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Risques psychosociaux : quand les salariés souffrent de la croissance de leur entreprise

Stress. Bennett, CC BY-SA

Une enquête (DARES, juin 2015) montre que « La situation économique des établissements où travaillent les salariés du secteur privé détermine en partie les risques psychosociaux auxquels ils sont exposés. » En cause : la crainte de perdre son emploi, le surcroît de travail et des rapports sociaux tendus. Mais qu’en est-il des salariés des entreprises qui traversent une crise de croissance ?

La crise de croissance, une transition

Tout d’abord, rappelons ce que l’on entend par crise de croissance : il s’agit d’une phase de transition qui peut mettre en difficulté l’organisation. Larry Greiner (1972) suggère que les organisations passent par 5 étapes : la croissance par créativité, la croissance par direction, la croissance par délégation, la croissance par coordination et la croissance par collaboration.

Pour y faire face, elles doivent adapter leurs stratégies, leurs structures et leur modèle managérial. Chaque phase est susceptible de s’achever par une crise de croissance structurelle qui contraint l’entreprise à évoluer ou ne pas poursuivre son développement (Greiner, 1972). Selon Greiner, la 5ème phase, la croissance par collaboration est susceptible de s’achever après une crise de croissance interne.

Passer d’une PME avec un management paternaliste, où l’ensemble des fonctions repose sur quelques personnes, à une entreprise structurée nécessite une petite révolution managériale. Les dirigeants ne sont pas toujours conscients de cette croissance trop rapide, fiers qu’ils sont de leur « bébé ».

Mais, si le moral des employés est en berne, les arrêts de travail augmentent, le turn-over s’accroît, alors il faut s’inquiéter. Ceci se produit lorsque de nombreux salariés rejoignent l’entreprise en un temps très court. L’équipe déjà en place n’a pas le temps d’intégrer les nouveaux et de transmettre les valeurs et méthodes.

Crise de croissance et crise tout court

La crise de croissance qui est une étape positive de la vie économique de l’entreprise peut vite se transformer en cauchemar managérial. Il semble que cette crise soit un passage obligé, étape de la structuration. Cependant, grossir, recruter, se structurer signifie aussi commettre des erreurs de management. Parce que tout va très vite et que le changement d’échelle se fait dans l’urgence pour répondre au marché, la GRH est mise de côté, supposée peu stratégique dans une période de croissance. Et pourtant, il faut recruter, former, motiver, rassurer…

Quel intérêt de déployer tant d’efforts pour attirer les meilleurs si les anciens salariés se démotivent et quittent le terrain en démissionnant et les nouveaux ne se sentent pas intégrés. La plupart des patrons de PME confrontés à cette crise de croissance ignorent les risques psychosociaux potentiels.

Risques psychosociaux

Les risques psychosociaux (RPS) correspondent à des situations de travail où sont présents, combinés ou non :

  • du stress ;

  • des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes ;

  • des violences externes commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…).

Ce sont des risques qui peuvent être induits par l’activité elle-même ou générés par l’organisation et les relations de travail.(INRS)

L’enquête Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) de 2010 permet de repérer les situations de travail qui accroissent ces risques, comme la tension au travail (job strain) ou le manque de reconnaissance (cf DARES 2016).

“La souffrance individuelle révèle souvent des situations collectives de travail problématiques qui méritent d’être traitées en tant que telles”. (ANACT, agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail)

En revanche (DARES 2015), les problèmes de « qualité du travail » (conflits de valeurs) sont plus souvent évoqués par les employeurs des établissements « en croissance », alors que les salariés les citent plus souvent dans les établissements « en crise ». De même, les employeurs des établissements « en croissance », au contraire de leurs salariés, détectent, plus souvent que ceux des établissements « stables », des tensions entre collègues ou avec les supérieurs, ou bien le risque d’une « charge de travail trop importante » ou de « travail dans l’urgence »).

Quelles situations pour les salariés ?

Les salariés des entreprises en croissance sont-ils donc heureux au travail ? Quel risque prend l’employeur si les salariés sont victimes de stress au travail ? Dans un arrêt du 28 février 2002, la Cour de cassation énonce que :

« l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité ».

Il y a fort à parier que si les patrons avait conscience du risque pénal afférent aux risques psychosociaux, certaines mesures préventives seraient mises en œuvre. En effet, la responsabilité pénale de l’employeur pourra être engagée sur la base du Code du travail ou du Code pénal. Sa responsabilité civile pourra être recherchée en cas de faute inexcusable.

L’employeur a l’obligation d’évaluer l’ensemble des risques auxquels ses salariés sont exposés au sein de son entreprise dans le “document unique d’évaluation des risques professionnels”. Ceci inclut les risques psychosociaux. Certains enseignants-chercheurs se sont d’ailleurs spécialisés sur le thème des risques psychosociaux.

“Face à des menaces de plus en plus pesantes comme les violences au travail ou le stress, le DRH se retrouve face à une nouvelle mission dont les conséquences juridiques ne sont pas minces. Pour la mener à bien le DRH dispose de quelques outils, encore faut-il qu’il ait l’envie, la volonté et les moyens de les utiliser. A cet égard, le récent développement du processus d’évaluation des risques illustre bien cette nouvelle logique” (Abord de Chatillon, 2005). Cependant, aucun ne semble s’être attaché à l’étude de ces risques quand l’entreprise entre en crise de croissance. Le débat est donc lancé !

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