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Sénégal : un modèle d’assurance santé résilient en temps de Covid-19

Cérémonie de remise de cartes aux bénéficiaires enrôlés dans l'Unité départementale d'assurance maladie par la mairie de NIoro Author provided

Dans sa volonté d’étendre la couverture sanitaire de sa population, le Sénégal s’est lancé ces dernières années dans plusieurs stratégies de financement de la santé, au risque d’une certaine fragmentation.

Le plan stratégique de développement de la couverture maladie universelle 2013-2017 vise un objectif de couverture du risque maladie d’au moins 75 % de la population en 2021. Après les mutuelles communautaires au niveau communal et la gratuité des soins pour certaines personnes (personnes âgées, enfants de moins de 5 ans, indigents) ou certains services (césariennes, traitement VIH), le Sénégal a testé deux modèles d’extension de la couverture du risque maladie.

Le premier est la décentralisation de l’assurance maladie (DECAM) avec la création de mutuelles de santé au niveau communal. Le second est une assurance maladie à grande échelle professionnalisée avec, pour le moment, deux unités départementales d’assurance maladie (UDAM) à Koungheul et Foundiougne. De 2013 à 2017, la formulation et la mise en œuvre de ces deux unités ont été organisées par le ministère de la Santé et de l’Action sociale avec la Coopération technique belge (Enabel), à travers son Projet d’Appui à l’Offre et à la Demande de Soins (PAODES).

Le dispositif des UDAM est un modèle d’unités d’assurance à grande échelle :

  • Une unité opérationnelle au niveau du département avec une gestion centralisée

  • Une professionnalisation de son organisation

  • Un financement associant la cotisation des populations et des subventions de l’État et/ou des partenaires

  • Les formations sanitaires fournissent les soins et les UDAM contrôlent la qualité des services

  • Un système de tarification forfaitaire transparent et uniforme

  • Une intégration des collectivités territoriales dans les instances de décision

  • Une représentation locale des populations issues des organisations communautaires de base par la mise en place d’antennes de collectivités territoriales

Des unités départementales efficaces dans un contexte de pandémie

Les résultats des UDAM ont été capitalisés, un Forum national sur la couverture universelle en santé a été organisé et un ouvrage collectif a été publié.

Le soutien d’Enabel (PAODES) a pris fin en juin 2017. Depuis, les UDAM doivent s’organiser sans appui technique et financier international. Malgré ces défis, et contrairement aux mutuelles communautaires qui ne se relèvent généralement pas de l’arrêt des appuis, les UDAM ont su s’adapter. Leur viabilité financière est toujours appréciable et leurs indicateurs de performance n’ont pas chuté : ils ont même progressé si l’on évoque les taux de pénétration, soit la proportion de la population cible adhérente aux UDAM (Figure 1).

Figure 1 : Évolution du taux de pénétration des deux UDAM

Les UDAM ont été en mesure de s’adapter, d’innover et de s’organiser pour déployer des stratégies de pérennisation. Les circonstances de ce contexte sont exceptionnelles à étudier car les recherches sur la pérennité des interventions de santé en Afrique sont rares et le succès du maintien des acquis encore plus [21]. Cela fera l’objet d’une prochaine recherche.

Mais le Sénégal a été frappé début mars 2020 par la pandémie du SARS-CoV-2. La Figure 2 montre l’évolution des cas de la Covid-19 depuis le début de la pandémie. Fin août 2020, plus de 13 000 cas ont été recensés.

Figure 2 : Évolution des cas de Covid-19 et des tests effectués au Sénégal

Si le nombre de cas et de décès reste bien moindre qu’ailleurs et qu’un plateau semble atteint, les mesures prises par l’État pour endiguer la pandémie ont eu un impact sur le fonctionnement des UDAM. Alors que quelques études sur la résilience des systèmes d’assurance et des systèmes de santé ont démarré en Europe, nous pensons utile de nous interroger sur celle des UDAM au Sénégal. Il s’agit d’une réflexion exploratoire afin de partager nos idées et de préparer une prochaine recherche empirique dans le cadre du programme de recherches UNISSAHEL.

Défis et adaptation des activités des UDAM en contexte de pandémie

Notre analyse a permis de mettre au jour au moins quatre défis importants auxquels les UDAM ont dû faire face pendant le début de la pandémie en organisant des solutions innovantes.

Défi 1 : Participer de manière responsable à la lutte contre la pandémie

Les UDAM se sont senties immédiatement et pleinement parties prenantes de la réponse sanitaire à la pandémie. Mais il ne s’agissait pas d’y répondre en faisant courir des risques démesurés à ses employés. Tous les agents ont été formés par les médecins-chefs des districts aux enjeux de santé publique de la maladie, tant au plan clinique que des gestes barrières. Les UDAM se sont aussi directement impliquées dans la riposte.

Ainsi, leurs directeurs sont membres du comité départemental de gestion de l’épidémie et des comités communaux multisectoriels de lutte. À Koungheul, le personnel technique de l’UDAM a accompagné les relais communautaires et le collectif d’étudiants de la commune dans leurs visites à domicile pour sensibiliser les populations aux gestes barrières. À Foundiougne, des volontaires de la Croix-Rouge sont venus pour soutenir l’UDAM dans l’organisation des dispositifs d’accueil sécuritaire (prise de température, lavage des mains, etc.) des bénéficiaires dans leurs locaux. Les UDAM ont appuyé financièrement le plan de riposte départemental en octroyant un budget de 550 000 F CFA à Foundiougne et 1 500 000 F CFA à Koungheul.

Défi 2 : maintenir la collecte des cotisations

Les UDAM vivent en grande partie des cotisations de leurs membres. Dans un contexte où les déplacements étaient restreints et les contacts entre personnes sujettes à distanciation physique, elles ont dû innover sans participer à la propagation du coronavirus. Pour le renouvellement des cotisations, les paiements électroniques ont été privilégiés et, lorsque cela était nécessaire, en subventionnant les frais d’envois des adhérents. Il a été conseillé aux nouveaux adhérents, l’envoie des photos et autres documents nécessaires par messagerie WhatsApp.

Les agents collecteurs se sont appuyés sur les points focaux des UDAM dans les villages pour optimiser la collecte des cotisations et réduire le nombre de déplacements nécessaires. À Foundiougne, afin d’éviter que les adhérents ayant plus de 10 bénéficiaires et qui n’avaient pas, dans les conditions économiques difficiles durant l’épidémie, la possibilité de tous les renouveler, ne fassent un choix sur les personnes à assurer, la stratégie adoptée pour l’UDAM consistait à leur demander de suivre l’ordre d’enrôlement de la famille inscrit dans le logiciel de gestion. Il s’agit d’une forme de contrainte tacite pour éviter que lors du renouvellement de la cotisation, le chef de ménage ne sélectionne que les personnes les plus malades au détriment des autres.

Défi 3 : continuité de la prise en charge des bénéficiaires dans les formations sanitaires

Durant la période où il était interdit de se déplacer entre communes, il n’a pas été possible de remettre les documents permettant aux indigents (familles bénéficiant de la bourse de sécurité familiale leur donnant droit à une cotisation gratuite subventionnée par l’État) de renouveler leur adhésion. Pour garantir la permanence de leur accès aux soins, une correspondance spécifique a été adressée à tous les médecins-chefs. De même, lorsqu’un patient adhérent d’une UDAM est référé, il doit d’abord venir chercher une lettre de prise en charge au siège départemental. Il a été devenu possible de demander cette lettre au niveau plus local du district.

Pour les personnes devant se rendre à l’hôpital, les UDAM ont innové en envoyant directement un courrier électronique de prise en charge. En outre, puisque le suivi des plaintes au niveau local a été réduit par la limitation des déplacements des agents de l’UDAM, c’est lors des réunions mensuelles de coordination au niveau du district et en la présence des infirmiers responsables des formations sanitaires que les difficultés rencontrées par les patients ont été abordées.

Défi 4 : garantir le paiement des factures dans un contexte de retard de l’État

Les UDAM continuent de subir les effets du retard de remboursement des subventions générales de l’État et des subventions ciblées pour les mutuelles de santé et des frais associés aux exemptions de paiement pour certaines catégories de personnes. À ce retard de près de deux années de paiement exacerbé en contexte de pandémie, s’ajoute la réduction du recours aux soins. En outre, dans le département de Koungheul, ce sont les postes de santé qui préfinançaient les évacuations sanitaires d’urgence au sein du district et l’UDAM les remboursait à la fin du mois. Or, dans ce contexte, l’UDAM éprouvait des difficultés à honorer ce remboursement mensuel. Cela a amené certaines structures à réclamer aux bénéficiaires de payer des frais d’évacuation alors que leur adhésion à l’UDAM leur donne droit gratuitement à ce service. Ainsi, l’UDAM s’est engagée à rembourser mensuellement les évacuations sanitaires d’urgence aux postes de santé afin d’éviter aux bénéficiaires de perdre cet acquis.

Alors que les UDAM ont été en mesure de faire face à l’arrêt du soutien de leur partenaire technique et financier mi-2017, l’arrivée de la pandémie en mars 2020 représente une nouvelle épreuve. Elles ont été capables d’innovations pour affronter les nouveaux défis que la pandémie a provoqués à l’échelle du pays mais aussi localement, dans leur routine organisationnelle.

Face à la résilience dont ont fait preuve les UDAM et leurs personnels, on est en droit de croire que la pandémie ne suffira pas à rompre cette dynamique en faveur de la couverture universelle en santé au Sénégal.


Cet article a été écrit avec Ndeye Bineta Mbow et Ibrahim Senghor, directrice et directeur des UDAM de Foundiougne et de Koungheul. Merci à F.-A. Roy, E. Bonnet et F.-B. Diongue Lopes pour les données et la figure 2 (https://www.covid19afrique.com).

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