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Rendre l’éducation « expérientielle » avec l’aide de la réalité virtuelle

Étudiants d'école de commerce travaillant un cas en réalité virtuelle. Neoma Business School, Author provided

Depuis le mot célèbre de Freud, c’est un poncif que de qualifier l’enseignement de « métier impossible ». Cependant, les révolutions récentes ayant touché le système éducatif font qu’une telle affirmation… n’a sans doute jamais été aussi vraie.

Du fait d’abord de la massification de l’enseignement, en forte accélération au cours des dernières années. Sans parler de la règle qui veut qu’en France, il faut désormais amener 85 % d’une classe d’âge au baccalauréat, ce sont aujourd’hui des millions d’Indiens et de Chinois qui accèdent à l’enseignement supérieur. De fait, ensuite, de la disponibilité immédiate des savoirs : tout ce qui est dit peut instantanément être vérifié. Ainsi, l’enseignant qui commet une erreur dans une salle de classe a toutes les chances de voir rapidement celle-ci pointée du doigt par l’un de ses élèves qui auront consulté Google.

Enfin, du fait de l’impossibilité de plus en plus grande pour les enseignants de maintenir durablement l’attention de leurs élèves. Lorsqu’un enseignant parle dans une salle de classe, les élèves sont ainsi nombreux à ne plus être capables de se concentrer au-delà de quelques minutes. Et l’on ne parle même pas des élèves du supérieur, qui sont à la fois en cours et sur les réseaux sociaux…

La nécessité de développer un apprentissage plus expérientiel

Comment continuer à enseigner dans ce contexte et faire face à ces trois révolutions ? La réponse passe évidemment par l’innovation pédagogique. Notamment, un enjeu est de développer des stratégies éducatives qui permettent un apprentissage moins magistral et théorique et plus « expérientiel ». Selon Legendre (2007), l’apprentissage expérientiel est

« un modèle d’apprentissage préconisant la participation à des activités se situant dans des contextes les plus rapprochés possible des connaissances à acquérir, des habiletés à développer et des attitudes à former ou à changer. »

L’apprentissage expérientiel ancre plus durablement les acquis et mobilise de manière plus importante les apprenants dans leur processus d’apprentissage. Il permet un processus d’apprentissage selon l’expression de Schön par double réflexion « réflexion dans l’action et réflexion sur l’actionné ». Il est réalisé, en présentiel, via des mises en application, des séquences d’approfondissement, de questionnement, des mises en situation des contenus travaillés au préalable à distance, des simulations ou business game, des travaux de groupes, des études de cas traditionnelles, des exercices, des projets simulés ou réels, des expériences professionnelles (stage ou associatif), etc.

L’intérêt expérientiel de la réalité virtuelle immersive

Si un certain nombre d’outils peuvent donc être utilisés, une technologie récemment apparue est notamment pertinente d’un point de vue expérientiel : la réalité virtuelle immersive. La réalité virtuelle immersive consiste en une captation photo et/ou vidéo de scènes de la vie (professionnelle ou ludique). Cette captation permet une reconstruction numérique en 360° dans laquelle, muni d’un casque, l’utilisateur a la sensation d’être immergé, inclus dans la photo au milieu des individus photographiés, impliqué au sein des personnes filmées dans la vidéo s’adressant à lui/elle.

La mobilisation de la réalité virtuelle immersive peut ainsi être utilisée pour permettre à des étudiants en classe de visiter un lieu (même petit, dangereux ou inaccessible), de vivre une situation pédagogique, ou encore d’être plongé dans un contexte pertinent pour la discipline étudiée en réalité virtuelle.

Grâce à un téléphone et un casque de VR passif, l’étudiant peut être projeté dans un environnement à 360°, choisi par le professeur. Dans cet environnement l’apprenant va pouvoir exercer son diagnostic critique pour analyser le contexte et y prendre les décisions adaptées à l’exercice.

La démarche « experiential education » (ExE), une application pratique

C’est dans ce cadre, qu’au sein de Neoma Business School, nous avons initié en 2016-2017 la démarche ExE (experiential education). Celle-ci s’inscrit dans l’approche pédagogique de l’école, centrée sur l’expérientiel et l’apprentissage par l’action (action learning). Précisément, notre première initiative a consisté à utiliser la réalité virtuelle immersive en vue de développer une application permettant à nos étudiants de s’immerger au sein d’un magasin. La démarche, pensée pour améliorer l’enseignement du marketing, et notamment des aspects liés au point de vente (mechandising, organisation du point de vente, etc.) a été proposée à plus de 2 000 étudiants.

Le bilan qui peut être tiré de cette première initiative est plus que positif. D’abord, l’apprentissage apparaît plus rapide. Plus engagés, les étudiants apprennent plus vite les concepts marketing liés au merchandising et à l’organisation d’un point de vente. Ensuite, l’apprentissage apparaît plus durable.

Cette première expérience étant « marquante » pour eux, ils se souviendront plus longtemps des concepts étudiés. Par ailleurs, l’apprentissage est plus complet. Dans une approche non linéaire et immersive, ils appréhendent un système comme dans la vie réelle. Enfin, en utilisant cette technologie on utilise les outils d’aujourd’hui et l’étudiant est ainsi captivé. Dans cette « économie de l’attention » le professeur ressort alors gagnant tout en renforçant sa démarche pédagogique en la rendant plaisante : c’est l’ère de l’edutainment (educational entertainment).

Session du cas ExE-6netic de Neoma BS.

Des points de vigilance à respecter

Utiliser la réalité virtuelle amène toutefois à quelques points de vigilance. En effet, l’usage de toute technologie nécessite une attention particulière à l’UX (user experience), à la future expérience d’utilisation de l’usager.

Dans le cas de réalité virtuelle immersive (RVI), le cerveau est soumis à un exercice particulier qui réclame qu’on lui fournisse le cadre de la plus haute qualité : le cerveau va percevoir et vivre une expérience que ses autres sens ne perçoivent pas directement. Dans de rares cas, qui peuvent être provoqués soit par une insuffisante qualité de l’environnement immersif proposé, soit par une difficulté intrinsèque à l’individu à vivre ce type d’expérience (comme il serait de même avec un individu souffrant du mal des transports), on peut rencontrer des effets de cinétose (motion sickness).

Cette sensation de malaise, comparée au mal des transports, peut survenir lors d’une immersion virtuelle. Jusqu’à 40 %, d’utilisateurs peuvent ressentir un motion sickness lors de l’utilisation de la RV d’après une étude réalisée par la US Navy en 2015. Ces phénomènes sont bien sûr directement liés à la nature de l’expérience proposée et au profil de l’utilisateur.

Dans le cas de la réalité virtuelle immersive il faut particulièrement veiller à :

  • la qualité de la « navigation » qui va être proposée à l’utilisateur durant l’expérience en RVI, afin d’éviter des mouvements complexes voire inutiles,

  • des temps d’immersion peu longs permettant de limiter la durée d’exposition à la lumière de l’écran du smartphone et le temps d’effort d’accommodation visuelle,

  • une très haute qualité des images proposées afin de ne pas fatiguer l’utilisateur avec des images floues, voire hachées par une mauvais stitching (collage des vidéos).

Mais surtout, la technologie n’a ici d’intérêt que dans sa finalité pédagogique. Sans démarche pédagogique réfléchie, avec des objectifs finement travaillés et un scénario soigneusement construit elle ne serait qu’un ajout inutile, un simple phénomène de mode.

Vers une bibliothèque de contenu immersifs

À terme, l’objectif de Neoma est ainsi de produire une bibliothèque de contenus pédagogiques grâce à laquelle les étudiants pourraient s’immerger dans une plus grande diversité d’organisations et travailler leur agilité et leur « conscience critique » (critical awareness).

En développant une bibliothèque de contextes immersifs, on permet ainsi aux étudiants de vivre rapidement de nombreuses expériences pédagogiques, et on leur donne les clés pour faire des liens entre ces expériences. C’est aussi l’opportunité de mettre à la disposition des apprenants des mises en contextes variés que n’autorisent pas les contraintes de temporalité de leur cursus ou encore les contraintes des organisations. Enfin on revalorise le rôle du professeur qui doit fournir aux apprenants les moyens de faire des allers-retours entre théorie et pratique.

Salle de classe avec des étudiants en immersion dans leur cas marketing.

Ici l’innovation nous permet de faire rentrer la mise en situation dans la salle classe et d’y favoriser la boucle de rétroaction pratique/théorie et donc la construction de compétence en salle de classe. Cela relégitime le professeur dans son rôle et revalorise fortement les temps en présentiel. Au sein de Neoma Business School, notre prochain projet consiste à donner à voir aux étudiants le mode de fonctionnement d’un drive. Le projet, mené en partenariat avec le Drive E. Leclerc de Saint-Brice Courcelles, a pour objectif de faire comprendre aux étudiants comment fonctionne ce mini-entrepôt logistique.

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