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Trafic aérien mondial, une croissance fulgurante pas prête de s’arrêter

Depuis quarante ans, le transport aérien voit son nombre de passagers doubler tous les quinze ans. Robin van Lonkhuijsen/ANP/AFP

Pas une semaine ne passe sans que l’on n’évoque le secteur aérien, positivement ou négativement. Dans les quatre derniers mois, on a ainsi beaucoup parlé de l’arrêt du programme A380, des déboires du Boeing 737 Max, de la polémique autour de la privatisation d’Aéroports de Paris ou encore du « flygskam » – la honte de prendre l’avion –, une tendance suédoise qui s’est récemment répandue et affecterait déjà le trafic aérien du pays.

Si ce boycott récent n’a qu’un impact marginal sur le secteur, le phénomène interpelle, puisqu’il va à rebours de la croissance exponentielle que connaît le trafic aérien depuis plus de 40 ans… et que rien ne semble pouvoir enrayer.

Une croissance forte mais inégale

Les chiffres ont de quoi donner le tournis… en 2018, 4,3 milliards de passagers ont embarqué sur l’une des 1 300 compagnies aériennes à travers le monde. Plus que le nombre de passagers en valeur absolue, c’est la croissance fulgurante du secteur qui frappe. Tous les 15 ans, le transport aérien voit son nombre de passagers doubler.

Un doublement du trafic aérien tous les 15 ans. Airbus

On peut aussi appréhender le trafic aérien par la taille de la flotte mondiale : plus de 24 000 avions commerciaux (transportant des passagers) parcourent le monde. En 2018, ces avions ont réalisé plus de 38 millions de vols vers l’un des 3 500 aéroports commerciaux. À chaque battement de cœur, un avion décolle dans le monde, ce qui représente environ 72 vols par minute.

Derrière ces chiffres impressionnants, on retrouve pourtant d’importantes disparités géographiques. Si le transport aérien croît en moyenne de 6 % par an, les écarts régionaux demeurent considérables : sa croissance annuelle est de l’ordre de 8 à 10 % dans les pays asiatiques ou du Moyen-Orient, mais de 3 à 4 % « seulement » en Europe ou aux États-Unis.

Cette évolution différenciée a profondément modifié le poids des différents continents dans le trafic global. En 2000, l’Amérique du Nord représentait à elle seule 40 % du trafic alors que l’Europe en représentait 26 % et l’Asie 22 %. Près de 20 ans plus tard, l’Asie domine le marché avec près de 36 % du trafic mondial, suivie par l’Europe avec 26 % et l’Amérique du Nord avec 24 %.

Croissance du trafic aérien mondial par continent. Banque mondiale

Comment ce secteur fait-il pour croître aussi rapidement ? Les raisons sont à chercher tant du côté de la demande que de l’offre.

Une demande liée au niveau de développement

Commençons par la demande : si 4,3 milliards de passagers ont pris l’avion en 2018, cela ne signifie absolument pas que 4,3 milliards d’êtres humains différents ont embarqué. Certains ont pu voyager plusieurs fois au cours de l’année.

Il faut également souligner que la grande majorité de ces passagers aériens sont issus des pays développés ou de la classe moyenne des pays en développement. Il existe en effet une étroite relation entre le niveau de développement d’un pays et le transport aérien.

Ce dernier dépend ainsi fortement de la croissance économique globale et nationale. Des indicateurs comme « l’élasticité-revenu » montrent que lorsque le PIB d’un pays augmente de 1 %, la consommation de transport aérien dans ce pays croît également de 1,5 à 2 % selon le niveau de développement du pays. Le déploiement économique de l’Asie (et l’émergence d’une classe moyenne) explique donc la part croissante de ce continent dans le trafic aérien mondial.

Évolution du trafic aérien mondial par pays depuis 1970. Source : Paul Chiambaretto

Au-delà du nombre de passagers, la croissance économique affecte aussi la demande aérienne en matière de fret (c’est-à-dire le transport de marchandises). Encore une fois, l’avion se différencie des autres modes de transport : en volume (c’est-à-dire en nombre de tonnes), il ne contribue qu’à 0,5 % du volume mondial. En revanche, en valeur (c’est-à-dire en euros), plus de 35 % du commerce mondial passe par l’avion. Autrement dit, l’avion est particulièrement pertinent pour transporter des biens de petite taille mais de forte valeur (comme des smartphones ou des fleurs, par exemple).

Pour autant, le développement économique d’un pays ne fait pas tout et l’offre aérienne a elle aussi profondément évolué au cours des dernières années. Des facteurs politiques et légaux ont ainsi contribué à la démocratisation du transport aérien, en particulier en Europe et aux États-Unis, où sa libéralisation (en 1978 aux États-Unis et en 1997 en Europe) a favorisé l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché aérien et la remise en cause des monopoles nationaux.

Des prix en chute libre

Parmi ces nouveaux acteurs, l’émergence des compagnies dites « à bas coûts » (comme Ryanair ou Easyjet) a radicalement modifié la nature du secteur.

Les compagnies à bas coûts contribuent à une très forte intensification aérienne en Europe : à ce jour, elles représentent 25 % du trafic mondial et plus de 40 % du trafic en Europe. Mais elles ont surtout influencé les prix des autres compagnies, les contraignant à réduire leurs coûts pour offrir des billets moins chers.

Il faut toutefois nuancer cette croissance du secteur aérien. Si le nombre de passagers ne cesse d’augmenter, les profits des compagnies aériennes ne sont pas pour autant élevés. Une forte pression concurrentielle conjuguée à une forte volatilité du cours des matières premières en font l’un des secteurs les moins rentables.

Si la situation économique actuelle des entreprises aériennes semble s’améliorer, elle reste essentiellement conjoncturelle. Une augmentation significative du prix du baril de pétrole pourrait amener de nombreuses compagnies à la faillite ou pourrait replonger dans le rouge les plus gros acteurs du secteur.

La profitabilité du transport aérien : entre pertes et profits. IATA

Quelles perspectives d’ici 20 ans ?

En dépit de profits relativement faibles, rien ne semble arrêter la croissance du secteur aérien. Selon les prévisions réalisées par Boeing et Airbus, à l’horizon 2037-2038, les compagnies aériennes devraient transporter plus de 8 milliards de passagers par an – soit deux fois le nombre actuel de passagers.

Pour cela, la flotte d’avions devra elle aussi doubler pour compter plus de 48 000 avions dans les airs en 2038. La majorité de ces avions seront des « mono-couloirs », c’est-à-dire des petits avions de la taille de ceux que l’on prend généralement pour un vol domestique ou à l’intérieur de l’Europe.

Évolution de la flotte mondiale et volume de livraisons prévues. Airbus

À la vue de ces statistiques, l’impact environnemental de la croissance du transport aérien inquiète. La situation est pourtant paradoxale. Alors que le transport aérien a l’image d’un mode de transport polluant, le secteur ne représente à ce jour que 2 % des émissions de CO₂ à l’échelle mondiale et ses émissions augmentent 2 à 3 fois moins vite que le trafic.

En effet, la consommation (énergétique) des avions n’a cessé de baisser au cours des dernières années et les dernières générations d’avions (comme le B787 ou l’A350) consomment près de 3 litres au 100 kilomètres par passager (soit la consommation d’une voiture hybride avec un passager à bord).

Par ailleurs, pour éviter que la croissance du transport aérien ne double les émissions carbone, les compagnies aériennes et les constructeurs aériens se sont engagés dans des systèmes de limitation des émissions carbone, comme le programme CORSIA. En s’appuyant sur des améliorations technologiques, du contrôle aérien et des carburants alternatifs, l’objectif est de ne pas dépasser les émissions de 2020 et donc de générer une croissance du transport aérien qui soit neutre pour l’environnement.

Objectifs pour une croissance neutre en carbone du transport aérien. OACI

Des défis à relever

Au-delà de l’enjeu environnemental, le transport aérien devrait continuer à évoluer au cours des prochaines années. Et son centre de gravité devrait continuer de se déplacer à l’Est, avec une part de plus en plus importante des acteurs asiatiques. Si l’Asie représente actuellement 36 % du trafic aérien mondial, sa part devrait atteindre plus de 42 % d’ici 20 ans.

Cette forte croissance s’explique à la fois par l’essor rapide de la classe moyenne asiatique, par le développement des infrastructures aéroportuaires et des compagnies aériennes asiatiques, ainsi que par la probable libéralisation du transport aérien en Asie du Sud-est. Boeing prévoit que le marché chinois détrônera le marché américain à la première place du marché aérien mondial dans 20 ans.

Même si les perspectives de croissance du transport aérien sont réelles, le secteur aérien devra relever de nombreux défis avec non seulement une recomposition des flux de passagers, mais aussi une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux.

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