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Repenser la Ligue 1 de football en France : seulement 14 clubs… et toujours les mêmes ?

L'OM, vainqueur de la coupe de la ligue Finale de la coupe de la ligue - OM vs Bordeaux 3-1 - Stade de France - 27 mars 2010. Yann Caradec / Flickr, CC BY-SA

Il paraît difficile aujourd’hui de ne pas admettre que le football professionnel est une véritable industrie qui, au-delà d’un spectacle vivant enivrant des millions de fans à travers le monde, brasse des sommes colossales.

Comment ne pas évoquer ici le transfert du prodige brésilien Neymar du FC Barcelone vers le Paris Saint-Germain l’été 2017 : une clause libératoire de 222 millions d’euros payée par le club parisien pour permettre la rupture du contrat en cours, une prime de 80 millions d’euros et 100 millions de charges, soit un total de 402 millions d’euros. Las ! Le joueur n’a même pas pu terminer sa première saison suite à une blessure lors d’un match de championnat contre l’ennemi juré : l’Olympique de Marseille.

Les « anti-foot » hurlent évidemment au scandale à l’évocation de tels chiffres astronomiques. Mais ne sont-ils pas finalement comparables à des rémunérations d’acteurs ou de rappeurs en vue ? Le football renvoie à une réalité économique qu’il serait maladroit de nier, pour le meilleur et pour le pire.

Presentation de Neymar, Paris Saint-Germain (4 aout 2017). Antoine Dellenbach/Flickr, CC BY-SA

Une industrie au système de gouvernance sophistiqué

L’une de ses caractéristiques majeures, finalement assez peu connue du grand public, est qu’il est l’objet d’un système de gouvernance très sophistiqué (et hiérarchisé), piloté par des instances nationales et internationales qui sont garantes du respect de règles sportives… mais aussi du rendement financier de l’activité.

Dans un documentaire fouillé, diffusé en février 2016, Arte a pu décrire avec force détails la multinationale tentaculaire qu’est devenue la FIFA, et nul doute que plus d’un passionné du ballon rond a dû naviguer entre dégoût et abattement à l’évocation des frasques de Sepp Blatter, des errements de Michel Platini ou de la corruption généralisée en vue de l’attribution de multiples coupes du monde. Qu’importe cette réalité qui dérange parfois… Le football est bien une industrie, avec ses logiques d’action et ses déviances, et même ses comportements opportunistes que ne renierait pas le prix Nobel Oliver Williamson lui-même !

Alors, que dire de la gouvernance du football professionnel en France ? Soyons provocateurs et annonçons directement la couleur : il faut regretter la présence de beaucoup trop de clubs de niveau médiocre, se battant pour une simple survie à court terme (leur maintien en Ligue 1). Face à eux, une poignée de clubs occupant les premières places, mais incapables de jouer les premiers rôles en Europe, hormis dans une compétition mineure, comme cela fut le cas avec l’Olympique de Marseille dans le cadre de l’Europa League en 2017-2018, pâle copie de l’aristocratique Champions League dont rêvent le Paris Saint-Germain et ses stars.

Quelle solution alternative proposer ? Et si le salut venait d’une réduction de la Ligue 1 à 14 clubs, tout en procédant à sa « fermeture » (ni montée, ni descente). Voilà de quoi « mettre le feu » à une gouvernance héritée d’un football à l’ancienne, le fameux « football de village », qui n’a pas vu le monde changer en profondeur depuis vingt ans…

Supporters marseillais (27 mars 2010). Yann Caradec/Flickr, CC BY-SA

Pour une Ligue 1 à 14 clubs

Rien de tel que de se replonger dans l’histoire… du rugby français pour comprendre les enjeux en présence. Pour la génération des cinquantenaires et soixantenaires, que de souvenirs. Lorsque les commentateurs TV ou radio annonçaient les résultats de la première division de rugby, il fallait s’armer de patience dans les années 1970. Un nombre incalculable de groupes A, B, C, D… des équipes localisées dans une kyrielle de petites villes, une élite entièrement diluée dans les campagnes.

Il fallut beaucoup de courage à la Ligue Nationale de Rugby (LNR) pour faire naître le Top 14 et imposer ainsi un championnat professionnel à la fois très médiatique et sportivement performant. Pendant ce temps, même si la Ligue Nationale de Football (LNF) faisait le ménage en Division 2 professionnelle, en passant de deux groupes à un seul groupe, elle s’est bien gardée d’agir de même pour la feu Division 1 : la réduction de la Ligue 1 à 18 clubs (contre 20 aujourd’hui) reste toujours un vœu pieux, depuis la harangue de Frédéric Thiriez, ex-président de la LNF, en 2013.

Le résultat est connu et disséqué chaque année : la multiplication des matches, dont certains s’apparentent à un voyage au bout de l’ennui, use l’organisme des joueurs et tire le niveau général de jeu vers le bas. Lorsque les joutes européennes se présentent, les clubs français sont alors victimes d’un décrochage brutal, n’étant pas aguerris à une compétition intra-européenne en rien comparable à celle d’un modeste championnat national.

Voilà une vérité difficile à entendre, mais qui fait sans doute écho au modèle de l’écologie des populations. En d’autres termes, les clubs de football, comme toute organisation, sont soumis à un processus de sélection par l’environnement, et seuls ceux qui sont en adéquation avec les exigences dudit environnement sont justement retenus pour survivre (et gagner), tandis que les autres sont éliminés. Manifestement, l’environnement actuel de la Ligue 1 n’est pas le plus propice pour permettre la survie des clubs français lors des phases finales de la Champions League.

À ce petit jeu, il y a de fortes chances pour que les Marseillais restent très longtemps « les premiers »… et les seuls, et que l’on célèbre encore pendant des décennies la Divine Surprise d’un soir de mai 1993 !

Réduire la Ligue 1 à 14 clubs pour la renforcer en limitant le nombre de matches tout en élevant significativement le niveau de jeu ? On imagine sans peine les cris d’orfraie des puristes, défendant la présence d’équipes très moyennes pour donner la chance à des régions reculées de disposer envers et contre tout d’une vitrine médiatique unique. On pourrait dresser une liste impressionnante de clubs désormais disparus (ou moribonds) qui ont redonné un temps une fierté perdue à un bassin d’emploi meurtri, avant de retomber dans les oubliettes de l’histoire.

On peut parler ici d’une volonté politique d’aménagement spatial, ou plutôt d’un football ancré territorialement, et qui fait crier au fou quand on y apprend qu’une franchise de basket ou de base-ball nord-américaine peut être délocalisée à 2 000 km de sa ville d’origine… tout en conservant le même nom. Mais dans une économie globalisée et ultra-compétitive, le territoire confiné d’une modeste équipe de football a-t-il encore un sens, hormis d’être le reflet désuet d’un folklore vivant à la Arnold Van Gennep ?

Fermer la Ligue 1 pour s’ouvrir sur de nouveaux espaces sportifs

Si militer pour la réduction de la Ligue 1 de football en France est déjà en soi une provocation absolue, que dire alors de la suggestion d’une fermeture ? Le modèle de la ligue fermée renvoie une logique de gouvernance très connue, à savoir considérer que les clubs y participant ont la certitude d’y demeurer (sauf à faire faillite) et ne jamais prendre le risque d’être rétrogradés dans une ligue inférieure (dite « mineure »).

Voilà une option qui aurait plu aux pauvres Messins à la fin de la saison 2017-2018, condamnés à « descendre » en Ligue 2 compte tenu de leurs piètres résultats, mais qui aurait dans le même temps attiré le courroux vengeur des Nîmois, retrouvant la Ligue 1 après 25 ans de pénitence. Les ligues fermées constituent d’ailleurs un modèle d’affaires très sophistiqué en matière de gouvernance, et on ne peut que conseiller au lecteur de se plonger dans la récente contribution de François Fulconis, Jean Nollet et Gilles Paché pour en saisir les principaux ressorts.

Que retenir du modèle de la ligue fermée ? Principalement que les clubs (membres) la constituant agissent collectivement pour maximiser les gains que chacun va retirer de sa participation. S’il y a bien compétition sportive pour obtenir un trophée, à l’image du célèbre Super Bowl, celle-ci est strictement régulée selon des règles précises, notamment de recrutement des nouveaux joueurs et de rémunération globale de l’équipe.

D’une certaine façon, nous sommes ici dans une configuration coopétitive, chère à l’école montpelliéraine, puisque la ligue fermée associe compétition sportive et coopération dans la création collective de valeur, tout particulièrement en matière de négociation des droits TV.

Faire basculer la Ligue 1 de football vers un tel modèle présenterait à nos yeux au moins deux avantages :

  • D’une part, l’éradication du risque lié à la « glorieuse incertitude du sport » permettrait d’attirer des investisseurs qui apprécient peu que la performance d’une équipe ou pire, son déclassement en fin de saison, soient liés à la blessure d’une star ou à une mésentente récurrente entre un entraîneur et ses joueurs.

  • D’autre part, l’absence de sanction sportive faciliterait l’intégration de jeunes pousses prometteuses, certes devant encore faire leurs preuves, mais pouvant être plongées dans le grand bain de la compétition sans que les conséquences de leur contre-performance éventuelle soient rédhibitoires pour l’équipe.

Passer du principe de la ligue ouverte, avec montées et descentes en fin de saison, à celui de la ligue fermée, stabilisée dans le temps, serait sans doute une révolution aussi majeure que celle que connut le football français lors de l’introduction du contrat à temps à la fin des années 1960, dont le fameux rapport de Philippe Seguin a rendu compte. De multiples difficultés seront à surmonter pour y parvenir, notamment celles liées à la définition des critères d’éligibilité des clubs pouvant participer à la ligue fermée, sans oublier l’établissement de nouvelles règles (collectives) de gouvernance.

Paradoxalement, l’Europe fonctionne déjà comme une pseudo-ligue fermée puisqu’il suffit de prendre la liste des demi-finalistes de la Champions League sur une décennie pour découvrir qu’une quinzaine de clubs (toujours les mêmes) sont systématiquement présents.

Défendre l’idée d’une Ligue 1 française fermée et réservée à 14 clubs n’est donc pas une thèse aberrante. Sa mise en place ferait certainement l’effet d’un tsunami, mais elle marquerait peut-être (enfin) l’entrée du football professionnel français dans l’âge de raison.

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