quant à lui égal au PFHT (fixé par le CEPS, avec une décote de 60 % par rapport au PFHT du princeps) auquel s’ajoutent la marge du grossiste et la marge du pharmacien (égales à un pourcentage du PFHT du princeps, et non pas du PFHT du générique), ainsi que la TVA. Autrement dit, les pharmaciens touchent la même marge en montant pour la vente d’un générique ou d’un princeps.

Calcul virtuel de la décomposition du prix en 2018 pour un groupe générique de plus d'un an et dont le médicament princeps avait pour Prix Fabricant Hors Taxe 10 euros avant l'arrivée du premier générique. DR, Author provided (no reuse)

Donc, même si les génériques sont moins chers que les princeps, le pharmacien a la même marge avant sur les deux catégories. Et comme par ailleurs, il touche d’importantes marges arrière de la part des laboratoires de génériques qui veulent être référencés par l’officine (et qui sont plafonnées par la loi à 40 % du PFHT du générique), sa marge totale est plus forte sur les génériques que sur les princeps et il est donc incité à les substituer.

Toutefois, en cas d’application du TFR, la marge officinale sur la vente d’un générique ou d’un princeps n’est plus fonction du prix du princeps, mais elle est calculée selon le prix du générique ; l’application du TFR conduit donc à faire baisser le prix total du médicament en diminuant la marge du pharmacien.

Enfin, le troisième intérêt du TFR est plus politique : il permet de mettre en scène le « libéralisme » des pouvoirs publics, qui affichent leur neutralité vis-à-vis des industriels (de princeps comme de génériques), leur respect de la liberté de choix des patients et leur croyance dans les bienfaits de la concurrence par les prix, libre et non faussée.

Les TFR, efficaces mais non dénués d'effets pervers

Bien qu’ils revêtent a priori les atours de l’instrument idéal, les TFR se sont avérés receler en pratique de nombreux effets pervers.

D’abord, en établissant une discrimination entre les patients, selon leur capacité à payer pour la marque, ils ont renforcé la croyance de nombre d’entre eux dans l’existence d’une médecine à deux vitesses : les plus riches pourraient s’offrir le « vrai » médicament, tandis que les autres devraient se contenter d’une « pâle imitation »… Si les TFR ont, de fait, permis d’augmenter la substitution, ils ont de ce fait renforcé les doutes de nombreux patients et prescripteurs sur la qualité des génériques.

Ensuite, dans un grand nombre de cas, les industriels de princeps ont riposté à l’application d’un TFR en alignant le prix de leur médicament original sur celui des génériques, privant ces derniers de leur seul « atout » concurrentiel. Le plus souvent, cela n’a pas conduit à un effondrement du taux de substitution, car les patients ignorent bien souvent le montant de l’écart de prix entre les médicaments. Qui plus est, les pharmaciens ne les en ont pas informés afin de ne pas mettre en cause la progression de la substitution dans les autres groupes génériques. Mais cet alignement a néanmoins clairement ralenti ladite progression.

Ainsi, dans les groupes génériques soumis à TFR en 2003 pour lesquels le prix du princeps a été immédiatement aligné, le taux de substitution moyen a crû de 28,5 % à 38,5 % seulement entre 2003 et 2004. Soit +10 points sur la période, contre +40 points pour les groupes sans alignement de prix. Pensé initialement comme un soutien au développement des génériques, le TFR s’est ainsi rapidement mû en frein à la substitution.

Les TFR ont d’autant plus freiné la substitution qu’ils ont eu d’importantes conséquences sur les revenus des pharmaciens d’officine, comme évoqué précédemment. Même si les pharmaciens bénéficient d’autres incitations financières que leurs marges pour développer les génériques (remises concédées par les laboratoires de génériques, primes versées par l’Assurance Maladie en fonction d’objectifs de substitution), l’application des TFR s’est dans les faits traduite par une chute de leur investissement dans la substitution et une stagnation voire une régression des parts de marché des génériques dans les groupes concernés.

Un instrument à manier avec précaution

Les TFR s’avèrent donc au final un instrument délicat à manier. Certes, ils sont un moyen très efficace de développer la substitution et de réaliser des économies dans les groupes de médicaments génériques pour lesquels les pharmaciens peinent à atteindre des taux de substitution élevés même plusieurs années après la mise sur le marché. Ils sont aussi efficaces pour les groupes où les industriels de princeps choisissent de ne pas baisser leurs prix. Néanmoins, le TFR peut se muer très rapidement en adversaire de la substitution dans les groupes où les écarts de prix sont faibles voire nuls, et où les pharmaciens cessent leurs efforts de promotion des génériques.

À deux reprises (lors de leur création en 2003 et lors du PLFSS 2006), le gouvernement a envisagé de généraliser les TFR à tous les groupes génériques. Dans les deux cas, ce projet a conduit à une forte mobilisation des pharmaciens d’officine (allant jusqu’à « une grève de la substitution » à l’hiver 2005).

Pharmaciens et industriels de génériques ont mis en avant les dangers de ce dispositif pour le développement des médicaments génériques en France. Selon eux, la généralisation de ce dispositif permettrait certes de réaliser de très substantielles économies à court terme, mais elle mettrait à mal l’investissement des pharmaciens dans la substitution et menacerait l’activité des industriels de génériques, en les privant de leur seul argument concurrentiel.

En l’absence de concurrence sur le marché, il serait alors plus délicat pour les pouvoirs publics de négocier de nouvelles baisses de prix avec les industriels de princeps.

Tiers payant contre génériques, une alternative aux TFR ?

En 2003 comme en 2006, le gouvernement avait finalement opté pour un usage parcimonieux du TFR, le réservant aux groupes génériques difficiles a promouvoir. À partir de 2006, les pouvoirs publics ont préféré mobiliser un autre instrument : la mesure « Tiers payant contre génériques ».

Celle-ci consiste à conditionner l’application de l’avance des frais de médicaments par les pharmaciens à l’acceptation des génériques par le patient. Elle présente les mêmes avantages que le TFR : elle « responsabilise » les patients aux prix de leurs médicaments et les incite à privilégier les génériques en différant le remboursement de ces médicaments.

De fait, cette mesure a permis une progression spectaculaire du taux de substitution de tous les génériques dans les départements où elle a été appliquée (+15 points en moyenne entre fin 2005 et fin 2006). Contrairement aux TFR, sa généralisation ne met pas en cause le développement des génériques, car elle n’affecte ni l’écart de prix entre les médicaments, ni le taux de remboursement des dépenses de médicaments pour les patients ni les incitations dont bénéficient les pharmaciens. Elle suppose cependant une mobilisation permanente des Caisses d’Assurance Maladie et des syndicats de pharmaciens et de médecins pour s’assurer qu’elle est bien appliquée par toutes les officines à tous les patients.

Le développement des génériques en France doit-il passer par les prix ?

Plus fondamentalement, on peut se demander si le développement des génériques en France doit reposer sur la « responsabilisation financière » des patients par rapport au prix des médicaments. Dans le dossier de presse fourni par le ministère de la Santé, ce dernier déclarait espérer économiser 100 millions d’euros grâce à l’application des TFR. S’il s’agit bien sûr d’un montant non négligeable, il semble dérisoire en comparaison du budget consacré par l’Assurance Maladie aux médicaments (plus de 20 milliards d’euros) ou même du marché des génériques (3,5 milliards d’euros pour les génériques et 1,5 milliard d’euros pour les princeps généricables).

On peut également s’interroger sur l’influence du prix dans le développement de la substitution. Nous avons vu que les TFR avaient des effets spectaculaires pour inciter les patients à privilégier les génériques lorsque l’écart de prix était maintenu. Mais les pharmaciens d’officine ont réussi de manière tout aussi spectaculaire à porter le taux de substitution à près de 90 % en à peine vingt ans (hors Lévothyrox et médicaments sous TFR).

Aujourd’hui, en France, le principal obstacle au développement des génériques n’est pas la méfiance des patients ou le manque d’investissement des pharmaciens dans la substitution, mais « l’attrait des médecins pour la nouveauté ». Celui-ci les conduit à prescrire les derniers médicaments sortis (et brevetés), même lorsque ces derniers ne présentent pas d’amélioration thérapeutique importante. C’est ce qui explique la faible part des génériques dans les ventes totales de médicaments (autour de 35 % en volumes, hors paracétamol).

L’enjeu pour les pouvoirs publics reste donc plus que jamais d’amener ces prescripteurs à préférer, à efficacité comparable, l’ancien médicament (donc le moins cher) au nouveau…

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