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Russie–Arabie saoudite : un rapprochement qui agace Washington ?

La visite le 5 octobre du roi Salman à Moscou, reçu par le président Poutine pourrait dévoiler de nouvelles alliances, notamment au Moyen-Orient. Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Une « visite historique », un événement « emblématique » selon l'agence Sputnik news : ces formules reviennent, dans les chancelleries et les salles de rédaction pour qualifier la visite à Moscou du monarque d’Arabie Saoudite du 4 au 6 octobre 2017.

La rencontre entre le président Poutine et le monarque saoudien présente des enjeux évidents : c’est la première visite de ce type en Russie, la Fédération et le Royaume sont opposés en Syrie depuis plusieurs années ; enfin et surtout, l’Arabie Saoudite est l’alliée structurelle des États-Unis dans la région.

Cette visite peut-elle remettre en cause la solidarité entre États-Unis et Arabie saoudite ?

L’Arabie entre alliance américaine et rapprochement russe ?

Avec la conclusion du Pacte du Quincy le 14 février 1945, alliance qui soude durablement les États-Unis et le jeune royaume pétrolier, l’Arabie saoudite se range dans le camp opposé à celui de l’URSS. De fait, avant même le déclenchement de la Guerre froide, l’Arabie saoudite est devenue un des piliers de la politique moyen-orientale des États-Unis.

La confrontation est alors assez dure au Yémen du Sud, soutenu par l'URSS, et en Afghanistan où les djihadistes sont financés par le royaume des Saoud. Une éclaircie passagère apparaît après la réunification des deux Yémen, en 1990, et la fin de l’URSS, en 1991. Mais, dès 1994, la Russie soupçonne le royaume de soutenir les mouvements séparatistes tchétchènes sur son sol.

Après la fin de la deuxième Guerre de Tchétchénie, en 2000, les deux États se rapprochent sur les questions d’exportation de pétrole. Cette nouvelle embellie culmine dans la visite du président Poutine en Arabie saoudite, en février 2007. Néanmoins, une nouvelle fois, le rapprochement russo-saoudien s’interrompt au début de la décennie 2010 en raison des printemps arabes.

Alors que Moscou considère ces derniers comme des facteurs de déstabilisation de ses alliés traditionnels en Syrie et en Libye, l’Arabie saoudite finance certains mouvements d’opposition aux régimes Al Hassad et Kadhafi, comme le Conseil militaire révolutionnaire, dirigé par le colonel syrien Abdel Jabbar al-Oqaidi.

Aujourd’hui, la visite royale à Moscou confirme que les relations diplomatiques entrent, une nouvelle fois, dans une période de « dégel ».

Vers une sortie des crises au Yémen et en Syrie ?

Rien ne peut cependant séparer davantage les positions russes et saoudiennes que les conflits en Syrie et au Yémen.

Vladimir Poutine a tâché de faire oublier le conflit ukrainien en amenant ses forces lutter en Syrie. Il est parvenu à s’imposer comme l’homme fort de la situation. Cette intervention comportait autant un volet interne, lié par exemple à la lutte contre le djihadisme importé en Russie, qu’un volet externe de soutien à un Etat considéré comme un allié. En face, l’Arabie saoudite a soutenu les groupes insurgés sunnites.

Soldats saoudiens à la frontière yéménite dans la région de al-Khubah, 3 octobre 2017. Fayez Nureldine/AFP

Au Yémen, le royaume est intervenu dans la guerre civile aux côtés des forces sunnites fidèles à l’ex-président Ali Abdallah Saleh contre les Houtis chiites (soutenus par les Iraniens) afin de les forcer à quitter le pouvoir.

Dans cette guerre, la Russie s’est abstenue de prendre des positions trop tranchées afin de se positionner en situation d’arbitre, pouvant même imaginer à terme implanter une base navale au Yémen.

Pourtant, la visite du roi Salman ne constitue pas un ralliement saoudien aux positions russes, ni même un retournement d’alliance, en dépit des différends sur ces deux conflits. En accueillant le roi Salman, Vladimir Poutine montre que la Russie peut travailler avec tout le monde au Moyen-Orient, tandis que l’Arabie saoudite semble entériner le fait que l’alliance américaine n’est plus une garantie ultime de ses intérêts, et ce, depuis l'ère Obama.

Ce déplacement témoigne également d’une volonté de freiner la percée iranienne aussi bien sur le plan régional qu'international. En effet, Téhéran compte sur le soutien du Kremlin face à l’hostilité affichée de l’administration Trump. L’Arabie saoudite espère ainsi obtenir de la Russie qu’elle limitera son appui à l’Iran. Le royaume vise à faire évacuer les milices iraniennes de Syrie, à dissuader durablement leur soutien aux Houthis et à s’assurer que la République islamique ne sortira pas revigorée du conflit syrien.

Vers un renforcement des liens économiques ?

Dans le domaine des hydrocarbures, Russie et Arabie sont aujourd’hui alliés après avoir été rivales notamment auprès de la Chine. Cela n’a pas toujours été le cas.

À la fin de la décennie 2000, les deux pays avaient des stratégies opposées. D’un côté, la Russie, qui n’est pas membre de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), développait des volumes d’exportation de pétrole et gagnait des parts de marchés pour reconstituer ses réserves financières après la crise de 2008, quitte à contribuer à la baisse des cours. De son côté, l’Arabie saoudite, au sein de l’OPEP, essayait de remédier à cette baisse des cours. Les deux plus grands producteurs et exportateurs de pétrole du monde ont ainsi développé des stratégies inverses.

Tout change en 2014 avec l’annexion de la Crimée, la guerre dans le Donbass, la baisse des cours mondiaux des hydrocarbures et les sanctions économiques occidentales contre la Russie.

Entrée en récession, confrontée à une crise de change, l’économie russe a besoin de devises et de capitaux pour combler ses lacunes en investissements. En conséquence, dans le format OPEP+ (autrement dit en accord avec la Russie sans adhésion à l’OPEP), les deux pays s’accordent sur une réduction des volumes de production mondiale à 1,8 million de barils par jour à partir du 1ᵉʳ janvier 2017.

À l’heure actuelle, sur le plan énergétique, l’objectif de la visite royale à Moscou est de préparer la prochaine réunion du format OPEP+ qui a lieu à Vienne en novembre pour reconduire la réduction de la production de pétrole au-delà de l’échéance prévue en mars 2018.

D’autres résultats économiques du déplacement du monarque ont été mis en évidence : installation d’une usine chimique russe en Arabie saoudite, développement du fonds d’investissement saoudien en Russie, etc. Mais les relations économiques russo-saoudiennes sont coutumières de ces annonces qui peinent à être suivies d'effets. En effet, à l’heure actuelle, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays est de seulement 1 milliard de dollars par an.

L’arbre russe ne doit pas cacher la forêt américaine

Sur le plan économique, la question est de savoir si les investissements de 10 milliards de dollars en Russie annoncés par l’Arabie saoudite en 2015 et confirmés la semaine dernière à Moscou se concrétiseront.

Vladimir Poutin et le jeune prince hériter, Mohammed ben Salman de Saoud (MBS), en 2015. Kremlin/Wikimedia, CC BY-ND

De tels investissements seraient un avertissement aux États-Unis et à l’Iran : au premier, l’Arabie Saoudite indiquerait que le partenariat exclusif est arrivé à terme et au second, la Russie indiquerait qu’elle est soucieuse d’équilibrer l’axe Moscou-Téhéran par une coopération économique avec l’Arabie qui se prépare à l’avènement d’un nouveau roi saoudien en la personne du prince Mohammed ben Salman (MBS), qui lui s’est déjà rendu à Moscou.

Une alliance russo-saoudienne est-elle vraiment à l’horizon ? Si des convergences peuvent apparaître, permettant notamment à la Russie de gérer une importante population musulmane (10 % à 15 % de sa population, assez concentrée dans certaines régions et observant avec intérêt les développements politiques du Golfe persique), une coopération solide entre ces deux pays supposerait un rapprochement militaire étroit, techniquement et sécuritairement impossible aujourd’hui.

L'annonce de l'exportation de batteries de missiles antimissile S-400 de fabrication russe est particulièrement frappante : ce serait la première vente de matériel de défense de la Russie au Royaume saoudien. Or celui-ci s’est traditionnellement approvisionné principalement en équipements régis par les normes de l’OTAN.

Les sommes en jeu demeurent cependant sans commune mesure avec celles de 100 milliards de dollars prévues dans le contrat d'armement avec les États-Unis. Le Pentagone a d’ailleurs déjà renchéri en approuvant, le 8 octobre, soit deux jours après l’offre russe, la vente d'un système de missiles antibalistiques (THAAD) aux Saoudiens, proposition longtemps reportée.

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