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Un volcan de boue dans la réserve de Gobustan en Azerbaïdjan. Investigation11111 / Wikipedia

Séisme : quand la terre se change en liquide

Que signifie ce titre d’un article paru dans Le Monde, « Séisme en Indonésie : dans les environs de Palu, la terre s’est “liquéfiée” » ?. Est-ce le parallèle avec le sang de San Gennaro qui se liquéfie trois fois par an, pour faire bénéficier Naples de sa protection ? Est-ce encore un mot qui vaut 18 points au Scrabble ? On se liquéfie aussi de peur. Les peurs ancestrales qui faisaient craindre à nos ancêtres que le ciel ne leur tombe sur la tête ou que le sol se dérobe sous leurs pieds. On assisterait alors à la croûte terrestre se changeant en liquide !

En fait, rien de tout cela si ce n’est une réponse mécanique d’un mélange de sédiments et de liquide, sous l’action des vibrations liées au passage des ondes d’un séisme. Dans un sol saturé en fluides (en eau principalement), les grains sont encore en contact, plus ou moins lâche.

Lors d’un séisme, les ondes P, de compression (cisaillement Pur), les grains solides et le liquide vibrent ensemble. Par contre, lors du passage des ondes S de cisaillement (cisaillement Simple), les liquides ne transmettent pas ces vibrations. Il se produit une réponse différentielle entre le liquide et le solide. On constate facilement cette réponse sur une plage de sable humide, lorsque l’on remue les pieds. Le fait simplement de tasser le sol (compression) fait évacuer l’eau. Par contre, si l’on remue latéralement les pieds (cisaillement), l’eau remonte et forme une petite flaque. La portance du sable diminue et cette flaque se transforme en petite mare.

Il en est de même pour les ondes sismiques. Leur vitesse de propagation, donc l’alternance des cycles de compression-tension renforce la perte de cohésion entre grains du sol saturé en eau, qui n’a plus assez de temps pour se relaxer et se comporte alors comme un seul matériau.

Des bâtiments aux normes anti-sismiques… Vulnérables aux séismes

D’un point de vue mécanique, la pression fluide augmente, et fait perdre la cohésion du sédiment saturé d’eau. Sa capacité à résister au tassement, ou portance, diminue. Par exemple des bâtiments construits sur un tel sol peuvent tout simplement basculer, alors que leurs structures internes ne sont pas affectées.

On assiste alors au paradoxe que des édifices, construits selon des normes parasismiques, mais aux fondations peu profondes, ne résistent pas aux vibrations et basculent. Ces comportements atypiques sont fréquents dans des constructions sur sols gagnés sur la mer tels que les polders ou installations portuaires.

Un séisme a provoqué le basculement des bâtiments. Affleap

Le phénomène est d’observation et de compréhension récentes, mis en évidence tout d’abord lors du séisme de Loma Prieta, Californie, en 1989, et lors du séisme de Kobé, Japon, en 1995. Le résultat, souvent spectaculaire, est l’apparition de petits « volcans de boue », où sous l’influence de l’augmentation de pression fluide, les sédiments sont comme drainés vers la surface et forment des petits cônes d’une cinquantaine de centimètres de diamètre. Les glissements de terrain induits sont naturellement fréquents, pour peu que la topographie soit importante.

Existe-t-il des moyens de se défendre contre de tels phénomènes, sans implorer San Gennaro ? Il convient tout d’abord de caractériser et de localiser les zones à risques. C’est le facteur le plus efficace. Une fois ces zones identifiées et cartographiées, il faut adapter les structures profondes à ce problème. Les injections en masse de béton peuvent en faire partie, quoique le procédé soit onéreux. On peut actuellement remplacer ces injections par celles de sédiments à grain plus fin, qui vont améliorer la cohésion du sol.

De même, il est possible de drainer en partie le terrain, de façon à éliminer le risque de saturation en eau. C’est une solution facile à mettre en œuvre et peu onéreuse. Elle se pratique surtout aux abords de barrages ou retenues d’eau, afin de renforcer l’accrochage des fondations.

Mini éruptions et volcans de boue

Un peu plus haut, il est question de ces mini éruptions de boue qui forment des petits cônes et qui ne durent que le temps du passage des ondes sismiques. Il ne faut pas les confondre avec les volcans de boue, véritables édifices de quelques centaines de mètres de hauteur, comme il existe plusieurs milliers, en Indonésie notamment et qui ont une durée de vie de plusieurs années.

Volcans de boue : quand la Terre régurgite ses sédiments. Ifremer.

Le plus célèbre est l’éruption du volcan de boue du Sidoarjo, dans l’est de l’île de Java. Appelé aussi « Lumpur Sidoarjo », souvent abrégé en « Lusi », cette structure déverse des coulées de boue impressionnantes, qui ont obligé plus de 15000 personnes à se déplacer, abandonnant leurs habitations. Il est situé dans un bassin sédimentaire, exploité pour le pétrole.

Un forage en 2006 visait une poche de gaz, située sous une couche d’argile imperméable à 2800 m de profondeur. Cette poche atteinte a libéré les gaz prisonniers, ainsi que des hydrocarbures, lesquels se sont frayés un chemin vers la surface, recouvrant la région (25 000 km2) de boue. Aucune des tentatives de forage et d’injection n’a pu venir à bout de l’éruption.

De tels volcans de boue sont nombreux en Indonésie. Actifs parfois, mais à durée de vie limitée, comme le Bledug Kuwu, dans le nord de Java, qui recrache du gaz carbonique. Les éruptions prennent forme d’une grosse bulle qui enfle pour atteindre 5 mètres et éclate bruyamment, libérant de la boue noire chargée en hydrocarbures. Des champs de volcans de boues sont observés en Azerbaïdjan, à proximité de la ville pétrolière de Bakou, et en Roumaine, près de la ville de Buzău.

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