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Robyn Denholm, le choix d’une copilote pour Elon Musk chez Tesla

L'Australienne Robyn Denholm a la réputation de savoir gérer les individus avec un ego surdéveloppé. Tesla

Robyn Denholm, 55 ans a été officiellement nommée le 7 novembre 2018 pour remplacer l’iconique Elon Musk en tant que présidente du conseil d’administration de Tesla, le constructeur américain de véhicules électriques. Pourquoi ce choix ? Annonce-t-il une volonté de réformer en profondeur une gouvernance remise en cause par certains investisseurs ? Pourra-t-elle dompter le fantasque patron ? Et peut-elle vraiment exercer son rôle en toute indépendance ?

Cette nomination intervient dans la foulée des sanctions infligées à Elon Musk par la SEC après le fameux tweet du 7 août 2018 dans lequel le patron du constructeur avait déclaré qu’il envisageait de retirer Tesla de la bourse à 420 dollars avec un financement garanti. Elon Musk avait été condamné à régler une amende de 20 millions de dollars et surtout à démissionner de son poste de président du conseil d’administration de Tesla. Une fonction qu’il a interdiction d’exercer pendant au moins trois ans. Certes, certains investisseurs et parties prenantes peuvent se réjouir de la séparation de pouvoir entre le PDG et la nouvelle présidente du conseil d’administration, d’autres pourront y voir un nouveau coup de communication et se poser des questions quant à la réelle indépendance de Robyn Denholm.


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Pourquoi Robyn Denholm ?

Sur le papier, l’Australienne Robyn Denholm présente plusieurs atouts. Tout d’abord, elle bénéficie d’une solide expérience à la fois dans le secteur de la technologie et dans le secteur de l’automobile. Après avoir passé sept ans chez Toyota dans des fonctions financières, elle a travaillé pendant 16 ans dans la Silicon Valley à des postes de responsabilités opérationnelles et financières, d’abord chez Sun Microsystems puis chez Juniper Networks. Elle y a d’ailleurs engagé une restructuration fructueuse qui a permis au groupe d’afficher des profits record en 2015.

Robyn Denholm occupe actuellement le poste de directrice financière et stratégique au sein du groupe de télécoms australien Telstra dans lequel elle a également été chargée de lancer une restructuration. Elle prévoit de se consacrer à plein temps à ses nouvelles fonctions au sein de Tesla et a donc démissionné de son poste australien. Ensuite, elle était déjà administratrice indépendante de Tesla depuis 2014, elle connaît de ce fait déjà le groupe et en particulier son PDG Elon Musk avec qui elle a réussi à travailler. Ce dernier a d’ailleurs déclaré :

« Robyn a une expérience reconnue à la fois dans les industries de technologie et l’automobile et elle a apporté une contribution significative en tant que membre du conseil d’administration sur les quatre dernières années en nous aidant à devenir rentables. J’ai hâte de travailler avec Robyn de façon encore plus étroite dans le futur. »

Une femme capable de gérer un dirigeant avec un ego surdimensionné

James Murdoch avait été pressenti, mais avec une personnalité forte, le risque de confrontation était sans doute trop élevé. Tesla semble donc avoir opté pour une personnalité plus en retrait. Dans un article du Financial Times intitulé « Low-key Robyn Denholm takes on challenge of taming Elon Musk » que l’on pourrait traduire par « La discrète Robyn Denholm devra relever le défi d’apprivoiser Elon Musk », l’analyste Pierre Ferragu, qui couvrait Jupiter Netwoorks à l’époque où Robyn Denholm y travaillait, rapporte qu’« elle a fait ses preuves en matière de gestion d’individus avec un ego surdéveloppé ».

Il précise que face à un mâle alpha, « Robyn Denholm se comporte comme l’exact opposé : elle peut rester très calme, très sereine. Elle a une personnalité moins visible mais elle est très forte pour conduire les changements sans être dans la lumière ». Chez SpaceX, Elon Musk collabore avec une autre femme : Gwynne Shotwell qui a rejoint SpaceX en 2002 et dont elle dirige les opérations depuis 2008. Contrairement aux collaborations avec les membres de la direction qui ont quitté le navire chez SpaceX ou chez Tesla (plus de vingt cadres dirigeants ont quitté Tesla depuis 2016), ce tandem-là semble bien fonctionner.

Une femme qui prend des risques

En tous cas, c’est une femme qui prend des risques. Comme l’indiquaient Renée B. Adams (University of New South Wales) et Vanitha Ragunathan (University of Queensland) dans leur papier Lehman Sisters, il ne faut pas se fier aux stéréotypes qui laissent croire que toutes les femmes sont réfractaires à la prise de risques. Selon les recherches de ces dernières, lorsqu’une femme est choisie pour occuper un poste de haute direction (surtout dans la finance), c’est souvent qu’elle présente des caractéristiques similaires aux hommes en termes d’appétence au risque et différentes de la population générale des femmes.

Un point de vue qui milite en faveur du choix de femmes administrateur(s) en raison de leur compétence plutôt que de vouloir instaurer des quotas pour respecter une représentation équilibrée des femmes et des hommes. Les chercheuses indiquent dans leur papier que la nomination de femmes dans les conseils d’administration apporte d’autres bénéfices, sans pouvoir vraiment les expliquer. Par exemple, l’analyse de 300 grandes banques et institutions financières cotées aux États-Unis sur une période de quatre ans à partir de la crise financière de 2007-2008 a montré que les banques qui avaient des femmes dans leurs conseils d’administration n’ont pas pris moins de risques mais ont mieux performé.

17 millions de dollars de rémunération

Peut-on considérer que Robyn Denholm exerce vraiment son jugement de manière totalement indépendante lorsqu’elle cumule des positions d’administratrice dans les trois comités de Tesla et, qu’en plus, elle est présidente du comité d’audit ? Il convient en effet de préciser que Robyn Denholm est à la fois membre du comité d’audit, du comité de nomination et de rémunération, et du comité de gouvernance d’entreprise. Des nominations qu’elle cumule avec celle de présidente du comité d’audit depuis le 11 août 2014.

Enfin, il nous semble important de rajouter qu’elle a été très largement rémunérée pour son travail puisqu’elle a perçu une rémunération de plus de 17 millions de dollars pour ses mandats au cours des quatre dernières années. Ce montant a pu être calculé à partir des circulaires de procuration (Proxy Statement Pursuant to Section 14(a)) déposées par Tesla auprès de la SEC avant la tenue de l’Assemblée générale des actionnaires pour les exercices 2014 à 2017. Plus intéressant encore, lorsque l’on se penche attentivement sur les montants fournis par Tesla, il apparaît que 1 % seulement de la rémunération a été versé en jetons de présence (moins de 153 000 dollars) alors que 99 % (16,975 millions de dollars) correspond à des stock-options.


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Même si aucun code de gouvernance aux États-Unis ne prévoit de limite ou de mode de rémunération, nous pouvons nous demander si une rémunération excessive et essentiellement basée sur des stock-options ne peut pas avoir une influence sur la gouvernance d’entreprise. N’aurait-elle pas tendance à encourager la prise de risques puisque les administrateurs n’ont finalement rien à perdre. Une question d’ailleurs soulevée en 2015 par Caroline Hayek, de Kennesaw State University, qui précise par exemple dans ses recherches que la rémunération excessive du comité d’audit d’Enron et basée à 74 % sur des stock-options aurait joué un rôle majeur dans la chute du géant américain de l’énergie en 2001. La rémunération des administrateurs aurait représenté trois fois la rémunération moyenne versée aux administrateurs aux États-Unis en 2001 et évaluée à 138 747 dollars par la Blue Ribbon Commission de la National Association of Corporate Directors.

Appétence pour le risque, attirance pour le gain financier, défi personnel ? Pourra-t-elle vraiment dompter Elon Musk ? Certains sceptiques avancent déjà que seul un administrateur indépendant venu de l’extérieur aurait pu relever le challenge car le conseil d’administration actuel n’a pas su s’opposer à Elon Musk jusqu’à présent. En témoigne l’affaire de la menace du retrait de la bourse à l’été 2018. Nul ne doute que les marchés et les investisseurs attendent donc un signal fort. Si l’intention de Robyn Denholm est vraiment de modifier la gouvernance en profondeur, des changements notables devront suivre, comme la nomination de deux autres administrateurs indépendants recommandés par la SEC ou la mise en place d’une procédure pour superviser la communication des dirigeants, notamment sur Twitter. La nouvelle présidente du conseil d’administration qui prend d’ores et déjà ses fonctions devra proposer ses premières réformes rapidement, de préférence avant la clôture des comptes à fin décembre, alors qu’elle ne pourra quitter son poste actuel au sein de Telstra que dans six mois, à l’issue de son préavis.

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