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Sciences de gestion : l’intérêt d’un savoir managérial produit par les dirigeants

Les dirigeants et les chercheurs ont besoin de travailler ensemble.

Cet article, issu d’une communication scientifique, est publié dans le cadre du partenariat FNEGE–The Conversation France autour des États généraux du management qui se sont tenus à Toulouse les 26 et 27 mai 2016 sur le thème « L’impact de la recherche en sciences de gestion ».

Comment stimuler les dirigeants d’entreprise à produire du savoir managérial en lien avec les chercheurs ? Du savoir, ils en construisent tous les jours. Ils sont confrontés à des questions pratiques auxquelles ils trouvent des solutions qu’ils testent ensuite par leurs actions. Mais ils ont rarement le temps de mettre leurs trouvailles en forme, et encore moins de les généraliser.

Ces connaissances-là sont-elles scientifiques ? Peut-on les comparer aux résultats des chercheurs ? Pourquoi pas, car il y a une continuité entre les types de connaissances. Celles des chercheurs sont mieux fondées, mais plus abstraites et pas simples à opérationnaliser. Celles des dirigeants sont concrètes, mais elles viennent de situations pas toujours généralisables, et il faudrait les rendre plus solides avant de pouvoir les diffuser.

La collaboration entre chercheurs et dirigeants

Pour développer la recherche en management, les dirigeants et les chercheurs ont besoin de travailler ensemble. Ce n’est pas si compliqué qu’on le croit.

Tout d’abord, le fait d’être praticien ou chercheur n’est pas une réalité immuable. Ce sont des positions liées à l’activité principale : un dirigeant est d’abord préoccupé par ses résultats concrets, un chercheur par sa compétence à penser l’action et à en tirer des savoirs solides. Mais un chercheur peut se transformer en praticien, dès qu’il privilégie l’action, et un dirigeant peut devenir chercheur, quand il souhaite modéliser sa pratique et en tirer des connaissances fondamentales.

Dans le contexte d’aujourd’hui, où la plupart des individus changent plusieurs fois d’emploi au cours de leur carrière, on peut imaginer des successions de périodes où on est tantôt praticien, tantôt chercheur, tantôt enseignant et diffuseur de pratiques qu’on a modélisées ou expérimentées dans sa vie professionnelle. Il existe de nombreux dispositifs dans lesquels chercheurs et dirigeants peuvent travailler ensemble, par exemple des coopérations à deux ou en petits groupes, à l’occasion de contrats d’affaires, de projets de développement ou de thèses d’application sur des sujets directement utiles à l’entreprise.

On trouve aussi des interventions de dirigeants dans des laboratoires ou des cours universitaires, et bien sûr des actions ciblées de chercheurs pour répondre à des questions pratiques en relation avec des modèles plus fondamentaux de management.

Optimiser cette collaboration

Ajoutons à cela toutes les opportunités de liens entre les entreprises et les centres de recherche, dans des laboratoires intégrant certains dirigeants pour des mises en œuvre concrètes de projets à haute valeur technologique, ou à travers des pôles d’excellence et de compétitivité associant praticiens, enseignants et chercheurs afin d’innover en management ou en ingénierie.

Pour développer ces interactions, il faut que les chercheurs quittent leur orgueil académique, simplifient leur langage et acceptent d’apprendre des dirigeants, car ce sont eux qui sont aux prises avec les faits. De leur côté, les dirigeants doivent accepter qu’une réussite opérationnelle ne produise pas toujours un savoir durable, et que ce qu’ils ont réalisé ou compris doive se confronter à d’autres réalités plus larges pour augmenter en force ou en fiabilité.

Chercheurs et praticiens doivent comprendre qu’il leur faut travailler ensemble pour donner plus de poids aux connaissances qu’ils construisent chacun de leur côté. En se concertant davantage, ils élargiront leurs perceptions. Ils trouveront davantage de réponses qui les aideront à gérer la complexité. C’est cette complexité partagée, lue en double regard, qui permettra aux dirigeants d’être efficaces en pratique et aux chercheurs de construire des savoirs performants.

Trois niveaux d’échange

Plus généralement, face à la recherche fondamentale, les dirigeants peuvent réagir à trois niveaux :

  • ils répondent aux savoirs que l’on construit pour eux, en les appliquant, en les déformant ou, si besoin, en dénonçant leur caractère inadapté.

  • ils interagissent avec ces savoirs. Ils les assimilent en les transformant. Ils les accommodent en les aménageant ou en les bricolant.

  • ils produisent eux-mêmes des connaissances pratiques que les chercheurs ont à transposer ou à généraliser, en les recueillant et en les confrontant à d’autres faits.

Dans ce type d’échanges, les chercheurs doivent prendre au sérieux les managers. Il leur faut écouter leurs intuitions, ne pas les contester sur ce qu’ils élaborent à partir de leurs expériences pratiques, mais les aider à enrichir ce qu’ils savent par de nouvelles expériences qui vont leur permettre d’affiner les choses.

Tout cela pousse à construire des formes de coopération et de compagnonnage. Car il est toujours difficile, quand on est solitaire, d’être à la fois juge et partie, d’être acteur et concepteur de l’action.

Quatre espaces de co-recherche

De leur côté, s’ils se font confiance, les dirigeants soutiendront les chercheurs dans au moins quatre dimensions :

  • ils pourront les aider à construire des connaissances utilisables. Même fondamentaux, les savoirs managériaux doivent apprendre à dépasser le stade de la pure conception, en réfléchissant à leurs conséquences opérationnelles.

  • ils les orienteront vers des objets de recherche importants ou prioritaires. Connaissant les zones d’ombre de l’action, informés de certaines priorités, ils éviteront que des chercheurs naïfs aillent « voir sous les réverbères », parce qu’il y a de la lumière, même si ce n’est pas le bon endroit pour chercher.

  • habitués aux systèmes imparfaits ou complexes, ils empêcheront que les chercheurs ne découpent trop leurs recherches, en procédant à des segmentations tellement réductrices qu’ils ne pourraient plus rien comprendre au niveau des actions concrètes.

  • enfin, sachant que le monde évolue et que le réel est toujours en mouvement, ils mettront l’accent sur le dynamisme des pratiques ou des organisations. Ils feront valoir l’importance des changements car, comme le dit Badiou, « la réalité qui nous préoccupe n’implique pas tant les choses telles qu’elles sont, que la possibilité qu’elles puissent toujours être autrement ».

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