Menu Close
La vision est la source d’information la plus importante sur laquelle repose la conduite. Une vision déficiente des conducteurs est la cause de plusieurs accidents. Shutterstock

Santé oculaire: les conducteurs voient-ils vraiment ce qui se passe sur la route?

Après le dramatique carambolage survenu récemment sur l’autoroute 440, qui a causé la mort de quatre personnes, le ministère des Transports et les experts tenteront de trouver les meilleures façons d’améliorer les infrastructures routières afin d’éviter que de telles catastrophes ne surviennent à nouveau.

Dans cette réflexion, un élément n’a pas été mentionné et pourtant, il constitue l’outil principal d’une conduite sécuritaire : la vision.

L’Institut Cochrane a publié en 2014 une analyse indiquant que la vision est la source d’information la plus importante sur laquelle repose la conduite. Une vision déficiente des conducteurs est l'une des causes de nombreux accidents.

Les causes potentielles de déficience de la vision sont bien connues : on compte les cataractes, la dégénérescence maculaire, la rétinopathie diabétique, le glaucome, et les cicatrices cornéennes, pour n’en nommer que quelques-unes. S’y ajoutent les problèmes de vision binoculaire (coordination visuelle) qui peuvent entraîner une vision instable, double, l’absence de la perception de la troisième dimension, ainsi qu’un retard de réaction à un événement inattendu, comme par exemple un enfant qui surgit devant l'auto. Finalement, les erreurs de réfraction sont également très présentes. Ainsi, une hypermétropie non corrigée peut entraîner une somnolence au volant. Un myope et/ou astigmate qui ne porte pas ses lunettes en conduisant (ça arrive souvent !!) ne voit pas bien au loin, du moins, à une distance sécuritaire lui permettant d’anticiper les incidents.

Les problèmes de vision binoculaire peuvent entraîner une vision instable, double, l’absence de la perception de la troisième dimension, ainsi qu'un retard de réaction à un événement inattedu, comme par exemple un enfant qui surgit devant l'auto. Shutterstock

Les jeunes aussi

Bien que l’incidence des pathologies et des problèmes visuels augmente avec l’âge, certaines affectent les plus jeunes conducteurs également. Cela concerne plus de 200 000 Québécois, toutes causes oculaires confondues. Il faut donc considérer qu’à chaque fois qu’on s’aventure sur les routes, il est probable de rencontrer un conducteur qui soit affecté d’une atteinte oculaire ou visuelle mettant sa conduite à risque.

Outre l’acuité visuelle, d’autres éléments de la fonction visuelle contribuent à une conduite sécuritaire. En effet, la fonction visuelle comprend un élément intrinsèque de perception. Cette faculté permet de gérer une scène qui se déroule devant les yeux, en ayant la meilleure acuité visuelle et mouvements oculaires possibles permettant d'apprécier la dynamique de la scène. Par conséquent, l’étude de la fonction visuelle (et non seulement de l’acuité visuelle) est primordiale afin de réduire le nombre d’accidents.

ll faut constater que la majorité des pathologies oculaires ou des anomalies de la fonction oculo-visuelle sont asymptomatiques et ne sont dépistées que lors d’un examen complet par l’optométriste. C’est notamment le cas de la rétinopathie diabétique où des lésions oculaires, déjà présentes chez 25% des patients au moment du diagnostic.

Une réglementation laxiste

Alors que la littérature scientifique nous confirme l’importance de la vision comme facteur primordial d’une conduite automobile sécuritaire, il est surprenant que les organismes réglementaires traite cet élément avec négligence. Ils n’exigent que des contrôles souvent inappropriés ou tardifs de la condition visuelle des conducteurs.

Alors que la littérature scientifique confirme l’importance de la vision comme facteur primordial d’une conduite automobile sécuritaire, les organismes réglementaires traite cet élément avec négligence. Shutterstock

Par exemple, le test de dépistage effectué dans les centres de services de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), au moment de l’émission du permis temporaire, est très sommaire et néglige des aspects fondamentaux de la santé oculaire. La SAAQ exige des examens plus complets bien plus tard chez la majorité des conducteurs.

Dans le cas des véhicules de particuliers (classe 5 et 6), l’examen est requis à 75 ans puis à partir de 80 ans, aux deux ans. Pour les véhicules commerciaux (classes 1 à 4), si la conduite implique une présence aux États-Unis, un examen est exigé aux cinq ans jusqu’à 45 ans, puis aux trois ans de 45 à 65 ans. Par contre, si le chauffeur demeure au Canada, son examen n’est requis qu’à 45 ans puis aux cinq ans de 55 à 65 ans et aux deux ans par la suite.

Aucune raison ne justifie une telle règle du deux poids deux mesures, avec des normes plus sévères si on s’aventure du côté américain. Le risque est pourtant le même. S’il est vrai que le contrôle périodique de ces conducteurs, à partir de 45 ans, est indiqué, il apparaît encore plus important de procéder à une évaluation adéquate de leur condition, avec les tests complets, au moment de leur demande de permis.

Des recommandations laissées lettre morte

L’absence de réglementation adéquate, reconnaissant l’importance de la fonction visuelle en conduite automobile, a poussé l’Ordre des Optométristes du Québec à formuler des recommandations spécifiques, lors de la consultation du ministère des Transports en 2017. Parmi ces recommandations, l’Ordre proposait que l’examen de contrôle statutaire, pour les conducteurs de classe 5 et 6, soit devancé au moins à 70 ans, encore mieux à 65 ans, et que l’examen de contrôle statutaire, pour les conducteurs commerciaux (classe 1 à 4), soit appliqué de la même façon, que le conducteur conduise ou non aux États-Unis. L’examen de ces conducteurs devrait comprendre un examen oculaire et visuel complet.

L’Ordre des optométristes recommandent que l’examen de contrôle statutaire soit devancé à 65 ans, au lieu de 75 ans comme c'est le cas actuellement. Shutterstock

De plus, l’Ordre proposait que les tests d’évaluations effectués au moment de l’obtention d’un permis de conduire ne soient pas limités mais bien constitués de tests valides touchant la détection des anomalies de la réfraction, du champ visuel, de la vision binoculaire ainsi qu'un dépistage des maladies oculaires pouvant influencer la conduite automobile.

Ces recommandations, non adoptées à ce jour par les autorités, sont justifiées sur le plan scientifique. Ils sont aussi plein de bon sens, dans la mesure où l’on doit se soucier de la sécurité des usagers de la route et aux fins d’améliorer le bilan de la conduite au Québec.

Il est temps d’agir

En prenant conscience de la vision comme élément primordial de la conduite sécuritaire sur la route, les décideurs et les organismes publics contribueraient grandement à l’amélioration des conditions routières au pays.

Les conducteurs eux-mêmes doivent agir proactivement en consultant régulièrement leur professionnel de la vue. Ils doivent se conformer à leurs recommandations, notamment en portant, lorsque requis, les corrections optiques nécessaires. Ils doivent aussi traiter adéquatement toute condition oculaire ou visuelle qui pourrait entraîner une perte visuelle ou une dysfonction de la perception visuelle.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,300 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now