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Tempérer les cycles financiers de la zone euro pour la guérir de ses divergences

Conférence à la Banque Centrale Européenne. ECB/Visual Hunt, CC BY-NC-ND

La zone euro est hétérogène et souffre des divergences économiques et financières entre ses membres. La politique monétaire unique n’est pas faite pour les résorber. Cela ne signifie pas qu’il faille y renoncer, mais indéniablement il manque un instrument qui vienne compléter son action pour réaliser les ajustements macro-conjoncturels dont les États membres de la zone euro ont chacun besoin.

On pense alors à des instruments d’ajustement budgétaires et fiscaux, sauf que, même si les intentions sont en train d’évoluer, la mise en place d’un impôt européen et d’un budget voté par un Parlement de la zone euro n’est pas pour demain. Un autre type d’intervention est cependant envisageable à brève échéance, qui consisterait à tempérer le cycle financier au sein de chaque pays de la zone car, très souvent, les déséquilibres économiques s’enracinent dans des déséquilibres financiers.

Cela peut se faire avec la politique dite macroprudentielle en réalisant que, dans des économies ultra-financiarisées, la prévention de l’instabilité financière concourt nécessairement à la stabilité économique.

L’incompatibilité entre stabilité financière et croissance : un présupposé qui ne résiste pas à l’analyse

Trop souvent dans les débats consacrés à la régulation financière prévaut l’idée d’un inévitable arbitrage entre stabilité financière et croissance économique. Gagner en stabilité en renforçant la réglementation des banques, l’organisation des marchés, etc. obligerait à perdre en croissance. Ce présupposé est rarement interrogé, alors même que bon nombre d’études de ces dernières années (Arcand, Berkes, Panizza, 2012 ; Cournède, Denk et Hoeller, 2015) ont démontré qu’au-delà d’un certain seuil, la finance ne profite plus à la croissance et lui devient même préjudiciable par l’instabilité qu’elle engendre.

Comprendre que la prévention des déséquilibres financiers n’est pas préjudiciable à la croissance et qu’elle est même indispensable pour retrouver un sentier de croissance soutenable et plus inclusive est une nécessité impérieuse. A fortiori dans la zone euro où les divergences se sont largement nourries de ces déséquilibres financiers.

Tempérer le cycle financier de chaque pays membre

Il faut une action contracyclique pour tempérer le cycle financier, c’est-à-dire prévenir l’emballement en phase ascendante du cycle pour éviter l’effondrement en phase descendante. Cette action doit être calibrée au niveau national. Elle aurait en effet peu de chance de porter ses fruits si elle était menée à l’échelle de la zone en fonction d’une appréciation moyenne du cycle financier. Cette appréciation moyenne refléterait trop peu les cycles financiers nationaux car ceux-ci sont peu synchrones : qu’il s’agisse du cycle immobilier ou du cycle du crédit, le décalage est frappant entre les différents pays membres, tout particulièrement entre le cycle allemand et ceux des autres pays de la zone euro (Grjebine, 2014).

Calibrer cette action contracyclique au niveau national ne signifie pas pour autant d’en confier la responsabilité aux autorités nationales. Pour éviter la moins-disance des autorités nationales, l’arbitrage réglementaire et une trop faible coordination, c’est au niveau européen qu’elle doit être décidée. L’institution capable de conduire cette action et de la coordonner au niveau national existe déjà : l’European Systemic Risk Board (ESRB) est « chargé depuis le 1er janvier 2011 de surveiller et d’analyser les risques qui pèsent sur la stabilité du système financier dans son ensemble », mais ses pouvoirs humains, financiers et son autorité restent à renforcer.

Une zone monétaire… pas optimale

Cette action contracyclique contribuerait non seulement à la stabilité financière, mais également à la stabilité économique, en dotant la zone euro de l’instrument d’ajustement macro-conjoncturel qui lui a tant manqué jusqu’à présent pour compléter la politique monétaire.

La zone euro a été mise en place en 1999 en ignorant les enseignements de la théorie des zones monétaires optimales. L’économiste canadien Robert Mundell, le premier à l’avoir énoncée dans les années 1950, a clairement mis en évidence que lorsqu’un ensemble de pays décident de partager la même monnaie et perdent ce faisant leur taux de change comme instrument d’ajustement économique, il leur faut s’assurer qu’ils restent capables de s’ajuster chacun en cas de chocs qui ne les affecteraient pas tous avec la même force (chocs asymétriques).

Or la zone euro n’a pas cette capacité, car elle n’a ni une forte mobilité des travailleurs en son sein, ni un budget lui permettant d’effectuer des transferts stabilisants entre ses membres. En clair, la zone euro n’a rien d’une zone monétaire optimale.

Agir à la racine de la divergence

En l’absence d’instrument(s) d’ajustement(s), la zone euro est condamnée à la divergence. En effet, la politique monétaire unique est nécessairement conduite pour la moyenne de la zone, pas forcément représentative de la situation de chacun des membres. Au début des années 2000, la politique monétaire de la BCE convenait ainsi assez bien aux pays du cœur (Allemagne, Autriche, Finlande, France, Pays-Bas), beaucoup moins à ceux la périphérie (Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Portugal).

C’est ainsi qu’en Espagne et en Irlande, le niveau trop bas pour eux à cette période du taux d’intérêt a favorisé la formation d’une bulle immobilière. Cet emballement financier a ensuite fait chuter ces pays de très haut pendant la crise.

Si à cette même période, l’emballement financier avait été contré, en renforçant les contraintes réglementaires à la fois sur les emprunteurs (plus d’apports, un moindre ratio entre prêt et valeur du bien financé ou entre charge de la dette et revenu de l’emprunteur…) et les prêteurs (renforcement de l’exigence de fonds propres proportionnel à l’emballement), le profond déséquilibre économique qui en est résulté aurait été bien moindre.

L’Irlande en a d’ailleurs tiré les leçons puisqu’elle applique depuis 2014 des dispositions macroprudentielles visant à resserrer les conditions d’emprunts, afin de réguler le boom immobilier qui fait fortement accélérer sa croissance économique depuis 2015 et qui, sans cette action contracyclique, risquerait fort d’exposer le pays à un retournement brutal. Si ce type d’action calibrée en fonction des cycles financiers nationaux devenait systématique dans la zone euro, cela agirait à la racine de la divergence.

Un double niveau de prévention du risque systémique

Cette action contracyclique menée à rebours du cycle financier constitue l’un des deux pans de la prévention du risque systémique ou de ce qu’on appelle la politique macroprudentielle. Le second pan est axé sur la résilience des groupes bancaires et financiers systémiques (action transversale), qui par leur taille, leurs interconnexions, l’étendue ou la complexité de leur activité, ou encore leur pouvoir de marché contribuent au risque systémique (c’est-à-dire au risque que leurs difficultés entraînent celles du système tout entier).

La dimension transfrontière de ces groupes implantés chacun dans plusieurs dizaines de pays implique de conduire cette action transversale à l’échelle de la zone euro.

Dès lors, un schéma simple est envisageable pour conduire au mieux cette politique macroprudentielle au sein de la zone euro : confier à l’ESRB l’action contracyclique calibrée pour chaque État membre, confier à la BCE l’action transversale, axée sur la résilience des groupes systémiques.

Un contexte porteur

Tout cela s’inscrit dans un contexte institutionnel et un calendrier qui s’y prêtent. L’Union bancaire pose déjà, d’une certaine manière, les bases de l’action macroprudentielle transversale en confiant à la BCE la supervision des groupes d’importance. Et le Brexit appelle de fait des changements institutionnels, dont certains concerneront des autorités impliquées dans la stabilité financière (EBA, ESRB…).

Très prochainement, le Parlement européen débattra des propositions de la Commission sur l’approfondissement de la zone euro, tandis que la Commission a également lancé une revue du cadre macroprudentiel dont on attend les conclusions avant fin 2017. Les quinze propositions de notre rapport rendu au Parlement européen pour souligner « le rôle de la politique macroprudentielle dans la prévention et la correction des divergences au sein de la zone euro » visent à nourrir ces discussions.

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