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Témoignage : test d’une solution d’IA dans le processus de recrutement

Quelles sont les perceptions de l’utilisation d’une solution d’IA en recrutement ? Des étudiants de l’université Paris-Dauphine ont cherché la réponse… VGstockstudio / Shutterstock

Cet article a été rédigé sur la base d’une mission de conseil junior réalisée par une équipe d’étudiants de l’Université Paris-Dauphine (Anne-Sophie Allanic, Camille Sauvage, Fernanda Wanderley, et Lisa Vivoni), encadrée par Delphine Demay (Chargée de projet Développement RH chez Vinci Energies), Véronique Matignon Ménard (DRH de la Division International & Systems chez Vinci Energies), et Serge Perrot (Professeur de Management, Université Paris-Dauphine).


Le projet faisant l’objet de cet article part d’une rencontre entre une directrice des ressources humaines et un professeur des Universités. Enseigner le management à l’université nécessite en effet non seulement de transmettre des connaissances liées à la recherche (cadres d’analyses, concepts, théories, etc.), mais également de permettre à l’étudiant de les mettre en œuvre en situations concrètes par le design d’une expérience d’apprentissage. Dans cet esprit, une mission de conseil junior a été confiée par Vinci Energies à une équipe d’étudiants de l’Université Paris-Dauphine. L’objectif de cette expérience, coconstruite entre l’université et l’entreprise, était de répondre à la question suivante : quelles sont les perceptions (candidats et recruteurs) de l’utilisation d’une solution d’intelligence artificielle (IA) en recrutement ?

Gain de temps

Les champs d’application de l’IA en recrutement sont nombreux, avec par exemple la rédaction d’offres, le sourcing, le matching, l’évaluation ou encore les chatbots. Pour cette expérimentation, la solution d’IA proposée aux candidats (sans l’imposer) était une forme de sourcing inversé puisqu’elle consiste à communiquer des offres de stages adaptées aux profils des candidats, ici des jeunes ingénieurs, pour faciliter leur choix de stage. Il ne s’agissait donc pas de faciliter le travail de l’entreprise, mais de créer de la valeur en termes d’expérience candidat. L’équipe d’étudiants est donc allée sur le terrain interroger les candidats et les recruteurs, par entretiens et questionnaires, dont nous reprenons ici les principaux résultats.

Pour les candidats, l’utilisation de l’outil mis à disposition répond principalement à une logique de gain de temps (33 %). La curiosité (25 %) et la croyance en une certaine pertinence (25 %) ont également conduit à l’utilisation de l’outil. C’est également le gain de temps (47 %) qui a séduit les recruteurs. Ils voient ainsi un moyen d’augmenter le volume des candidatures traitées (20 %), en particulier lorsqu’un nombre important de candidatures et/ou d’offres doivent être gérées.

Pour autant, notamment dans un contexte de pénurie de compétences, cette promesse d’une productivité accrue ne doit pas occulter une approche plus qualitative du recrutement. Si le nombre de candidatures traitées est certes un indicateur, le taux d’acceptation des offres ou de recrutement effectif des candidats reste central pour estimer la pertinence d’une solution.

Nous avons interrogé candidats et recruteurs sur leur perception de la pertinence de la solution d’IA testée. Les candidats considèrent globalement les offres proposées pertinentes (80 %), et 68 % d’entre eux ont postulé à l’une des cinq premières offres proposées. Selon que l’on regarde la partie pleine ou vide du verre, on peut donc aussi noter que 20 % des candidats n’ont postulé à aucune des offres proposées. Si la grande majorité des utilisateurs candidats jugent utile la solution d’IA (83 %), ils sont en revanche 62,5 % à considérer qu’elle n’ouvre pas de nouveaux horizons.

La perception des candidats est donc positive, mais certains nous ont fait part de réticences liées à la crainte des biais, et plus généralement une certaine méfiance. Les recruteurs partagent une vision positive de l’outil : s’ils considèrent tous que le matching offres/candidats a été pertinent, 73 % d’entre eux ont souvent ou très souvent orienté un candidat vers une autre offre paraissant plus adaptée au profil.

Biais potentiels

Afin d’approfondir cette notion de pertinence du matching, les entretiens ont révélé une première typologie de candidats : ceux n’ayant pas d’attente précise quant à la recherche de stage, ceux souhaitant un changement par rapport à leur parcours antérieur, et ceux ayant un projet précis. L’utilité de la solution d’IA n’est pas la même selon les types de candidats : si la proposition d’offres par l’IA semble particulièrement adaptée aux candidats n’ayant pas d’attentes prédéfinies, l’utilité est évidemment moindre pour ceux qui ont un projet précis. Par ailleurs, comment l’IA peut-elle tenir compte des souhaits de changements par rapport à un cursus antérieur ? Cela supposerait une capacité des outils pour appréhender les aspects affectifs/émotionnels des candidats liés à leurs souhaits d’orientation professionnelle, ou leur capacité à déceler les appétences dans un CV. À notre connaissance, ce n’est pas le cas.

Cette expérimentation, tout en soulignant son intérêt et la perception globalement très positive qu’elle a générés, nous invite à nous interroger sur les limites de ce type de solutions. Il reste en premier lieu une forme d’appréhension, voire de méfiance, des candidats à l’égard de l’IA : 33 % d’entre eux considèrent nécessaire l’intervention de l’évaluation humaine dans le processus de recrutement. Le remplacement de l’humain par l’IA constitue donc une crainte des candidats, et c’est au contraire une volonté de complémentarité maîtrisée qui se révèle.

L’IA n’est pas d’une grande aide pour les personnes qui envisagent de changer de voie… PKpix/Shutterstock

Au-delà des appréhensions, la typologie observée des candidats (notamment ceux qui souhaitent infléchir leur parcours) interroge par exemple sur la capacité de ces outils à sortir d’un chemin tracé par les expériences antérieures d’autrui. Plus généralement, la boîte noire des algorithmes ne peut occulter l’existence de biais potentiels, et la difficulté à saisir une aspiration professionnelle authentique.

Comme l’avait déjà montré dans d’autres contextes les recherches liées à l’école sociotechnique, il n’y a pas de déterminisme technique pur : pour éviter la déshumanisation du recrutement, cette expérience nous invite à la recherche d’une complémentarité maîtrisée entre les hommes et l’IA dans le processus de recrutement.

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