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Système de santé canadien : un bilan en demi-teinte

La population canadienne vieillit rapidement, une nouvelle donne qui pèsera encore davantage sur son système de santé, déjà cher et peu efficace. (Shutterstock)

À l’occasion du lancement par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de la concertation autour de la stratégie nationale de santé, The Conversation publie une série d’articles sur les différents systèmes de santé à travers le monde. Après les cas de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Australie, voici une analyse du système canadien.


Les Canadiens sont fiers de leur système de santé, l’une des spécificités qui les distinguent des Américains. Le système actuel est soutenu par quasiment tous les partis politiques, et ce depuis près de 50 ans.

Quoique très réputé, ce système de santé est cher et se heurte à plusieurs difficultés, vouées à s’exacerber dans un contexte sanitaire en pleine évolution, marqué notamment par le vieillissement de la population. Des initiatives audacieuses s’imposent pour lui assurer un avenir pérenne.

Le Conseil de la politique de santé (Health Policy Council) de l’École d’études politiques de la Queen’s University réunit des spécialistes en matière d’économie, de politique, de pratique clinique, d’éducation et de recherche. Cet organisme étudie, enseigne et intervient sur les questions de politique de santé et sur le système canadien, en les abordant sous différents angles. Plusieurs de ses chercheurs ont réuni ici leur expertise pour dire si, oui ou non, le système canadien est en bonne santé.

Un modèle national d’assurance maladie

Le système de santé canadien actuel est né dans la province du Saskatchewan, lorsque le gouvernement de gauche de la Fédération du Commonwealth coopératif (CCF), dirigé par le premier ministre de l’époque, Tommy Douglas, a créé le premier régime d’assurance maladie provincial. Celui-ci a pris en charge les services d’hospitalisation universels (dès 1947), puis les frais de consultation médicale (à partir de 1962). Les dépenses hospitalières ont été couvertes, à 50/50, par les provinces et par le gouvernement fédéral en 1957, tout comme les consultations médicales à partir de 1968.

Ce nouveau modèle, bien que fortement décrié par les médecins et les compagnies d’assurance, a été plébiscité par les habitants du Saskatchewan et d’ailleurs. Dans les années 1960, les gouvernements provinciaux et territoriaux successifs ont adopté le « modèle du Saskatchewan ». Le territoire du Yukon a été la dernière juridiction territoriale à l’intégrer, en 1972.

En 1968, la loi sur les services médicaux (National Medical Care Insurance Act), instaurant le financement des régimes d’assurance provinciaux par le gouvernement fédéral à hauteur de 50 %, est entrée en application. En 1984, la Loi sur la santé (Canada Health Act) a interdit aux médecins de facturer directement aux patients des frais non couverts par l’assurance maladie.

Les cinq principes fondamentaux du système de santé canadien sont donc l’universalité (tous les citoyens sont couverts), l’intégralité (tous les services médicaux et hospitaliers essentiels sont couverts), la transférabilité (validité de la couverture dans l’ensemble des provinces et des territoires), la gestion publique (assurance financée par les autorités publiques) et l’accessibilité.

Il n’a pas vraiment changé depuis 50 ans, malgré de nombreuses pressions.

Longues périodes d’attente

Depuis quelques années en effet, la fondation Commonwealth Fund, basée aux États-Unis, remet en question la qualité du système canadien. Cet organisme indépendant très respecté publie chaque année un classement des systèmes de santé de 11 pays, dans lequel le Canada occupe depuis plusieurs années la neuvième ou dixième place.

L’un des problèmes principaux, dans notre système, est l’accès aux soins. Si la plupart des Canadiens bénéficient d’excellents soins en cas d’urgence – infarctus, attaque cérébrale, cancer… –, beaucoup de soins moins urgents entraînent de longs mois, voire des années, d’attente.

Les patients ayant besoin d’une prothèse de la hanche ou du genou, d’une opération de l’épaule, de la cheville ou de la cataracte, ou d’une consultation spécialisée doivent souvent patienter bien plus qu’on ne le recommande dans ce genre de cas. En outre, beaucoup de personnes âgées ne souffrant pas d’une maladie grave attendent à l’hôpital pendant des mois, et parfois des années, leur transfert vers un établissement de soins de longue durée.

Le Canada est classé 9ᵉ sur 11 pays dans le rapport « Mirror, Mirror 2017 » de la fondation Commonwealth Fund.

Mais l’accessibilité n’est pas le seul problème. D’après les critères de la fondation Commonwealth Fund évaluant l’efficacité, la sécurité, la coordination, l’équité et la prise en compte des patients, le système de santé canadien est au mieux… médiocre. Au vu de son coût, il offre clairement des résultats insuffisants.

La prévalence des maladies chroniques

Comment le Canada, jadis pionnier en matière de santé à l’échelle mondiale, a-t-il pu rejoindre le milieu (voire la queue) de peloton ?

Le pays et la population ont changé, mais le système de santé, lui, ne s’est pas adapté. Dans les années 1960, la majorité des soins de santé concernaient des maladies et des blessures graves, ce qui rendait pertinent le modèle basé sur les services médicaux et hospitaliers.

Les soins de santé prodigués à domicile peuvent être plus efficaces et plus confortables que les visites à l’hôpital. Shutterstock

Aujourd’hui, la prise en charge médicale concerne de plus en plus des maladies chroniques telles que le diabète, la démence, l’insuffisance cardiaque, les maladies pulmonaires chroniques et d’autres affections qui touchent beaucoup de seniors.

Bien sûr, on a toujours besoin d’hôpitaux. Mais la population réclame de plus en plus des solutions axées sur la collectivité. Il faut, dans une certaine mesure, réduire la place des hôpitaux dans le système de santé canadien, afin de permettre aux patients de profiter de soins à domicile et dans des structures locales.

Autre problème majeur : le nombre limité de services de santé couverts par les régimes d’assurance provinciaux. La couverture « intégrale » ne s’applique en réalité qu’aux services hospitaliers et médicaux. Un grand nombre d’autres services importants, dont les soins dentaires, les médicaments fournis en dehors des hôpitaux, les soins de longue durée, la kinésithérapie, certains soins à domicile et beaucoup d’autres sont payés en partie seulement par un mélange d’assurances publiques et privées, avec un « reste à charge » pour les patients. Or ces dépenses sont au-dessus des moyens de nombreux Canadiens à faibles revenus.

Par ailleurs, les déterminants sociaux en matière de santé tels que l’alimentation, l’habitat et les revenus, ne sont pas pris en compte dans le « système » de soins, même s’ils sont aussi importants pour la santé des Canadiens que les services médicaux et hospitaliers.

Population vieillissante et hausse des coûts

Le système de santé canadien est soumis à de nombreuses pressions. Tout d’abord, les gouvernements fédéraux successifs ont notablement réduit leurs contributions financières depuis la fin des années 1970, lorsqu’une part des impôts fédéraux a été transférée aux provinces et aux territoires. De nombreuses voix s’élèvent pour avertir que si les contributions fédérales continuent de baisser, les normes nationales seront de plus en plus difficiles à appliquer – sans compter que les autorités fédérales risquent de perdre la légitimité morale nécessaire pour mettre en œuvre la loi sur la santé.

Le deuxième problème concerne le coût croissant de l’assurance hospitalisation universelle. Avec les fluctuations de la croissance économique, les gouvernements successifs ont augmenté les budgets consacrés à la santé à des rythmes variables. Au final, en 2016, les dépenses de santé totales représentaient environ 11,1 % du PIB canadien, contre environ 7 % en 1975.

Les dépenses de santé s’élèvent aujourd’hui à plus de 6 000 dollars canadiens (soit 4 127 euros) par citoyen. Par rapport à d’autres pays de même niveau économique, le système canadien est clairement parmi les plus onéreux.

Dans les prochaines années, avec l’entrée dans le troisième âge de la génération du baby-boom, la population vieillissante exercera encore plus de pression sur le système de santé. En 2014, pour la première fois de son histoire, le Canada comptait plus de personnes âgées que d’enfants.

Le fait que les Canadiens vivent aujourd’hui plus vieux et en meilleure santé que jamais est sans aucun doute une grande avancée sociale. Mais c’est aussi un problème économique. En effet, la couverture maladie des personnes âgées coûte en moyenne plus cher.

De plus, les populations de certaines provinces, en particulier celles de l’Atlantique, du Québec et de Colombie-Britannique, vieillissent plus vite. Ces provinces, dont certaines ont de très faibles perspectives de croissance économique, auront d’autant plus de mal à suivre l’augmentation des frais de santé dans les années à venir.

Ce qu’il est possible de faire dans l’immédiat

Faute d’avoir su s’adapter aux besoins changeants de la population, le système canadien est devenu très cher tout en offrant des résultats médiocres. Les Canadiens méritent mieux. Voici quatre propositions précises :

1. Intégration et innovation

Au Canada, les acteurs du secteur de la santé fonctionnent, encore maintenant, en vase clos. Les hôpitaux, les premiers soins, l’aide sociale, les soins à domicile et ceux de longue durée fonctionnent comme des entités séparées, ce qui crée des problèmes de partage d’information et une incapacité générale à servir les patients de manière coordonnée. En plaçant le patient au cœur du système, quels que soient le professionnel et l’établissement de soins auquel il est adressé, on devrait pouvoir offrir des soins de meilleure qualité, plus sûrs et moins chers. Et pour y parvenir, il est essentiel d’investir dans les systèmes d’information.

2. Responsabilité élargie

Les prestataires canadiens doivent adopter des modèles de responsabilité davantage axés sur les résultats que sur le rendement. C’est la qualité et l’efficacité des services rendus, et non leur quantité, qui devraient être récompensées. En harmonisant les objectifs des professionnels, des patients et du système de santé, on pourrait avancer ensemble dans la même direction.

3. Élargir la notion d’intégralité

On sait que la santé des Canadiens dépend de beaucoup d’autres facteurs que l’accès aux services médicaux et hospitaliers. Alors, pourquoi limiter leur système de santé « universel » à la prise en charge de ces deux types de services ? Un régime d’assurance santé qui se veut équitable ne devrait-il pas répartir les investissements publics entre des services plus variés ? Aujourd’hui, les Canadiens prônent par exemple une couverture universelle pour les médicaments. Une meilleure intégration des services sanitaires et sociaux permettrait aussi d’agir plus efficacement sur les facteurs sociaux liés à la santé.

4. Initiatives audacieuses

Le gouvernement, tout comme le secteur de la santé, doivent prendre des initiatives audacieuses pour combler les écarts et surmonter les obstacles qui compliquent la situation. Les Canadiens doivent admettre que la recherche d’amélioration et de changement n’implique pas forcément de sacrifier les nobles idéaux qui sont à la base de leur système. Il s’agit au contraire d’évoluer de manière à pouvoir honorer et préserver ces idéaux. Les dirigeants du pays ne doivent donc pas hésiter à se fixer des objectifs ambitieux en matière de santé.


Traduit de l’anglais par Valeriya Macogon pour Fast for Word.

This article was originally published in English

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