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S’enrichir sur les marchés financiers : mythes et réalités

Wall Street. Randy Lemoine / Flickr, CC BY

L’affaire Kerviel a été jugée en appel le 23 septembre, et les dommages et intérêts initialement fixés à 4,9 milliards d’euros ont été réduits à 1 million d’euros. Le patrimoine net de Jérôme Kerviel vient donc d’augmenter de 4,899 milliards d’euros, un « enrichissement fabuleux » !

Mais mis à part la capacité à réduire le montant de dommages et intérêts dû lors d’un procès pour fraude, comment « s’enrichir » grâce aux marchés financiers ? La théorie financière classique possède-t-elle des réponses ?

Le cordonnier, toujours le plus mal chaussé

Une première question pertinente est : pourquoi les professeurs de finance ne sont-ils pas plus riches, s’ils détiennent des réponses ? On raconte qu’une question similaire fut posée au philosophe et mathématicien Thalès. Certains de ses concitoyens grecs lui faisaient remarquer l’inutilité de la philosophie, celle-ci l’ayant laissé pauvre. Thalès, visiblement piqué, se servit alors de ses connaissances pour prédire que la récolte d’olives serait bonne. Utilisant le peu d’argent qu’il avait, il réserva l’ensemble des moulins de la région. Quand le temps de la récolte vint, il engrangea un profit conséquent du fait de son monopole. Il prouva ainsi que le but ultime du philosophe n’est pas l’argent, même s’il lui est facile d’en obtenir. Il en va de même pour les enseignants et chercheurs en finance : l’enrichissement rapide n’est pas leur but premier.

Ceci étant établi, un deuxième facteur doit être pris en compte dans le cas des professeurs de finance moderne. En effet, le prix des actifs financiers suit selon la théorie financière classique une marche aléatoire : les marchés sont dits « efficients », dans le sens où les prix reflètent toute l’information publique. De fait, il est impossible de donner une prédiction exacte du prix d’un actif à l’avance – contrairement au cas de Thalès, la richesse n’est pas facile à obtenir pour le professeur de finance. On peut comprendre cela aisément : s’il existait une technique miracle pour choisir les actifs gagnants sur les marchés à partir de l’information publique, au moins une personne l’utiliserait, et achèterait en masse. Les autres agents voyant cela suivraient et achèteraient, au moins un peu, ces mêmes titres. Les prix des actifs concernés augmenteraient du fait d’une demande en hausse et d’une offre en baisse, et les profits potentiels initialement prédits disparaîtraient.

La légende, lancé par le livre du célèbre Burton Malkiel A Random Walk Down Wall Street (Une marche au hasard à travers la bourse) veut qu’un « singe aux yeux bandés lançant des fléchettes sur les pages financières d’un journal, pourrait constituer un portefeuille d’actions tout aussi performant que celui choisit par un expert ». Ce n’est qu’une simple illustration du principe que nous avons énoncé plus haut.

Pour l’anecdote, le célèbre Wall Street Journal fit l’expérience. Évidemment, pour des raisons de sécurité et de praticité, les singes furent remplacés par les employés du journal qui lançaient des fléchettes sur la page marchés financiers du journal pour sélectionner des actifs. Ils étaient comparés aux experts du journal. Les experts battirent les lanceurs de fléchettes 61 fois sur 100. Mieux que ce que la théorie financière aurait prédit donc. Cependant, si l’on corrige comme l’on fait certains économistes, pour le fait que les avis des experts étaient publiés dans le Wall Street Journal, créant un effet d’annonce ou de « prophétie auto-réalisatrice », on arrive à une égalité entre lanceurs de fléchettes et experts.

Du fait de cette efficience (au moins relative) entraînant une impossibilité à prédire le cours des actifs, certains économistes, qui venaient tout de même de recevoir le prix Nobel, se sont illustrés grâce à l’échec tonitruant de leur hedge fund, Long Term Capital Management (LTCM). Sa quasi-faillite – la faillite totale ayant été évitée par des recapitalisations massives – fit courir un risque majeur au système bancaire international en 1998. Cet exemple illustre bien la difficulté à prédire le marché.

La finance comportementale et l’analyse technique

Vous avez certainement entendu parler d’analyse technique, aussi connue sous le nom de chartisme. Ce genre de technique, qui consiste à détecter des motifs avec un pouvoir prédictif dans les graphiques boursiers existerait depuis l’ère babylonienne. Les motifs en question prennent des noms plus ou moins poétiques : nuage d’Ichimoku, golden cross, death cross… Une simple recherche sur Internet, par exemple sur les forums Boursorama montre que l’analyse technique compte bon nombre de disciples. Le curriculum du très sérieux CFA lui consacre d’ailleurs un chapitre dans son niveau 1, tout en restant prudent quant à sa validité.

Nuage d’Ichimoku.

Si ce genre de technique permettait d’obtenir des profits, ce serait une sérieuse déviation par rapport à la théorie classique – et une bonne nouvelle pour les chartistes. La finance comportementale, qui s’intéresse aux déviations par rapport à la théorie classique, a mené quelques recherches en ce sens. Globalement, les résultats sont plus que mitigés en ce qui concerne les marchés des pays développés. Par exemple, la profitabilité du trading par les moyennes mobiles a tendance à apparaître et disparaître selon les périodes. Cette profitabilité serait possiblement plus élevée sur les marchés émergeants, ce qui ferait sens dans la mesure où ils sont probablement moins efficients.

Nos propres recherches ont montré que les stratégies de moyennes mobiles citées par l’institut CFA (moyennes mobiles 1-20 et 20-60) auraient donné résultats négatifs sur les actions du CAC40 entre 2002 et 2012, même en comptant des frais de transactions nuls. Cela montre encore une fois bien la difficulté à obtenir une rentabilité supérieure à partir d’informations dont tout le monde dispose.

Mais alors, à quoi ça sert la recherche en finance ?

Une question légitime. La théorie financière apporte tout de même des éclaircissements. Le célèbre MEDAF (modèle d’évaluation des actifs financiers) nous apprend que la rentabilité attendue est fonction du risque pris. Un actif très risqué devrait en moyenne assurer un retour plus élevé – au prix de pertes potentielles plus élevées elles aussi ! Cela va dans le sens du principe de bon sens : « on n’a rien sans rien ».

Par ailleurs, il est apparu ultérieurement que le MEDAF ne prenait pas suffisamment en compte la rentabilité des petites capitalisations par rapport aux grosses et la rentabilité des entreprises avec une forte valeur comptable comparée à leur valeur de marché. Ces facteurs sont donc maintenant communément incorporés dans le modèle. Ce sont peut-être là les seules « anomalies » de la finance comportementale qui ont été durablement observées sur les marchés.

De même, la finance nous apprend qu’il faut diversifier son portefeuille pour à rendement attendu égal subir moins de risque. Bref, « il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». Le nombre de titres exacts est encore débattu, et dépend notamment de la définition du risque que l’on choisit de prendre. Si on définit le risque de manière classique comme étant la variabilité des rendements, la majeure partie des bénéfices de la diversification est obtenue à partir d’une trentaine de titres. Cependant, il semblerait que si l’on définit le risque comme la possibilité de subir des rendements très négatifs, des portefeuilles de plus petite taille cinq titres, puissent être optimaux. De manière plus générale, de nombreux travaux en finance ont été faits sur la notion de risque et comment réduire celui-ci.

Pas de miracle

Il n’existe pas à ce jour de méthode miracle pour gagner à coup sûr sans prendre de risque sur les marchés financiers. En tout cas, aucune qui fasse consensus auprès des chercheurs en finance. Une telle méthode, si elle était basée sur des informations publiques et permettait des profits durables, serait incompatible avec la théorie des marchés efficients qui sous-tend toute la finance moderne. La recherche en finance a néanmoins fait émerger des méthodes de gestion du risque, qui permettent de minimiser celui-ci.

Donc la finance de marché académique a effectivement une utilité, mais pas forcément celle à laquelle beaucoup de gens s’attendent : il n’y a pas de super-modèle qui permet de gagner à coup sûr, sans prendre de risque.

En conclusion de cet article, et pour illustrer notre argument basé sur la théorie financière classique, il convient de raconter une plaisanterie que la plupart des professeurs de finance placent lors de chacun de leurs cours, pour illustrer le fait que rien n’est gratuit sur les marchés :

Un professeur de finance et son étudiant se promènent dans la rue. Soudain, ils voient par terre, juste devant eux, un billet de 100 euros. L’étudiant se penche alors pour le ramasser, mais le professeur l’arrête, en disant : « Non, ça ne sert à rien. Si c’était un vrai, quelqu’un l’aurait déjà ramassé ! »

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