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« Sneakers » : la grande envolée des prix à la revente

En 2017, un acheteur a déboursé près de 200 000 euros pour des baskets portées par Michael Jordan en 1984 (photo). AFP

Le « sneaker » (qui peut correspondre au terme « basket » en français) est un objet banal. Pourtant, se porter acquéreur de ce type de chaussure permet à certains d’y voir l’occasion de spéculer. Paris connaît ainsi les mêmes « raffles » endiablées qui ont pu avoir lieu à Tokyo, Los Angeles, et New York. Le principe de ces ventes exceptionnelles consiste à attirer les foules en leur proposant de participer à un tirage au sort ouvrant la possibilité d’acheter des sneakers, vendues en nombre limité.

Traditionnellement, les acheteurs procédaient pour leur besoin personnel, mais avec le succès des sneakers, ils ont changé de comportement. Par exemple, certains acheteurs conservent désormais les sneakers dans leur boîte d’origine pour les revendre.

Les marques des chaussures de sport développaient encore en 2013 une stratégie qui surfait sur l’utilisation de représentations sociales afin d’améliorer la mesure de la légitimité et de la différenciation d’une marque. Cet enjeu a donc largement été dépassé ces dernières années, puisque certains consommateurs se sont emparés de ces produits pour les revendre sur des sites d’enchères en ligne. Pour autant, les marques profitent là aussi de ce phénomène qui participe à leur notoriété. Les principales marques du marché Nike et Adidas organisent en effet la rareté, et donc la valeur perçue, d’une partie de leur offre.

Un demi-million pour des chaussures

Notre première observation consiste à appréhender simplement que certains sneakers atteignent des cotes importantes, la Nike Mag a été fabriquée en 2016 et lancée sur le marché par loterie. Le prix de vente sur les sites spécialisés de revente atteint plus de 28 000 dollars, sachant qu’il n’y a que 89 exemplaires en circulation. Cela pourrait être une exception, or la Air Jordan 11 Retro-Jeter, dont le modèle d’origine a été lancée dans les années 1990 se négociait à 66 000 dollars récemment, tandis que la Nike Air Yeezy 2SP Red October est cotée à hauteur de 26 000 dollars.

Mais, il y a mieux encore en juin 2017, une paire de baskets portées par Michael Jordan en 1984 a atteint le prix de 190 372 dollars et, en juillet 2019, un acheteur canadien a dépensé 437 500 dollars pour acquérir la Moon Shoe, une paire de chaussures de la marque Nike fabriquée en 1972. Ces ventes mythiques donnent un élan aux transactions de sneakers et provoquent pour certains individus des achats compulsifs.

Il ne s’agit pas d’un épiphénomène dans la mesure où le marché mondial de transaction des sneakers est estimé par certains spécialistes à hauteur de 1 milliard de dollars, tandis que pour la chaussure de sport de type « classique » le marché global est évalué à près de 100 milliards de dollars. De plus, les consommateurs qui spéculent grâce aux plates-formes spécialisées et qui revendent leurs sneakers participent au développement d’un marché d’échange, que l’on peut qualifier de marché secondaire.

Mais quelle est la typologie de ce marché d’échange ? Un marché secondaire correspond au marché sur lequel les produits sont échangés en deuxième lieu. Il peut s’agir d’un marché d’occasion et, comme dans notre cas, d’un marché où un type de produit est échangé pour la deuxième fois selon une côte liée à la catégorie des acheteurs qui peuvent attacher une valeur particulière à ces produits.

Effondrement « micro-communautaire » ?

La vraie question est de comprendre si ce marché est efficient ou inefficient. L’hypothèse validée empiriquement par l’économiste français Jules Régnault en 1863, à savoir que les variations boursières sont aléatoires, théorie développée et complétée par l’Américain Eugène Fama en 1970 grâce à l’application des mathématiques probabilistes, factualise un marché efficient. Or les spéculateurs qui consciemment contribuent à la hausse des prix des sneakers, ne participent en rien au développement économique et conduisent des acheteurs que l’on peut qualifier de « joueurs » à subir un effet financier futur négatif.

Les prix atteignent des sommets sur les plates-formes spécialisées. Stadiumgoods.com/Capture d’écran

Indéniablement ces spéculateurs seront soumis à des risques de crises localisées sur le marché d’échanges sur lequel ils agissent. L’inefficience de ce marché secondaire, qui se matérialise au travers de plates-formes de revente, laisse entrevoir des risques financiers inéluctables et ce type d’anachronisme crée un risque que je qualifie de « micro-crise communautaire ».

Nous comprenons que l’attrait financier des sneakers conduit les individus qui veulent spéculer à participer activement au développement de ce marché secondaire qui utilise les plates-formes internationales comme vecteur de transaction. Ainsi, l’inflation du prix de ces sneakers est conduite par un mouvement spéculatif.

Or, la spéculation liée aux sneakers est aujourd’hui révélatrice d’un effet de mode qui, s’il venait à s’estomper, pourrait avoir une influence négative pour les participants actifs sur ce marché d’échanges. Ainsi le risque de « micro-crise communautaire » serait latent et localisé aux intervenants agissant sur ce marché secondaire. De plus, son effet serait dépendant du nombre de participants et du niveau de spéculation atteint sur le marché concerné.

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