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Espace mondial

Trump, ou comment faire du faux neuf avec du vrai vieux

A New York, le 14 février 2017, un rassemblement contre la politique migratoire de Donald Trump. Eduardo Munoz Alvarez/AFP

Il n’y a plus d’élections tranquilles : le propos pourrait être élargi à toutes les consultations populaires, si on en croit l’émotion légitime qui a accompagné le référendum britannique sur le Brexit. Il était un temps, lorsque disparaissait la bipolarité, où certains se croyaient autorisés à prédire l’apothéose de la démocratie apaisée. William Clinton renchérissait en annonçant le triomphe universel de cette forme de gouvernement dont le leadership naturel reviendrait au pays qui en était la plus « grande » des incarnations.

Le malaise d’aujourd’hui trouve probablement son origine dans cette incroyable naïveté : si l’Europe souffre de son incapacité à entrer dans la mondialisation, les États-Unis payent, à travers leur présente ivresse politique, la facture d’un espoir insensé dont Clinton fut le Candide… Une diplomatie étrange, peut-être chargée de sens, mais totalement inadaptée, en dérive aujourd’hui.

Évangélisation du globe

Les États-Unis ont pu longtemps se croire les enfants chéris de la mondialisation : vainqueur du nazisme, centre de la production mondiale, initiateur de toutes les modes, porteur de la langue universelle, ce pays longtemps isolationniste devenait la capitale du village planétaire. Une fois le Mur tombé et alors que se profilait, de l’autre côté du Pacifique, un dangereux rival, l’esprit était à une vision offensive et aveugle : la mondialisation devait permettre l’évangélisation du globe et sa conversion aux valeurs américaines. Le « regime change » des néo-conservateurs coûta au demeurant fort cher, ce qui permit à Trump de dénoncer à travers lui une insoutenable incarnation de la politique américaine.

Mais le triomphe revint à Barack Obama qui inaugura une tout autre diplomatie : il n’était plus question de regime change ni de chevauchées militaires, mais de fondre les États-Unis dans un univers mondialisé : le libre-échangisme reprenait ses droits et Washington se réclamait désormais d’un pluralisme culturel, certes timide, mais en sage rupture avec les vieux instincts messianiques de la supériorité anglo-saxonne. Trump protesta une seconde fois : non pas au nom du coût matériel, mais de la perte symbolique associée à une dégradation du leader bienveillant… Et il gagna, face à Hillary Clinton qui incarnait curieusement la synthèse travaillée des deux courants dont le milliardaire s’était fait le pourfendeur.

Cocktail doctrinal

On est ici à une croisée banale, mais inédite des chemins politiques : l’oncle Sam, version Trump, ne doit ni conquérir la mondialisation en marche, ni s’en faire l’aimable chevalier servant. Le pivot est vite trouvé : la mondialisation doit être soumise à l’idée restaurée d’intérêt national. Le cocktail doctrinal est alors évident. À une mondialisation facile, on oppose la dénonciation des élites cosmopolitiques qui, le cas échéant, trahissent le peuple américain, surtout les petits, ceux pris à la gorge par la mondialisation et que stigmatisaient déjà les tenants du People’s party, ces populistes américains de la fin du XIXe siècle.

Au libre échangisme dont la Chine s’est emparée pour son meilleur profit, on substitue un mercantilisme qui trouve son double dans un bilatéralisme annulant d’un même trait l’œuvre de Roosevelt et celle de Wilson. Au pacifisme de son prédécesseur, on préfère une énonciation nationaliste, construite sur l’identité qui fait pêle-mêle du migrant ou du musulman l’ennemi de principe et d’affect, à la manière d’un Cromwell brandissant l’ascendant protestant pour dénoncer l’Espagne catholique commercialement menaçante.

Autant d’ingrédients désuets qui donnent l’illusion de la pertinence, tant ce cocktail rejoint l’air du temps, celui de Poutine, celui d’Erdogan, ceux d’Orban, Marine Le Pen, Benjamin Natanyahou ou du chantre du Brexit, un Nigel Farage que le nouveau locataire de la Maison Blanche réclame comme compagnon de proximité, hôte jugé idéal de l’ambassade de sa gracieuse Majesté à Washington.

Ambiance bilatéraliste

Ce nouveau club doit être pris au sérieux, car il fait corps ; il est en même temps dangereux car, dans l’ambiance bilatéraliste, il incite chacun d’entre ces joueurs à monter des coups séparés qui n’ont aucune cohérence et qui peuvent être mutuellement explosifs, comme on risque de le voir sous peu au Moyen-Orient ou en Ukraine. D’un certain point de vue, l’incohérence tend à devenir en soi cohérente, à la manière du chacun pour soi ou du coup par coup.

Reprenons ces vieux principes exhumés : ils contredisent tous les données de base d’une gouvernance mondiale dont on ne peut plus se dispenser. Le nationalisme fragmente et ignore les biens communs – ce qui explique notamment le peu de cas que Donald Trump fait des questions environnementales. Le bilatéralisme, conséquent dans une Europe westphalienne partagée entre une demi-douzaine de familles dynastiques, n’a aucun sens dans un monde fait de 193 unités et devient une machine à produire des courts circuits. L’identitarisme assouvit les frustrations, mais distille son venin pour atteindre un monde irrémédiablement fait de mobilité et d’hybridité. Le populisme exprime, quant à lui, une inquiétude dont il convient de tenir compte, mais qui ne peut en aucun cas forger une diplomatie nouvelle, au risque de faire de la dénonciation permanente de l’autre la solution des conflits.

C’est pourquoi nous entrons dans le temps des verres brisés et des carreaux cassés, tandis que les profondes racines sociales des conflits d’aujourd’hui n’ont, avec ce logiciel, aucune chance d’être saisies.

Le monde est-il alors condamné à la passivité ? Une chance est à saisir : ce que Trump combat – multilatéralisme, interdépendance, solidarité, biens communs de l’humanité, méta-souverainisme… – correspond à la sève de notre modernité, et donc à la banalité de notre monde futur. Il suffit de s’en servir. Mais encore faut-il se réveiller !

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