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L’analyse de ce qui se passe dans le monde des retransmissions sportives laisse supposer un retour du piratage pour les séries et les films. Bodnar Taras/Shutterstock

Séries et sport en streaming : quand l’abondance d’offres encourage le piratage

Nous vivons dans un monde dans lequel les fans de séries et de sports ne peuvent apparemment qu’être comblés : la (sur)abondance des offres leur garantit qu’à toute heure du jour et de la nuit, ils trouveront des contenus correspondant à leurs attentes. Et l’accroissement du nombre d’acteurs présents sur ce marché laisse supposer que lesdites attentes seront toujours plus satisfaites, tant qualitativement que quantitativement. Mais cette croissance, si elle comporte plusieurs avantages pour les entreprises concernées et les consommateurs, s’accompagne aussi de contraintes et de limites qui laissent entrevoir un avenir peut-être moins rose qu’espéré…

Une offre toujours plus large

Lorsque l’on parle de streaming vidéo de films et surtout de séries, le premier nom qui vient à l’esprit est bien sûr Netflix. 149 millions d’abonnés payants dans 190 pays, (en hausse de 8,84 millions sur le seul premier trimestre 2019, après un gain de 29 millions en 2018), correspondant à près de 48 % de part de marché : Netflix est ainsi loin devant Amazon, son plus gros concurrent, dont le service Prime Video est supposé détenir 35 % de part de marché – bien que ce dernier soit cependant plus difficile à évaluer, le streaming y étant couplé à un ensemble d’autres services sans garantie de réelle utilisation de Prime Video.

Toutefois, en l’espace de quelques mois, deux mastodontes ont confirmé, après des années de rumeurs récurrentes, le lancement d’une offre concurrente. Disney, tout d’abord, a révélé en novembre 2018 l’arrivée de Disney+ avant la fin 2019, qui s’appuiera sur son gigantesque catalogue (lequel inclut les productions Pixar, Marvel, Lucasfilm auquel vient s’ajouter celui de la 21st Century Fox rachetée en 2018). Apple a suivi en mars 2019, dévoilant son service Apple TV+ qui sera commercialisé plus tard dans l’année dans une centaine de pays. Tout ceci sans compter l’annonce par WarnerMedia (détenteur de célèbres franchises comme Harry Potter ou Batman, ainsi que des programmes de HBO, la célèbre chaîne payante américaine qui diffuse notamment Game of Thrones) du lancement de son offre en septembre ou octobre 2019.

En complément, d’autres acteurs moins globalisés, plus locaux et dotés d’une puissance financière moindre (comparativement aux précédents) s’allient en créant des plates-formes communes afin de résister à ces nouveaux concurrents. En France, par exemple, TF1, France Télévisions et M6 ont créé Salto (dont les contours et le calendrier de lancement restent cependant incertains), tandis que les britanniques BBC et ITV ont lancé Britbox en mars 2017 – deux initiatives qui combinent, au passage, entreprises publiques et privées.

En parallèle, le paysage de la diffusion sportive est, pour sa part, particulièrement ouvert et morcelé également – que ce soit en France ou dans le monde. Si l’on ne prend que la France, les acteurs de la diffusion payante sont multiples. Avec d’un côté des offres payantes comme celles de Canal+, beIN Sports, RMC Sport ou Eurosport pour ne citer que les principales, et d’un autre côté des offres gratuites disponibles sur TF1, M6, France Télévisions (en adjoignant à toutes ces chaînes celles qu’elles détiennent également sur la TNT) ou encore la chaîne L’Équipe. Au-delà de leur diffusion télévisée traditionnelle, l’ensemble de ces offres partage comme caractéristique avec les services de streaming vidéo évoqués précédemment d’être over the top – c’est-à-dire en accès direct sur Internet, soit via le navigateur ou des applications dédiées sur les ordinateurs, tablettes, smartphones ou télévisions connectées.

Un océan de choix… et d’abonnements !

Cette concurrence est source de divers avantages pour les consommateurs. Outre un choix plus important, la segmentation des offres leur permet de trouver plus facilement des contenus en adéquation avec leurs préférences. Tout (ou presque) est accessible en ligne et hors-ligne (dès lors, bien sûr, qu’il ne s’agit pas d’un événement sportif en direct), regardable à tout moment, sur toute une variété de supports (télévision, ordinateur, tablette, smartphone). Pareille profusion d’offres accessibles facilement, le plus souvent sans engagement, a conduit, selon une étude EY publiée en juin 2018 à une baisse du piratage en France, qu’il s’agisse du nombre de pirates (passé de 11,6 à 10,6 millions entre 2016 et 2017) ou du nombre de contenus illégaux par pirate (en baisse de 4 %).

Extrait de l’étude EY « Le piratage en France » (2018). EY

Cette diminution est cependant nettement inférieure à celle qu’a connue l’industrie de la musique. Toujours d’après cette étude EY, la part de consommation illégale de cette dernière en France est désormais estimée à moins de 10 % de la consommation totale, grâce à des alternatives légales et de qualité comme Spotify (qui vient de passer les 100 millions d’abonnés payants dans le monde) ou Deezer (créés respectivement en 2006 et 2007), ou plus récemment Apple Music pour ne citer que celles-ci.

Du côté des séries/films et du sport, la situation est plus complexe. Tout d’abord, l’offre légale de qualité a mis plus de temps à se structurer. Ensuite, surtout, chacun des services de streaming musicaux s’attache à couvrir un maximum de l’offre potentielle. En clair : pas ou peu de contrats d’exclusivité, les grandes majors de la musique proposant leur musique sur les principales plates-formes. Autrement dit, un client de Spotify, Deezer ou d’un service concurrent trouvera peu ou prou les mêmes artistes et les mêmes albums, sans vraiment se trouver coupé d’artistes spécifiques.

Les services de streaming musicaux proposent tous peu ou prou la même offre. Proxima Studio/Shutterstock

Il n’en va pas de même dans le streaming vidéo, qu’il s’agisse de séries/films ou de sport – et les annonces de lancements de nouvelles offres évoquées plus haut ne vont pas inverser la donne, bien au contraire. En effet, chacune s’efforce de se différencier en proposant à ses clients des exclusivités introuvables ailleurs. Ainsi, pour regarder House of Cards et The Man in the High Castle, il est nécessaire de souscrire un abonnement à Netflix et à Amazon Prime. Quiconque souhaitera visionner les futures séries Marvel devra être abonné à Disney+ – mais tout fan de super-héros souhaitant se plonger dans les aventures des personnages de DC Comics devra en sus souscrire à l’offre de WarnerMedia !

La situation évoluera donc vers celle que connaissent déjà les fans de sports, dont l’offre est hyper-fragmentée en raison de la manière dont les droits sont vendus, atteignant un niveau de complexité particulièrement élevé. Pour prendre l’exemple le plus emblématique, à savoir celui du football, il est aujourd’hui obligatoire d’avoir un abonnement à beIN Sports (7 matchs de Ligue 1, les championnats allemand, espagnol, italien et bien d’autres) ; RMC Sports (notamment la Ligue des champions, la Ligue Europa et le championnat anglais) ; Canal+ (3 matchs de Ligue 1, championnats belge et écossais, Coupe du monde féminine 2019, etc.), et enfin Eurosport (pour le championnat américain et la Coupe de France). Soit potentiellement quatre abonnements différents, et a minima trois pour suivre le Championnat de France et les deux coupes d’Europe.

Un amateur de football doit souscrire à quatre abonnements différents pour suivre l’ensemble des compétitions. Sasin Paraksa/Shutterstock

Le retour du piratage ?

Dans ce contexte de multiplication et d’éclatement des offres, des consommateurs mettent en place des parades assez simples, allant du partage d’identifiants de connexions (contre lequel Netflix a commencé à lutter) au… retour du piratage !

En effet, une étude conjointe de Médiamétrie et de l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) estime le nombre de pirates visionnant du sport illégalement en « live streaming » (visionnage d’événements sportifs en vidéo sur Internet) à 1,8 million en France. À titre d’exemple, l’audience pirate du match aller de Ligue des champions entre Paris et Barcelone, le 14 février 2017, a été estimée à 21 % de l’audience totale. De même, tout problème technique empêchant le visionnage d’un événement induit un report de l’audience sur des solutions illégales – comme ce fut le cas en septembre 2018 lorsque RMC Sport, nouveau diffuseur des coupes européennes, a souffert de nombreux bugs techniques.

Nul besoin de ce genre de problème cependant : une étude menée pendant la dernière Coupe du monde a montré que sur un seul réseau du Moyen-Orient, 40 % du streaming des matchs provenait de sites illégaux.

« Le visionnage illégal de retransmissions sportives », extrait de l’étude ALPA/Médiamétrie (2017). ALPA

L’analyse de ce qui se passe dans le monde sportif laisse donc légitimement supposer un retour du piratage pour les séries et les films. Voulant profiter du plein essor de ce marché du streaming, les Netflix et consorts multiplient les exclusivités pour attirer un maximum de clients et les rendre captifs. Ne disposant pas des ressources financières pour multiplier les abonnements à l’infini, les consommateurs risquent fort probablement de s’abonner à quelques services, mais de s’orienter vers une consommation illégale des contenus d’autres offres. Ce mouvement semble d’ailleurs déjà amorcé, d’après une étude publiée par le cabinet Sandvine en octobre 2018, et ce alors que la concurrence est loin d’avoir atteint son apogée ! « Les consommateurs ne disposent pas de bonnes options pour accéder à tous les contenus susceptibles de les intéresser et continuent de recourir au piratage », soulignent ainsi les experts.

La question cruciale qui se pose alors est de savoir comment ces entreprises pourraient se prémunir de ce phénomène. Et c’est justement à cette question que nous tenterons d’apporter des éléments de réponse dans… l’épisode 2 de cet article.

To be continued

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