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Scandale Volkswagen : la justice américaine va-t-elle bouleverser les comportements des managers ?

VW a écopé de plus de 15 milliards de dollars de pénalités aux Etats-Unis. KDN759/Shutterstock

Lorsque, dans une salle de cours, le professeur de gestion évoque l’existence d’un conflit latent entre normes managériales et normes juridiques, aussitôt des doigts se lèvent pour demander « concrètement » ce que cela peut bien vouloir dire. Bertolt Brecht disait en son temps que la « vérité est concrète » ; cette approche de la vérité nous semble pertinente pour les sciences de gestion qui, sinon, courent le risque de se perdre dans les délices de la glose ou de la modélisation hors sol.

La méthode dite des cas semble une voie possible pour traquer cette vérité concrète en évitant toutefois deux écueils ; d’abord ne pas être trop près, pour éviter l’immersion totale et la noyade dans les détails, mais aussi ne pas être trop loin pour éviter une description sans relief. C’est ce que nous avons tenté de faire dans un article de la Revue Française de Gestion paru dans un numéro spécial intitulé « le management face au judiciaire, les défis de l’internormativité ». Dans cet article, nous nous sommes efforcés de traquer la vérité autour de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le dieselgate en nous intéressant en particulier aux conflits entre les normes juridiques produites par la puissance publique et les normes managériales produites par les entreprises.

Nous avions à notre disposition une ressource documentaire importante (essentiellement d’origine américaine) qui nous a permis de reconstituer le fil des évènements pour finalement poser l’énigme suivante : comment une entreprise mondialement reconnue comme Volkswagen a-t-elle pu enfreindre les normes juridiques américaines en matière de pollution atmosphérique malgré les risques insensés pour la notoriété de ses marques ?

Culture de l’arrogance ?

Cette posture à la Sherlock Holmes nous a permis de relever des indices qui nous ont ensuite conduits vers des pistes d’explications. Nous en avons relevé trois : tout d’abord, la piste « culture d’entreprise » de VW, une culture de l’arrogance enracinée profondément dans l’histoire de la firme depuis les années 30. Dans le jeu autour des règles, l’arbitre pour VW devient alors un pantin symbolique ; les normes juridiques sont d’autant plus acceptées que le joueur sait qu’il ne les respectera pas. La culture de l’arrogance peut se définir comme la capacité d’une organisation à produire son propre jugement et ses propres règles. Tout cela indépendamment du jugement des autres. Les régulateurs, aussi bien américains qu’européens, n’ont pas été pris au sérieux. La place du mensonge dans la culture américaine a aussi, peut-être, été sous-évaluée.

La deuxième piste est la prééminence des normes managériales de la firme VW sur les normes juridiques américaines ; les équipes de recherche et développement (R&D) de VW savaient que les exigences environnementales en matière de pollution atmosphérique étaient beaucoup plus strictes aux États-Unis qu’en Europe. Y répondre pour les voitures diesel, qui ne représentaient qu’une faible part sur le marché américain, aurait abouti à un surcoût insupportable pour les clients ; en conséquence, ne pas tenir compte des normes juridiques devient un problème technique qui appelle une solution technique. Le logiciel truqueur sera cette solution.

Normalisation de la déviance ?

Enfin, une troisième piste, complémentaire de la seconde, nous conduit vers la normalisation de la déviance. Ne pas respecter les normes (ici environnementales) ne relève pas d’un problème moral. Parmi la communauté des spécialistes de la dépollution, la règle est en réalité de transgresser les règles et non de les respecter. Dès lors, la solution du logiciel truqueur n’est pas vécue par les ingénieurs de VW comme un franchissement de ligne jaune,mais comme une réponse technique adaptée qui bénéficie de l’aval de leur direction qui les protège.

Ces trois pistes permettent alors d’organiser une discussion autour de la puissance des grandes entreprises à l’épreuve de la judiciaire. Une discussion qui dépasse évidemment le seul cas de VW. Les grandes entreprises seraient-elles au-dessus des lois ? L’autonomisation du pouvoir des grandes entreprises est-elle aussi inéluctable que cela ? Les États sont-ils vaincus d’avance, impuissants face à des grandes organisations privées capables de mobiliser des ressources et des compétences qu’eux n’ont pas ? Le système juridique américain serait-il aujourd’hui le seul système qui fournirait une réponse convaincante pour réguler les acteurs économiques afin d’aboutir à une concurrence libre et non faussée ? Comment les États peuvent-ils reprendre la main ? Comment rendre alors les procédures judiciaires performantes ? Faut-il copier le système judiciaire américain, quitte à faire une copie en trompe-l’œil ? Le pouvoir citoyen est-il à la hauteur des enjeux face à des lobbyistes qui relaient les intérêts de leurs clients que sont justement les grandes entreprises ?

L’alliance des ONG et des universités : le nouveau contre-pouvoir

Un des résultats inattendus de la recherche est de montrer la formation d’une nouvelle alliance entre les ONG et les universités. Objectif : mobiliser le savoir au service de la collectivité. Sans cette alliance, rien ne se serait passé. Le dieselgate n’aurait en effet jamais vu le jour si une ONG et un laboratoire universitaire américain ne s’étaient pas associés pour mesurer les émissions en situation réelle, et non pendant les bancs d’essai. La même observation peut aussi être faite pour l’Europe. Il y a là une esquisse de formation d’une communauté de savoirs qui peut devenir un contre-pouvoir redoutable. À condition, bien sûr, que des contre-enquêtes puissent être menées efficacement et que des alliances puissent se nouer.

Le cas VW permet également de souligner l’importance de dispositifs d’investigation judiciaires, qui associent ici l’agence de protection de l’environnement américaine (l’EPA), le FBI et le Congrès américain. Cette association a permis, en un temps très court, de démontrer la fraude de VW. De tels dispositifs n’ont pas d’équivalent en Europe où le déséquilibre des forces entre les juges et les multinationales est trop grand pour établir une responsabilité civile et pénale.

Boîte de Pandore

Le dieselgate s’est traduit pour VW par des pénalités financières considérables (plus de 15 milliards de dollars aux États-Unis), bien que vite absorbées par VW dont les ventes d’automobiles n’ont jamais été aussi hautes qu’en cette année 2017. Certes, la réputation de VW a été sérieusement ébranlée mais les clients n’ont pas fui la marque pour autant. Tout ça pour ça ? S’en tenir à la capacité de résilience de VW, c’est oublier les effets que le dieselgate a eu et aura sur le secteur automobile et le monde industriel en général.

Ce scandale marque déjà la fin du diesel, jadis présenté comme la « technologie propre » d’avenir. Les ventes s’effondrent partout dans le monde. Tous les acteurs ont entériné la sortie progressive du diesel sous l’effet de réglementations renforcées et de restrictions de circulation. Tous les constructeurs sont donc impactés par cette affaire, notamment ceux qui, à l’instar de Renault, PSA ou Mercedes, avaient beaucoup misé sur cette technologie. Enfin, le dieselgate marque une défiance vis-à-vis du régulateur et révèle des connivences qui ont pu être établies avec les industriels en matière d’homologation.

À cet égard, les diverses commissions d’enquête mises en place en Europe, et en France en particulier, associant différentes parties prenantes sous la vigilance des médias, sont le signe d’une tentative de reprise en main par le politique et la société civile de dossiers qui étaient l’affaire exclusive des experts. Mais en ouvrant cette boîte de Pandore, sait-on ce qu’on y découvrira…

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