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Si le plan échoue, comment pouvons-nous improviser ?

La mission lunaire Apollo 13, exemple d'improvisation réussie. NASA

Un vieux proverbe yiddish dit : « l’homme planifie et Dieu rit ». La plupart d’entre nous, pour ne pas dire la totalité, savons à quel point ce proverbe est vrai, et avons déjà fait l’expérience d’un plan qui échoue. Même avec une planification exemplaire, la fluidité, l’évolution et l’imprévisibilité des environnements commerciaux vous empêcheront de mettre pleinement vos plans à exécution. La question est donc de savoir s’il est bien utile de continuer de planifier, sachant que les concours de circonstances rendront nos plans désuets. Ne serait-il pas préférable de « suivre le mouvement » et d’improviser au fur et à mesure ?

Dans cet article, nous allons examiner comment les organisations peuvent planifier l’imprévisible et concilier planification minutieuse et adaptation improvisée. Nous soutenons que les organisations modernes doivent être capables d’allier ces deux éléments paradoxaux, si elles veulent s’imposer dans un environnement commercial caractérisé par des changements rapides et constants.

À la recherche de la solution créative

Les équipes étant les éléments fondamentaux d’une organisation, ce sont grâce à elles qu’une organisation peut établir des réponses adaptées à une dynamique de marché fluctuante et imprévisible. Cependant, le changement est souvent si rapide et les réponses requises si urgentes que les équipes n’ont pas le temps de planifier avant d’agir et sont forcées de planifier et d’agir simultanément, c’est-à-dire d’improviser.

Lorsqu’elles sont confrontées à une perturbation qui met en péril le plan d’origine, et à des délais serrés, les équipes ont plusieurs solutions : elles peuvent persister à suivre leur plan de départ, tout en sachant que les hypothèses de base ont changé ; elles peuvent essayer d’élaborer un nouveau plan, ce qui leur fera perdre un temps précieux, avant de l’exécuter ; elles peuvent même être figées à la perspective de l’effondrement de l’ordre organisationnel, ou bien elles peuvent aussi improviser en se servant des outils à leur disposition pour élaborer une solution créative.

Cependant, l’improvisation peut avoir des conséquences négatives si les acteurs ne sont pas suffisamment préparés à faire face à des scénarios aussi extrêmes. Le naufrage du Costa Concordia en 2012 sur les rives de l’île de Giglio, située au large de la côte ouest de l’Italie, est un exemple extrême d’une mauvaise improvisation aux conséquences catastrophiques. Le capitaine avait ordonné d’effectuer une manœuvre pour « saluer » l’île, nécessitant de naviguer près de la côte. À la suite de cette manœuvre, le navire a heurté un rocher près de l’île. Les événements qui ont suivi ont eu des répercussions dramatiques. Cet exemple démontre que lorsque les acteurs organisationnels sont mal préparés à improviser, ils peuvent s’éloigner des valeurs organisationnelles ou donner la priorité à la satisfaction de besoins personnels (le capitaine a quitté le navire en plein naufrage) plutôt qu’à ceux des objectifs de l’équipe et de l’organisation.

Le Costa Concordia a fait naufrage sur les rives de l’île de Giglio en janvier 2012. Gerasymovych Oleksandr/Shutterstock

La bonne nouvelle, c’est que l’on peut apprendre à improviser et préparer les équipes à l’improvisation, ce qui augmente la probabilité de réussite.

Trois éléments peuvent améliorer la capacité d’adaptation improvisée d’une équipe : une culture de l’expérimentation, des structures minimales et des systèmes de mémoire transactive.

Esthétique de l’imperfection

Tout d’abord, l’organisation doit se doter d’une culture de l’expérimentation qui promeut l’action, qui récompense l’exploration et la créativité et qui tolère les erreurs. Les membres de l’équipe sont alors convaincus que toute erreur éventuelle sera considérée comme un apprentissage et que leurs idées seront soutenues et encouragées. Pour ce faire, les organisations doivent accepter « l’esthétique de l’imperfection » en voyant les erreurs comme des opportunités, et sans considérer les imperfections comme synonyme d’échec. C’est tout particulièrement le cas lorsque les circonstances ont changé et que ce qui avait été prévu précédemment n’est plus entièrement possible.

Un exemple paradigmatique d’improvisation réussie est celui de la mission lunaire Apollo 13 en 1970 au cours de laquelle les astronautes, confrontés à la défaillance du système de survie, ont improvisé une réparation immédiate à l’aide de matériaux se trouvant à bord de l’engin spatial.

« Apollo 13 : une histoire de survie » (Stardust, 2019).

Un autre exemple est le développement couronné de succès d’un système de messagerie en ligne par Tencent, multinationale chinoise spécialisée dans divers services et produits liés à Internet. Les méthodes d’improvisation ont joué un rôle important et ont été efficaces dans l’élaboration de ce système. Le produit était connu pour ses capacités d’adaptation rapides à l’évolution des demandes des utilisateurs, des technologies et de l’activité des concurrents, ce qui a été reconnu comme un facteur majeur de réussite.

L’importance du « qui sait quoi »

Les structures minimales sont le deuxième levier qui permet d’améliorer la capacité d’adaptation. Pour que l’improvisation soit efficace, il est en effet important que le nombre d’éléments cruciaux soit limité afin que l’équipe puisse s’assurer qu’ils soient pleinement exécutés en peu de temps. Tous les membres de l’équipe doivent les connaître afin de pouvoir coordonner rapidement la mise en œuvre de ces éléments tout en improvisant une nouvelle solution.

Par exemple, on a observé que les équipes qui développent de nouveaux produits ont souvent recours à l’improvisation. Pour être efficaces, elles sont très autonomes et intensivement interactives, ont des objectifs et des priorités de développement spécifiques, développent progressivement plusieurs prototypes et identifient des critères de qualité et des normes de performance cruciaux.

Enfin, troisième levier d’adaptation : les systèmes de mémoire transactive. Ces derniers permettent de connaître qui sait quoi dans l’équipe. Lorsqu’une équipe improvise, avoir accès aux connaissances des différents membres aide à tirer parti de la capacité de l’équipe à recombiner ses expériences antérieures et à élaborer de nouvelles réponses, créatives et efficaces.

De plus, grâce à ces connaissances, les équipes peuvent accroître leur coordination implicite ; autrement dit les membres peuvent anticiper les décisions des uns et des autres et ajuster dynamiquement leur comportement sans nécessairement avoir besoin de communiquer ouvertement entre eux. Lors de situations stressantes, les membres d’une équipe peuvent avoir à faire face à une charge cognitive élevée. C’est-à-dire qu’ils peuvent éprouver des difficultés à traiter toute l’information disponible, ce qui les empêche de réagir de manière appropriée aux perturbations.

En ayant une compréhension claire de qui sait quoi au sein de l’équipe, ils sont en mesure de traiter plus efficacement les nouvelles informations quand elles se présentent et d’augmenter ainsi les chances de succès de leurs actions improvisées. Par exemple, les équipes d’intervention d’urgence, comme les pompiers, ne peuvent pas prédire exactement quelle expertise sera nécessaire dans une situation donnée. Par conséquent, pour une issue positive, il est essentiel que tous les membres de l’équipe connaissent les compétences spécifiques de chacun des autres membres.

Lors d’une intervention d’urgence, il est indispensable de connaître les expertises de chacun pour faire face au mieux à l’incertitude. M G White/Shutterstock

Pour que l’improvisation porte ses fruits, certaines conditions doivent donc être remplies : les organisations doivent créer une culture de l’expérimentation dans laquelle les erreurs sont acceptées comme faisant partie du processus d’apprentissage ; les équipes doivent développer des structures minimales basées sur des mécanismes de contrôle invisibles, des objectifs clairs, des jalons à court terme et un petit nombre d’éléments cruciaux à l’activité ; et enfin, les membres des équipes doivent avoir une connaissance précise de qui sait quoi dans l’équipe afin d’ accroître la coordination implicite.

Lorsqu’une équipe improvise, même si toutes ces conditions sont remplies, il n’y a certes aucun moyen de garantir des résultats positifs. Cependant, étant donné l’incertitude causée par les perturbations imprévues et les contraintes de temps extrêmes, les chances de succès augmentent considérablement.

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