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Révolution brutale ? Les six mutations disruptives qui dessinent l’avenir du secteur automobile

La voiture autonome pousse les constructeurs à repenser l’habitacle au sens anthropologique du terme. Chesky/Shutterstock

La révolution digitale se passe à l’intérieur des entreprises. Elle se passe également au niveau des secteurs… avec des effets encore plus redoutables. L’automobile en est un bon exemple aujourd’hui. Dans un contexte de réduction de leur chiffre d’affaires et de mutation de leur modèle économique, tous les constructeurs se battent pour ne pas être rétrogradés le long de la chaîne de valeur et ne pas devenir un maillon d’assembleur/marketeur low tech. Pour relever ce défi, ils vont devoir appréhender au mieux les six grandes mutations disruptives que connaît actuellement l’automobile et que nous vous proposons de récapituler dans cet article.

1. Transition vers un mix motorisations/énergies

En janvier 2019, l’Union européenne a voté une réduction drastique des émissions de CO₂. L’impact de la décision européenne est rude : pas plus de 30 % de voitures thermiques (essence principalement) parmi les voitures neuves d’ici 10 ans. Le cabinet KPMG estime que le parc automobile se composera alors d’un quart de véhicules électriques à batteries, un quart d’électrique hybride, un quart de voitures à hydrogène et un quart de voitures thermiques (diesel et essence).

C’est une mutation brutale du modèle industriel et économique (risques pour l’emploi) des constructeurs, mais aussi de leur espace concurrentiel. La voiture électrique est en effet moins complexe à fabriquer, ce qui laisse la possibilité à de nouveaux entrants de s’installer. Elle est moins complexe à réparer, ne nécessite quasiment pas de révisions et génère peu de ventes de pièces détachées (perte de 40 % de chiffre d’affaires). Et surtout, 30 % de la valeur de la voiture provient des batteries dont l’expertise, les producteurs et les terres rares en Asie.

À tel point que les batteries sont devenues un sujet de polémique (dépendance à l’Asie, fabrication polluante, autonomie et recharge encore problématiques) et que l’hydrogène est effectivement devenu une alternative crédible.

Poussée par la volonté des constructeurs de générer de nouvelles sources de valeur et par des politiques publiques favorables aux nouvelles mobilités, cette première mutation brutale du secteur automobile va accélérer 5 autres mutations du secteur tout aussi disruptives.

2. Voiture digitale connectée et communicante

Seconde mutation, la « voiture connectée » : maintenance prédictive évolutive, habitacles digitaux, assistants personnels mais surtout services digitaux géolocalisés : e-commerce, tourisme, réservations, assurance personnalisée, etc. Tous les constructeurs cherchent à créer une expérience client « riche » et sans couture avec une guerre des data annoncée autour des services digitaux… Certains constructeurs (Volkswagen) sont déjà en train de créer un réseau fermé avec confidentialité et maîtrise des données, à l’opposé des stratégies de partenariat avec Google et ses applications (Renault).

La guerre des datas n’aura pas lieu chez Volkswagen qui développe un système digital complet fermé. Timedm.com

3. La voiture comme lieu de loisirs ou de travail

Si la voiture est connectée, elle peut aussi être autonome, sans conducteur humain. Le développement des véhicules autonomes se construit aujourd’hui à la fois sur un mythe de monde sans accident mais aussi sur des peurs : cybersécurité et fiabilité.

Elle pose également des questions de responsabilité. Par exemple, que doit décider l’algorithme : tuer les passagers ou tuer les enfants qui traversent brutalement ? Toutes ces raisons expliquent que le développement de la voiture individuelle autonome va être lent ; d’autant plus que la question des infrastructures se pose (panneaux connectés, généralisation de la 5G, etc.).

Rappelons qu’il y a cinq niveaux de voitures autonomes (figure 1).

Les 5 niveaux de la voiture autonome. Intel.fr

En matière de voiture individuelle, les premières de niveaux 3 sont attendues en série en 2022 avec beaucoup d’options qui vont fiabiliser la conduite. La mutation actuelle est donc plutôt celle de la voiture individuelle « augmentée ».

Il est passionnant de voir à quel point cette mutation conduit d’ores et déjà la filière automobile à redéfinir les fonctions de l’habitacle au sens anthropologique du terme. La voiture devient un lieu de divertissement ou de travail où les fauteuils (massants) peuvent se retourner et permettre aux passagers de se voir et de discuter (en attendant que le conducteur puisse le faire).

Certains constructeurs vont plus loin comme Renault par exemple en montrant une autre facette de cette mutation : la production de contenus. Le constructeur est ainsi entré au capital de l’éditeur du magazine Challenges qui produit de nombreux podcasts audio (Sciences et avenir, La recherche, L’Histoire, Historia, etc.). Renault a également noué un partenariat avec Ubisoft (jeux vidéo en réalité virtuelle utilisant les mouvements de la voiture)…

4. La voiture individuelle « as a service »

Cette voiture électrique, connectée et augmentée sera plus chère. Comment absorber la montée technologique des voitures ? Deux tendances aujourd’hui : l’explosion de la location longue durée et la disparition des frontières entre autopartage, location classique et location longue durée, trois secteurs dans lesquels les constructeurs poussent de nouveaux services jusqu’à déjà proposer pour certains des locations pour une heure, une semaine, un mois, un an, trois ans en fonction des situations.

Ces derniers mois, Renault et PSA ont ainsi respectivement lancé Moov’in.Paris et Free2Move, des services de véhicules électriques en libre-service dans la capitale française.

Un autre exemple : l’automobile « as a service » par Volvo (Volvo, 2017).

5. Mobilité autonome collective urbaine

Si la voiture autonome individuelle n’est pas pour tout de suite, le véhicule collectif intelligent urbain est déjà là : navettes autonomes sur voies dédiées, livraisons autonomes, voire camions autonomes (Volvo dans les carrières norvégiennes, etc.). Aujourd’hui, constructeurs et collectivités réfléchissent à des robots taxis pour la ville de demain et cherchent à avancer sur les problématiques de stationnement. Ce qui est passionnant, c’est qu’en réinventant la mobilité pour la ville de demain, les constructeurs réinventent les fondamentaux de ce qu’est un véhicule. Ce véhicule de demain tend à devenir modulaire à partir d’un châssis unique et se situe à mi-chemin entre taxi autonome et véhicule de logistique urbaine comme le montre le concept développé par Mercedes-Benz.

Présentation du concept développé par Mercedes-Benz (vidéo Mercedes-Benz, 2018).

À partir de cette même idée de véhicule modulaire, certains constructeurs se tournent même vers les taxis volant, à l’image d’Audi et son concept Pop.Up Next modulaire à la fois terrestre et aérien. Selon l’institut Gartner, 80 projets déjà en cours qui devraient être commercialisés avant 10 ans.

Présentation du projet Pop.Up Next 2018 (Italdesign, 2018).

6. Sur mesure de masse

Aujourd’hui, le nombre de passages en concession diminue et il est déjà possible d’acheter une voiture neuve sur Amazon ou Alibaba. Pour conserver leur place centrale, les constructeurs poussent dans le sens de la désintermédiation pour développer directement des stratégies omnicanales qui les poussent à réinventer le rôle des espaces physiques.

L’étape d’après ? La voiture « sur mesure » créée directement entre le constructeur et le consommateur via la réalité augmentée et virtuelle grâce au potentiel de l’usine 4.0 et l’intégration encore renforcée des systèmes d’information. Si on en croit les difficultés de Tesla à devenir un constructeur automobile à l’échelle industrielle, il y a là une compétence clé à défendre et une façon de recréer des barrières à l’entrée pour les constructeurs traditionnels, ce qui sera sans doute décisif pour conserver leurs positions dans ce contexte de bouleversements profonds…

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