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Donald Trump a gagné la majorité des électeurs blancs en 2016 et une stratégie similaire pourrait lui permettre de remporter l'élection cette année. (AP Photo/Evan Vucci)

Trump peut gagner à nouveau (et sans tricher)

Les sympathisants libéraux disent souvent que Donald Trump est du mauvais côté de l’Histoire. De leur point de vue, il est une relique et un réactionnaire, un rappel vivant de tous les squelettes du placard américain.

Une victoire démocrate en novembre semble donc inévitable, surtout si l’on considère la façon dont Trump a horriblement mal géré la pandémie de Covid-19.

Mais l’Histoire ne bouge que dans la mesure où on la pousse à le faire. Et Donald Trump a pour lui non seulement une immense fortune et un caractère impitoyable, mais il bénéficie aussi toujours du profond soutien de deux groupes longtemps privilégiés dans la vie américaine.

Une nation blanche

En 1841, des membres du Congrès ont brièvement débattu de la question de savoir si les immigrants irlandais et allemands devraient pouvoir avoir droit aux terres de l’Ouest à bas prix bas, réglementés et payés par les citoyens américains. Ils ont voté oui, à 30 contre 12. Après réflexion, ils ont interdit aux Noirs américains de participer à cette politique, à 37 contre 1.

Rien ne rend mieux compte des conditions raciales qui prévaut au sein de la nation américaine que ce retour aux années 1800. Pour les Blancs, l’Amérique était une terre de liberté et d’égalité républicaines, une immense bouffée d’air frais issue des hiérarchies étouffantes de l’Europe.

C’était aussi une société violemment raciste qui considérait les Noirs comme des biens ou des nuisances et ne laissait aucune place aux nations autochtones.

Comme l’historien Edmund S. Morgan l’a expliqué, le républicanisme blanc et le racisme se sont développés côte à côte. Les Américains blancs pouvaient être justes et bienveillants les uns envers les autres précisément parce qu’ils étaient tous membres d’un groupe privilégié.

Le gouverneur de Georgie a affirmé ceci lorsque son État a fait sécession de l’Union en 1861 : « Sous l’esclavage, même le plus pauvre des fermiers appartient à la seule véritable aristocratie, la race des hommes blancs ».

La guerre civile a détruit l’esclavage, mais a préservé la suprématie des Blancs. Les États-Unis sont restés un refuge pour des millions d’Européens, tandis que les Noirs n’ont même pas obtenu la citoyenneté avant les années 1960.

Une république patronale

Le racisme mis à part, le plus frappant dans le vote de 1841 sur les terres de l’Ouest était son hypothèse selon laquelle tous les hommes blancs méritaient de posséder des biens. La plupart des Américains ont adhéré à cet idéal parce qu’il a permis une large diffusion du pouvoir dans la société, permettant à chaque homme blanc d’être son propre patron.

Le rêve a été plutôt vrai jusqu’à la fin du 19e siècle, lorsque l’agriculture familiale s’est effondrée au profit de nouvelles et gigantesques entreprises qui ont pris le contrôle d’une grande partie de l’économie. Le pourcentage d’hommes travaillant à leur compte a chuté au début des années 1900, alimentant d’âpres luttes de classe qui ne se sont calmées qu’avec le boom de l’après-Seconde Guerre mondiale.

Pendant une grande partie de la guerre froide, la prospérité a permis aux employés de rester heureux, même si le véritable pouvoir appartenait à leurs employeurs — les personnes qui décidaient qui embaucher et qui licencier.

Au Canada et dans la plupart des pays européens durant cette période, les partis de gauche ont obtenu des États d’importantes concessions dans le domaine des soins de santé et des relations de travail, limitant le pouvoir des employeurs et donnant à la plupart des gens des droits sociaux et économiques qui découlent de leur citoyenneté et non de leur travail.

Cela n’est jamais arrivé aux États-Unis.

La plupart des Américains ont donc besoin de leurs employeurs non seulement pour leurs salaires ou différents avantages sociaux, mais aussi pour leur assurance-maladie. La faiblesse du filet de sécurité américain fait en sorte que les travailleurs craignent davantage de perdre leur emploi que partout ailleurs en Occident.

Même s’ils représentent une infime partie de la population, les patrons exercent donc une influence énorme sur la vie quotidienne. Aux États-Unis plus que dans les autres pays occidentaux, leurs intérêts particuliers tendent à remplacer le « bon sens ».

Rendre l’Amérique à nouveau confortable

Quel est le rapport avec les chances de réélection de Donald Trump ?

Tout d’abord, nous devons rappeler que de nombreux Américains blancs se sont sentis sur la défensive depuis la révolution des droits civils des années 1960. Ils ne se considèrent pas comme racistes, mais ils sont mal à l’aise à l’idée de partager le pouvoir et la visibilité avec des personnes de couleur.

Des travailleurs de la santé en grève défilent devant les troupes de la Garde nationale du Tennessee, en 1968. Si de nombreux Blancs ont soutenu le mouvement des droits civils dans les années 1960, ils restent mal à l’aise à l’idée de partager le pouvoir avec des Noirs et d’autres citoyens non blancs. AP Photo/Charlie Kelly

En effet, Trump invite ces électeurs à se sentir à nouveau à l’aise avec leurs privilèges de Blancs. Cela a certainement fonctionné en 2016. « De la filière de la bière à celle du vin, des soccer moms aux NASCAR dads, les performances de Trump parmi les Blancs ont été dominantes », a écrit l’écrivain et journaliste américain Ta-Nehesi Coates dans The Atlantic en 2017. Chez les femmes blanches, il a devancé Hilary Clinton de neuf points ; chez les hommes blancs, il l’a emporté de 31 points.

En ce qui concerne les employeurs du pays, les 50 dernières années ont été clémentes : tous les républicains et de nombreux démocrates ont réduit les gains limités que les travailleurs ont réalisés pendant le New Deal.

Pour les titans des entreprises comme pour les propriétaires de petites entreprises, Trump est une autre bonne nouvelle. Dès 2000, il a annoncé son désir de privatiser (c’est-à-dire de mettre fin) à la sécurité sociale. Au pouvoir, il a réduit les impôts des entreprises et des riches, ainsi que les réglementations en matière de santé, de sécurité et d’environnement.

Trump a même jeté quelques os aux entreprises manufacturières en augmentant les droits de douane afin d’avantager ses amis, comme on peut le voir dans le dossier de l’aluminium ces temps-ci.

Malgré toute sa volatilité et son incompétence, Trump est donc le choix par défaut — même le choix sûr — pour une masse critique d’électeurs et de propriétaires d’entreprises blancs. La mort de près de 170 000 Américains lors de la pandémie de Covid-19 n’y changera rien, en partie parce que les victimes sont de manière disproportionnée des Noirs, des autochtones, des personnes de couleur et des travailleurs pauvres.

Avec l’Histoire de son côté, Trump sera difficile à battre même s’il se bat de manière loyale, ce qui est peu probable.

Les démocrates sont engagés dans un combat désespéré.

This article was originally published in English

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